Les tests de profilage génomique large sont désormais recommandés chez tous les patients atteints d’un adénocarcinome canalaire pancréatique.
Chez les patients qui y sont candidats, le schéma FOLFIRINOX modifié est la chimiothérapie adjuvante à privilégier, après la résection chirurgicale.
Les approches néoadjuvantes dans les cas de maladie résécable sont de plus en plus courantes et devraient être envisagées chez les patients qui ont des caractéristiques à haut risque, telles qu’un taux élevé d’antigène glucidique 19.9, au moment du diagnostic.
Les patients atteints d’un adénocarcinome canalaire pancréatique (ACCP) à la limite de la résécabilité ou localement avancé devraient recevoir une chimiothérapie d’association inductive si possible, avant d’envisager une résection chirurgicale ou un traitement local.
Si les ressources le permettent, les patients atteints d’un ACCP avancé devraient subir un test de profilage génomique de leur tumeur pour détecter les altérations somatiques que l’on peut cibler à l’aide de traitements.
L’incidence de l’adénocarcinome canalaire pancréatique (ACCP) est en hausse et selon les projections, il pourrait devenir la troisième cause de décès par cancer au Canada1. Même si on connaît les facteurs de risque d’ACCP, la raison de cette incidence croissante est inconnue. La survie globale à 5 ans pour cette maladie s’est améliorée récemment, mais la survie associée à d’autres cancers a nettement plus augmenté2. Selon une étude rétrospective de 2018 sur des patients albertains, plus de 40 % des patients atteints d’un ACCP au stade avancé n’avaient pas été dirigés vers un spécialiste3. La résection chirurgicale demeure la seule intervention à visée curative pour l’ACCP, et seulement 15 %–20 % des patients présentent une maladie résécable4. Il s’agit toutefois d’une maladie hétérogène et plusieurs critères utiles de classification génomique5,6 et sous-types7–9 en fonction de l’ARN ont été identifiés et commencent à orienter les stratégies thérapeutiques pour les patients atteints d’une maladie non résécable; et certaines procurent un avantage sur le plan de la survie. Notre point de départ est une synthèse existante du tableau clinique et du traitement chirurgical de l’ACCP10 et nous présentons les données probantes à l’appui des plus récentes avancées du traitement clinique (encadré 1). Une approche pour le traitement de l’ACCP selon chaque stade est présentée à la figure 1.
Données utilisées pour la présente revue
Nous avons identifié les articles pour cette revue au moyen d’une interrogation des bases de données MEDLINE, Embase et Cochrane et des références tirées d’articles pertinents, à partir d’une combinaison variée des termes anglais suivants « pancreatic cancer », « pancreas », « PDAC », « PDAC genetics » et « PDAC management and treatment ». Nous avons exclu les articles présentés uniquement sous forme de résumés ou de rapports de réunion, et inclus les articles publiés uniquement en anglais entre le 1er janvier 1980 et le 31 mai 2020.
Approche thérapeutique recommandée pour l’adénocarcinome canalaire pancréatique (ACCP). Si possible, pour tous les cas abordés à l’occasion de la Conférence multidisciplinaire sur le cancer, on préconise un profilage génomique et une participation aux essais cliniques, peu importe le stade de la maladie. Remarque: CA19.9 = antigène glucidique 19.9, DRM = déficit de réparation du mésappariement, FOLFOX = 5-fluorouracile, leucovorine et oxaliplatine, mFOLFIRINOX = FOLFIRINOX modifié (5-fluorouracile, irinotécan, leucovorine et oxaliplatine), Tx = traitement. *Chez les patients jugés candidats pour ce schéma thérapeutique. Illustration originale réalisée par l’illustratrice médicale pigiste Christine Kenney.
Qui est à risque de développer un adénocarcinome canalaire pancréatique?
