Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231583; voir les articles connexes ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230776-f et www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231712-f
Le fait que le personnel clinicien, la patientèle et les familles aient souvent des valeurs et des préférences divergentes ne devrait pas sonner le glas de la prise de décision partagée.
Le maintien d’un dialogue ouvert, que les parties soient ou non en accord, est la fondation de toute prise de décision partagée.
Le non-respect du droit des patientes et patients (ou de leurs mandataires) à une décision éclairée quant à l’option de traitement qui convient le mieux à leurs valeurs, préférences et objectifs érode invariablement la confiance.
La communication des objectifs de soins devrait idéalement comprendre une reconnaissance claire de l’incertitude scientifique et une ouverture explicite à revoir les décisions en cas de changement de l’état d’une patiente ou d’un patient.
Dans un article axé sur les sciences humaines — le premier d’une nouvelle série sur la confiance en santé rédigée par la patientèle — Louis Lochhead explique comment les interactions avec le personnel responsable de sa femme aux soins intensifs l’ont fait douter de la volonté du personnel soignant de veiller aux intérêts de sa famille1. En tant qu’intensiviste en exercice, cette lecture m’a rendu mal à l’aise et plutôt honteux. J’aimerais me dire que ces situations sont rares, mais je sais que c’est faux. Les personnes ayant une expérience vécue du système de santé jouent un rôle important dans le monitorage et l’orientation de la qualité des soins, dans la définition des priorités de recherche et dans l’élaboration de guides de pratique clinique. L’article de M. Lochhead illustre bien les lacunes persistantes dans la façon dont les professionnelles et professionnels de la santé perçoivent et remplissent leur propre rôle dans la prise de décision partagée, un enjeu auquel je compte m’atteler dans ma pratique.
Tout d’abord, le fait que le personnel clinicien, les patientes et patients et les familles aient souvent des valeurs et des préférences divergentes ne devrait pas sonner le glas de la prise de décision partagée, qui demeure essentielle aux soins axés sur la patientèle. Les médecins ont la responsabilité de communiquer le diagnostic et les options de traitement, y compris les avantages et désavantages et le pronostic de chaque option. Toutefois, il appartient à la patiente ou au patient de choisir ce qui correspond le mieux à ses valeurs, préférences et objectifs. Lorsqu’une personne mandataire est désignée, celle-ci doit aussi donner priorité aux valeurs et préférences de la patiente ou du patient et non aux siennes. L’autonomie de la patientèle est un pilier central de l’éthique médicale qui sous-tend ce modèle de décision partagée. Ainsi, les professionnelles et professionnels de la santé se doivent de respecter qu’une personne refuse le traitement qu’ils suggèrent. Il est impératif que la relation entre médecins et patientèle soit plus forte que les différences de valeurs et de préférences, car le non-respect du droit de choisir érode invariablement la confiance.
Je constate que le rôle de communication des médecins dans la prise de décision partagée est souvent mal compris, bien qu’il soit explicitement décrit par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada2. Ce rôle requiert une écoute active et une exploration des perspectives de la patiente ou du patient; les médecins absorbent l’information ainsi acquise et tâchent de réconcilier le vécu de la personne avec la situation pour trouver un « terrain d’entente […] et dresser un plan de traitement et de santé vraiment représentatif de ses besoins, valeurs et préférences »2. La récente réforme des formations de spécialités canadiennes, axée sur « La compétence par conception »3, pourrait faciliter la prise de décision partagée, mais il sera important de veiller à ce qu’elle ait réellement l’effet escompté.
Ensuite, l’article de Louis Lochhead nous enseigne que même les petites choses peuvent avoir de grandes répercussions. L’homme y explique clairement que l’équipe clinique du service de soins intensifs n’a pas répondu à ses attentes de communication régulière. Pourtant, nous disposons de preuves et de guides indiquant que le dialogue ouvert est la fondation de toute prise de décision partagée, même lorsque les médecins et la patientèle ne sont pas immédiatement en accord, et même particulièrement lorsqu’ils sont en désaccord4. Lorsque le besoin de soins critiques se prolonge, il faut parfois réévaluer les objectifs de traitement. Cependant, les différentes parties n’ont pas toutes la même vitesse d’adaptation, et les patientes et patients ne devraient pas être les seuls à faire des efforts. J’ai été choqué de voir comment M. Lochhead avait été affecté par l’omission de lui communiquer la bonne nouvelle que sa femme s’était réveillée. Le personnel des soins intensifs fait généralement preuve d’assiduité dans la communication des mauvaises nouvelles — pour des raisons évidentes — mais est rarement aussi diligent lorsqu’il est question de bonnes nouvelles. Peut-être qu’on tient pour acquis que la famille sera agréablement surprise, qu’on considère cette tâche comme peu urgente ou qu’on souhaite faire preuve de prudence. Pourtant, l’omission d’information positive peut être interprétée comme de la mauvaise foi et de la rigidité d’esprit. Les guides fondés sur des données probantes recommandent toutefois explicitement « des rencontres interdisciplinaires régulières pour améliorer la satisfaction de la famille par rapport à la communication et favoriser la confiance » ainsi que l’emploi d’approches de communication structurées faisant usage « de l’écoute active, des expressions d’empathie et de la rassurance quant au non-abandonnement et à la prise de décision »4.
Enfin, il est fondamental d’améliorer la reconnaissance et la communication de l’incertitude scientifique. L’autonomie des patientes et patients n’est évidemment pas sans limites; par exemple, les médecins ne sont pas tenus de pratiquer des interventions physiologiquement futiles. Toutefois, la définition de la futilité est étroite: l’absence de toute possibilité d’efficacité biologique5. Elle implique donc une certitude de pronostic, chose plutôt rare. Par conséquent, les spécialistes recommandent l’emploi d’autres expressions, comme « non bénéfique » ou « potentiellement inapproprié ». Louis Lochhead explique que les spécialistes des traumatismes craniocérébraux lui ont signifié avec une grande certitude que le pronostic de sa femme était sans espoir. Or, compte tenu de l’évolution clinique de la situation, cette certitude était clairement indue. On sait qu’il est difficile de prédire le rétablissement de personnes ayant subi un traumatisme cérébral6. Cela dit, l’incertitude médicale dans son ensemble, qu’il s’agisse du pronostic, du diagnostic ou de l’efficacité d’un traitement, demeure probablement sous-reconnue et mal communiquée7. Les approches structurées recommandées pour communiquer les objectifs de soins suggèrent souvent de décrire l’incertitude scientifique, de viser une compréhension mutuelle et de revoir les décisions lorsque l’état d’une patiente ou d’un patient change8.
Je salue M. Lochhead pour avoir mis des mots sur son expérience douloureuse et ainsi exposé le problème de confiance qui existe entre le personnel de soins et les personnes ayant une expérience vécue du système de santé. J’espère que le nouveau type d’articles du JAMC sur la confiance dans les soins de santé saura être source d’apprentissage pour les professionnelles et professionnels du milieu — mais aussi être porteur d’espoir.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été commandé et n’a pas été revu par des pairs.
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