Selon des études d’observation, le tabagisme11, l’obésité12 et un diabète de longue date13 sont associés à un risque plus élevé d’ACCP. Des antécédents familiaux de cancer du pancréas chez un parent au premier degré s’observent chez environ 10 % des patients14, et chez 5 %–7 %, on retrouve des variants pathogènes de lignée germinale dans les gènes BRCA1, BRCA2 et PALB215,16. Même si le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) recommande désormais un dépistage réflexe des lignées germinales à l’aide de tests de profilage génomique large pour les syndromes héréditaires prédisposant au cancer17 dès qu’un nouveau diagnostic d’ACCP est posé afin de faciliter la séquence des tests chez les membres de la famille et d’administrer directement les traitements pour la maladie avancée18, l’accès à ces tests varie d’une région à l’autre du Canada.
Malgré l’incidence croissante de l’ACCP, le dépistage de la maladie dans la population générale n’est pas recommandé par le récent guide du US Preventive Services Task Force19. Chez les patients à risque élevé présentant des syndromes héréditaires prédisposant au cancer, l’échographie endoscopique ou l’imagerie par résonance magnétique sont des modalités de dépistage acceptées20; mais, les répercussions du dépistage sur la mortalité dans cette population n’ont pas été établies.
Comment l’adénocarcinome canalaire pancréatique est-il diagnostiqué et stadifié?
La prise en charge de l’ACCP repose sur la détermination de sa résécabilité. La subjectivité de l’interprétation des clichés a mené à la création de modèles types pour les radiologistes21. La maladie non métastatique se classe au plan anatomique en 3 groupes: cancer du pancréas résécable, à la limite de la résécabilité et localement avancé non résécable, selon la proximité et l’envahissement du réseau vasculaire veineux ou artériel. Pour établir cette classification, il faut des modalités d’imagerie de grande qualité, préférablement un protocole de tomodensitométrie (TDM) pancréatique multiphasique en coupes minces21. Une approche multidisciplinaire et l’expérience cumulée des centres traitant de forts volumes se sont révélées cruciales et ont mené à des changements dans les recommandations thérapeutiques pour près du quart des cas22.
Environ 15 %–20 % des patients présentent les critères d’un ACCP résécable à l’imagerie4,23, défini selon la ligne directrice du NCCN comme une tumeur sans envahissement artériel ou veineux ou ayant un contact de moins de 180° avec la veine mésentérique supérieure ou la veine porte, sans irrégularités du contour veineux21. Dans environ 30 % des nouveaux cas, l’envahissement vasculaire et l’atteinte locale empêcheront toute tentative chirurgicale24 et plus de la moitié des patients ont une maladie métastatique pour laquelle la survie médiane, malgré la chimiothérapie, demeure inférieure à 1 an25,26.
Quelles sont les options thérapeutiques pour les patients opérables?
Résection et chimiothérapie adjuvante
Même si les techniques chirurgicales n’ont pas substantiellement changé depuis une dizaine d’années, pour sa part, le rôle de la chimiothérapie périopératoire évolue (tableau 1). Le traitement adjuvant par gemcitabine a été la norme pendant de nombreuses années29 et a permis de doubler la survie à 5 ans comparativement à la chirurgie seule (10,4 % c. 20,7 %). L’étude ESPAC-4 (European Study Group for Pancreatic Cancer-4) a évalué l’utilisation du traitement adjuvant par gemcitabine c. gemcitabine et capécitabine en association et elle a été la première à démontrer la supériorité de la polychimiothérapie, qui a porté la survie globale (SG) médiane à 28 mois28. En 2018, les résultats de l’essai clinique à étiquetage en clair de phase III28,33 du Canadian Cancer Trial Group/Unicancer-GI–PRODIGE ont transformé la pratique. Dans cette étude, des patients âgés de moins de 79 ans qui avaient un taux d’antigène glucidique 19.9 (CA19.9) postopératoire de 180 U/mL ou moins ont obtenu une attribution aléatoire au schéma FOLFIRINOX modifié (5-fluorouracile, irinotécan, leucovorine et oxaliplatine) ou à la gemcitabine seule. La SG médiane a été de 54,5 mois dans le groupe sous FOLFIRINOX modifié c. 35,0 mois dans le groupe sous gemcitabine seule (rapport de risque [HR] 0,64, intervalle de confiance [IC] à 95 % 0,48–0,86, p = 0,003), une différence étonnamment marquée comparativement aux autres essais sur l’ACCP. Il faut dire que l’âge médian des patients inscrits à cette étude était de 62 ans, soit nettement moindre que l’âge moyen des patients qui reçoivent un diagnostic d’ACCP (70 ans). Comme prévu, la toxicité a été plus marquée dans le groupe sous FOLFIRINOX modifié. En 2019, l’étude APACT (Nab-Paclitaxel Plus Gemcitabine Versus Gemcitabine Alone as Adjuvant Therapy in Subjects With Surgically Resected Pancreatic Adenocarcinoma) a évalué l’association gemcitabine–nab-paclitaxel (nanoparticules liées à l’albumine) c. gemcitabine seule et n’a observé aucune amélioration sur le plan de la survie sans maladie27.
Essais cliniques de phase II et III sélectionnés sur un traitement adjuvant ou néoadjuvant pour l’adénocarcinome canalaire pancréatique résécable
En général, la chimioradiothérapie adjuvante n’a pas amélioré la survie chez les patients atteints d’ACCP34; par contre, on peut l’envisager chez certains patients qui ont des marges de résection positives. Une méta-analyse de 2008 regroupant 4 essais randomisés et contrôlés (ERC) a observé un avantage sur le plan de la survie avec la chimioradiothérapie chez cette cohorte particulière comparativement aux patients qui avaient une résection R0 (c.-à-d., absence de tumeurs microscopiques à 1 mm de la marge de résection)35.
Chimiothérapie néoadjuvante quand la maladie est résécable
De tout temps, la chimiothérapie néoadjuvante a été réservée aux patients qui présentaient un cancer du pancréas à la limite de la résécabilité ou localement avancé non résécable. Les médecins acceptent toutefois de plus en plus que l’ACCP est une maladie systémique et on obtient des taux de guérison plus élevés avec la chirurgie et la polychimiothérapie. Malgré cela, une étude de 2014 menée aux États-Unis sur l’effet des complications postopératoires chez les patients sous chimiothérapie adjuvante a noté qu’un peu moins de 50 % des patients soumis à la résection pour un ACCP de stade I–III n’ont pas reçu de chimiothérapie adjuvante36. Étant donné l’importance du traitement systémique pour augmenter les chances de guérison, une approche reposant sur la chimiothérapie d’abord pourrait être optimale.
En théorie, la chimiothérapie néoadjuvante permettrait une meilleure sélection biologique parce que 25 % des patients présentent une récurrence dans les 6 mois qui suivent la chirurgie37. Ces patients qui ont une récurrence hâtive risquent peu de bénéficier d’une approche chirurgicale. Le traitement néoadjuvant pourrait abaisser le stade de la maladie et accroître la probabilité d’obtenir une résection avec marge négative. Plusieurs établissements aux États-Unis ont adopté cette approche, même si les données des ERC ne sont pas encore disponibles. Le NCCN recommande une approche néoadjuvante uniquement chez les patients dont la maladie est résécable et qui ont des caractéristiques à haut risque, comme un taux élevé de CA19.9, une tumeur volumineuse ou des ganglions régionaux enflés17. On trouve au tableau 1 un sommaire des essais sur la chimiothérapie néoadjuvante effectués à ce jour30–32. On ne dispose pas encore des conclusions de l’Alliance for Clinical Trials in Oncology (ALLIANCE A021806); mais on y trouvera les différences de résultats entre le schéma FOLFIRINOX modifié néoadjuvant et adjuvant. Un essai canadien de phase II est également en cours (tableau 2).
Essais de phase II et III en cours ou complétés sur l’adénocarcinome canalaire pancréatique sélectionnés pour des questions spécifiques
Radiothérapie périopératoire
Le rôle de la radiothérapie préopératoire demeure incertain dans les cas d’ACCP résécable. L’essai PREOPANC (Preoperative chemoradiotherapy versus immediate surgery for resectable and borderline resectable pancreatic cancer)31 a fait état des résultats de la chimioradiothérapie néoadjuvante (gemcitabine) comparativement à la chirurgie d’abord, suivie de gemcitabine en traitement adjuvant chez des patients présentant une maladie résécable ou à la limite de la résécabilité. Plus de la moitié des patients inscrits avaient un ACCP résécable. La survie globale ne s’est pas améliorée. Par contre, la chimioradiothérapie préopératoire a été associée à une meilleure survie sans maladie. En outre, chez les patients soumis à la chirurgie et à la chimiothérapie adjuvante, la survie a été meilleure que dans le groupe sous traitement néoadjuvant (35 mois c. 20 mois).
Maladie à la limite de la résécabilité
Les patients sont considérés comme atteints d’un ACCP à la limite de la résécabilité si la tumeur touche des artères majeures (p. ex., tronc cœliaque, artère mésentérique supérieure ou artère hépatique commune), mais à moins de 180° de circonférence. La veine porte ou la veine mésentérique supérieure peuvent être touchées dans l’ACCP à la limite de la résécabilité, dans la mesure où le contour du vaisseau est préservé17. Longtemps, l’atteinte du réseau vasculaire a été considérée comme un critère d’exclusion pour la chirurgie à visée curative puisqu’il était difficile d’obtenir des marges négatives39 et que le risque de propagation micrométastatique était plus élevé40. Or, plusieurs études qui ont évalué les approches néoadjuvantes ont depuis remis en cause cette convention en montrant une conversion vers la résécabilité et des résultats semblables à ceux de l’ACCP résecable41–44. Une méta-analyse de 2019 regroupant 313 patients porteurs d’un cancer du pancréas à la limite de la résécabilité qui ont reçu un traitement par FOLFIRINOX (24 études: 16 rétrospectives et 8 prospectives) a fait état d’une SG médiane de 22,2 mois45. L’imagerie après le traitement néoadjuvant ne montrera pas toujours une réponse radiographique46. La résection devrait néanmoins être envisagée, à moins de signes de progression ou de déclin du statut fonctionnel lors du suivi47.
On manque de données probantes solides pour appuyer l’utilisation de la chimioradiothérapie en association pour l’ACCP à la limite de la résécabilité48. Une étude de 2018 menée dans un établissement universitaire aux États-Unis a regroupé 48 patients dans un essai clinique de phase II comportant un seul groupe; l’essai portait sur le schéma FOLFIRINOX suivi d’une radiothérapie à court ou à long terme. Parmi les 32 patients (67 %) qui ont subi la résection, la SG médiane a été de 37,7 mois, ce qui suggère un avantage associé à cette approche49. Le rôle de la radiothérapie stéréotaxique corporelle dans l’ACCP à la limite de la résécabilité reste à vérifier. L’essai ALLIANCE A021501 en cours souhaite comparer le traitement par FOLFIRINOX avec et sans radiothérapie stéréotaxique corporelle pour la prise en charge préopératoire des tumeurs à la limite de la résécabilité (ClinicalTrials.gov, no NCT02839343); par contre, le groupe soumis à la radiothérapie stéréotaxique corporelle dans le cadre de cette étude a récemment été aboli en raison de sa futilité, et les résultats finaux sont attendus.
Comment devrait-on soigner les patients atteints d’une maladie localement avancée?
Environ 30 % des patients atteints d’un ACCP ont une maladie localement avancée non résécable, avec envahissement vasculaire substantiel au moment du diagnostic24, ce qui est généralement une contre-indication à la chirurgie à visée curative. L’essai SCALOP (Selective Chemoradiation in Advanced LOcalised Pancreatic Cancer)50 et une revue systématique qualitative de 200951 ont fait état de métastases subcliniques chez 50 % des patients que l’on croyait à l’origine atteints seulement d’une maladie localement avancée à partir des épreuves d’imagerie transversale. La chimiothérapie d’induction peut, par conséquent, donner du temps, permettre l’identification des patients susceptibles de progresser et la sélection des traitements appropriés50,51.
Traitements systémiques
Aucune recommandation standard n’existe pour le traitement systémique initial chez les patients atteints d’un cancer du pancréas localement avancé non résécable. La plupart des établissements ont surtout utilisé les schémas pour la maladie métastatique chez les patients atteints d’une maladie localement avancée non résécable en raison de l’absence de solides données probantes pour cette catégorie de patients. Une revue systématique et méta-analyse de 2016 sur FOLFIRINOX regroupant 689 patients atteints d’un cancer du pancréas localement avancé non résécable a fait état d’une SG médiane de 24,2 mois52. Plusieurs de ces patients ont reçu un traitement local additionnel après la chimiothérapie, et le quart ont en fait bien répondu à la chimiothérapie et ont pu subir une résection chirurgicale. L’étude LAPACT, une étude internationale de phase II à étiquetage en clair multicentrique sur le nab-paclitaxel (Abraxane) plus gemcitabine chez des patients atteints d’un cancer du pancréas localement avancé (CPLA) a évalué ce schéma et constaté une réponse de 33,6 %. Au cours de cette étude, 16 % des patients ont subi une chirurgie, et 7 ont bénéficié d’une résection avec des marges microscopiques négatives53. L’ajout d’agents novateurs pour abaisser le stade de la maladie et permettre la chirurgie est un domaine de recherche actif (tableau 2).
Traitements locaux
Les patients atteints d’un ACCP localement avancé non résécable peuvent présenter une morbidité considérable. La douleur abdominale rebelle et la sténose du défilé gastrique sont les 2 plus fréquentes causes d’hospitalisation54. Jusqu’à 33 % des patients atteints d’un cancer du pancréas localement avancé non résécable décéderont des complications liées à la progression locale, telle qu’hémorragie et perforation55. La chimioradiothérapie ou la radiothérapie stéréotaxique corporelle administrée après la chimiothérapie dans le but de consolider les réponses, n’ont pas encore montré qu’elles amélioraient la SG. On peut difficilement diriger les doses de radiothérapie vers les tumeurs pancréatiques en raison de leur proximité avec les organes creux telles que l’intestin grêle et l’estomac; la radiothérapie dirigée vers ces organes peut entraîner une toxicité aiguë56. Le groupe Stanford recrute actuellement des patients pour une étude de phase III sur le schéma FOLFIRINOX modifié, avec et sans radiothérapie stéréotaxique corporelle, pour le cancer du pancréas localement avancé non résécable (tableau 2).
Parmi les autres traitements locaux en cours d’évaluation pour la maladie localement avancée non résécable, mentionnons l’électroporation irréversible, une technique non thermique de destruction locale qui génère un courant direct à travers la tumeur57. Des études rétrospectives sur l’innocuité et l’efficacité de l’électroporation irréversible pour le cancer du pancréas localement avancé non résécable ont donné des résultats mitigés, et une revue systématique de 2019 a fait état de morbidité associée au traitement chez 1 patient sur 358. L’étude multicentrique prospective PANFIRE-2 (Percutaneous Irreversible Electroporation in Locally Advanced and Recurrent Pancreatic Cancer), au cours de laquelle des patients atteints d’un cancer du pancréas localement avancé non résécable recevaient soit une chimiothérapie d’induction à base de gemcitabine soit FOLFIRINOX suivi de l’électroporation irréversible59, a fait état d’une SG de 17 mois à partir du diagnostic dans les 2 groupes. Des essais randomisés et contrôlés doivent être effectués si on veut déterminer le rôle de l’électroporation irréversible; une étude de faisabilité recrute actuellement des patients au Réseau universitaire de santé de Toronto (ClinicalTrials.gov, no NCT03257150).
Quels progrès ont été réalisés dans le traitement de la maladie métastatique?
Les patients atteints d’un ACCP devraient être encouragés à participer aux essais cliniques sur des traitements. Les schémas standard de première intention incluent FOLFIRINOX25 modifié et gemcitabine–nab-paclitaxel26. Le traitement par gemcitabine–nab-paclitaxel n’est remboursé qu’à titre d’agent de première intention dans la plupart des provinces canadiennes et ne l’est pas si d’autres agents ont été préalablement essayés, ce qui limite les options dans la séquence des traitements envisageables. Le seul schéma de seconde intention à avoir montré une amélioration de la survie chez les patients est l’association irinotécan liposomique/5-fluorouracile (essai NAPOLI-1), qui n’est pas remboursée actuellement par les régimes publics au Canada60. Même si aucun ERC n’a encore été fait pour comparer les schémas FOLFIRINOX modifié et gemcitabine–nab-paclitaxel, l’essai nord-américain multicentrique PASS-01 (Pancreatic Adenocarcinoma Signature Stratification for Treatment-01) recrute actuellement (ClinicalTrials.gov, no NCT04469556). Cette étude vise à établir des biomarqueurs prédictifs pour ces 2 schémas (tableau 2). Une récente étude a montré qu’un sous-type d’ACCP à ARN basaloïde est plus résistant à la chimiothérapie et, en particulier, à FOLFIRINOX61.
La présence d’un variant pathogène de lignée germinale dans les gènes BRCA1, BRCA2 ou PALB2 est actuellement le seul biomarqueur moléculaire qui peut orienter les médecins vers des schémas à base de platine, comme FOLFIRINOX modifié. Chez les patients porteurs de ces biomarqueurs, la tumeur risque d’être inapte pour la réparation de la recombinaison homologue, c’està-dire incapable de réparer les cassures de l’ADN double brin. Des schémas à base de platine comme FOLFIRINOX ou cisplatine et gemcitabine devraient être envisagés18 parce que le platine exploite cette faiblesse de la tumeur. L’essai POLO (Pancreas Cancer Olaparib Ongoing) de 2019 a mené à l’approbation par Santé Canada de l’olaparib, un inhibiteur de la poly(ADP-ribose) polymérase, comme approche au traitement d’entretien chez les patients porteurs d’un variant pathogène de lignée germinale dans les gènes BRCA1 ou BRCA2, qui a donné lieu à une maîtrise de la maladie après 4 mois de traitement à base de platine. Dans cet essai international de phase III, 154 patients ont obtenu une attribution aléatoire à un traitement d’entretien par olaparib c. placebo (3:2), et les patients sous traitement actif ont présenté une meilleure survie sans maladie, mais aucune différence sur le plan de la SG ni amélioration de la qualité de vie18. Même si l’olaparib a été approuvé par Santé Canada, son utilisation n’est pas remboursée par les régimes publics à l’heure actuelle et les patients doivent en assumer les frais.
Quels sont les traitements ciblés émergents pour l’ACCP?
Quatre-vingt-dix pour cent des ACCP hébergent une mutation KRAS oncogène pour laquelle aucun agent ciblé n’avait encore été mis au point avec succès. Mais un variant spécifique de l’oncogène KRAS au niveau du codon 12 (G12C), qui s’observe dans 1 %–2 % des cas d’ACCP, se révèle prometteur comme cible potentielle. En 2019, l’essai CodeBreak 100 a fait état d’une maîtrise de la maladie chez 9 patients sur 11 ayant reçu un agent ciblant le G12C64. Cette étude ouvre la porte à plus d’inhibiteurs de l’oncogène KRAS, ce qui pourrait transformer les traitements. En outre, les changements du nombre de copies d’ADN dans le gène KRAS mutant pourraient modifier l’agressivité de certaines tumeurs et l’hypoxie tumorale fréquente pourrait atténuer les réponses au traitement dans l’ACCP62,63. Plusieurs autres cibles somatiques peu fréquentes que l’on pourrait éventuellement viser figurent parmi les ACCP à gène KRAS de type sauvage, qui représentent environ 5 %–10 % des cas65,66. Les fusions de gènes impliquant NTRK67, NRG168,69, RET69 et ALK70 sont importantes pour identifier ce sous-type d’ACCP. De plus, des altérations du gène BRAF ont été signalées dans l’ACCP à gène KRAS de type sauvage65,66,71. En 2020, l’essai portant sur le registre Know Your Tumor a fait état d’un avantage sur la survie lorsque les patients et les traitements étaient assortis, ce qui souligne l’importance du profilage somatique des tumeurs72.
Le stroma desmoplastique caractéristique qui enveloppe les cellules tumorales pancréatiques peut aussi promouvoir la tumorigenèse et inhiber la réponse au traitement systémique. Plusieurs agents ciblant le stroma ont échoué lors d’essais cliniques, même si d’autres sont en cours d’investigation73. Le volumineux essai de phase III HALO 109–301, sur l’ajout de PEGPH20 (un agent biologique) au schéma gemcitabine–nab-paclitaxel, n’a démontré aucun avantage pour ce qui est des tumeurs ayant une forte expression d’acide hyaluronique, malgré des données de phase II prometteuses74.
L’adénocarcinome canalaire pancréatique est considéré comme une tumeur « froide » au plan immunologique, car peu de lymphocytes infiltrent la tumeur et le fardeau tumoral mutationnel est faible.
Selon une hypothèse, l’association d’une chimiothérapie avec des inhibiteurs du point de contrôle immunitaire pourrait stimuler le système immunitaire et induire une antigénicité. Toutefois, l’essai randomisé PA.7, du Canadian Cancer Trials Group (CCTG) a révélé en 2020 qu’il n’y avait aucun avantage à ajouter le trémélimumab et le durvalumab au schéma gemcitabine–nabpaclitaxel en traitement de première intention chez les patients porteurs d’une maladie métastatique38. La SG médiane a été de 8,8 mois, contre 9,8 mois pour le groupe expérimental (p = 0,7).
D’autres stratégies visant à susciter une réponse immunitaire incluent les vaccins et l’immunothérapie adoptive; toutefois, ces modalités ne se sont pas révélées efficaces dans les cas d’ACCP. À noter, les ACCP qui présentent une anomalie de la réparation des mésappariements de l’ADN sont des tumeurs « chaudes », très immunogènes. Elles représentent moins de 1 % de ces tumeurs; les tumeurs chaudes peuvent émaner de variants pathogènes de lignée germinale défectueuse dans les gènes de réparation des mésappariements, aussi connus sous le nom de syndrome de Lynch, ou en raison d’altérations somatiques de ces gènes75. Le déficit de réparation du mésappariement de l’ADN est devenu le premier biomarqueur agnostique pour lequel a été approuvé le pembrolizumab (un inhibiteur des points de contrôle immunitaires du récepteur PD-1 [Programmed Cell Death Protein-1)76. Sur les 86 patients d’une étude déterminante, 8 avaient déjà été traités pour un ACCP avancé et 5 ont répondu au pembrolizumab, dont 2 ont manifesté des réponses complètes76. Toutefois, l’essai KEYNOTE-158 de 2020, qui incluait 22 patients présentant un ACCP avec déficit de réparation du mésappariement de l’ADN, a fait état de seulement 4 patients ayant présenté une réponse documentée (1 réponse complète et 3 réponses partielles, taux de réponse objective 18,2 %)77. Malgré un robuste biomarqueur du déficit de réparation du mésappariement de l’ADN, les patients canadiens ont un accès limité aux inhibiteurs du récepteur PD-1 et doivent souvent se tourner vers les essais cliniques pour y avoir accès.
Conclusion
L’amélioration des résultats a été lente chez les patients atteints d’ACCP, même si d’importantes percées scientifiques ont permis au corps médical de mieux comprendre cette maladie mortelle. Les patients canadiens ont un accès limité aux nouveaux médicaments qui pourraient améliorer les résultats et on connaît trop peu les options thérapeutiques. Le rôle de la chimiothérapie néoadjuvante dans l’ACCP résécable a été défini. Le profilage des lignées germinales et somatiques permettra d’identifier d’autres patients susceptibles de bénéficier d’une approche personnalisée pour les tumeurs sensibles à des traitements susceptibles de prolonger la survie. Il faudra approfondir la recherche en cours sur l’interconnexion complexe entre tumeur, stroma et microenvironnement tumoral pour mieux sélectionner les agents qui ciblent ces compartiments. Les médecins canadiens devraient diriger les patients atteints d’ACCP vers des spécialistes, encourager leur participation à des essais cliniques et soutenir la recherche collaborative sur de nouvelles modalités thérapeutiques.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201450
Intérêts concurrents: Grainne O’Kane a reçu des honoraires de consultation et autres d’AstraZeneca, Roche et Eisai indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt concurrent déclaré.
Cet article a été commandé et a été révisé par les pairs.
Collaborateurs: Grainne O’Kane et Farah Ladak ont contribué à parts égales. Tous les auteurs ont substantiellement participé à la préparation du manuscrit, à la rédaction de l’ébauche et aux révisions; ils ont approuvé la version finale pour publication, se portent garants de tous les aspects du travail, et s’assurent que les questions relatives à l’exactitude ou à l’intégrité fassent l’objet d’une recherche appropriée.
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