Abstract
Contexte: La pandémie de COVID-19 a affecté de manière disproportionnée les travailleurs de la santé. Nous avons voulu mesurer la séroprévalence du SRAS-CoV-2 chez les travailleurs de la santé dans les hôpitaux du Québec, au Canada, après la première vague de la pandémie, afin d’explorer les facteurs associés à la SRAS-CoV-2-séropositivité.
Méthodes: Entre le 6 juillet et le 24 septembre 2020, nous avons recruté des travailleurs de la santé de 10 hôpitaux, dont 8 d’une région où l’incidence de la COVID-19 était élevée (région de Montréal) et 2 de régions du Québec où l’incidence était faible. Les travailleurs de la santé admissibles étaient des médecins, des infirmières, des préposées aux bénéficiaires et des préposés à l’entretien ménager travaillant dans 4 types d’unité de soins (urgences, soins intensifs, unité hospitalière COVID-19 et unité hospitalière non-COVID-19). Les participants ont répondu à un questionnaire et subi un dépistage sérologique du SRAS-CoV-2. Nous avons identifié les facteurs ayant un lien indépendant avec une séroprévalence plus élevée.
Résultats: Parmi les 2056 travailleurs de la santé recrutés, 241 (11,7 %) se sont révélés SRAS-CoV-2-positifs. Parmi eux, 171 (71,0 %) avaient déjà reçu un diagnostic de COVID-19. La séroprévalence a varié d’un hôpital à l’autre, de 2,4 %–3,7 % dans les régions où l’incidence était faible, à 17,9 %–32,0 % dans les hôpitaux ayant connu des éclosions touchant 5 travailleurs de la santé ou plus. La séroprévalence plus élevée a été associée au fait de travailler dans un hôpital où des éclosions sont survenues (rapport de prévalence ajusté 4,16, intervalle de confiance [IC] à 95 % 2,63–6,57), au fait d’être infirmière ou auxiliaire (rapport de prévalence ajusté 1,34, IC à 95 % 1,03–1,74), préposée aux bénéficiaires (rapport de prévalence ajusté 1,49, IC à 95 % 1,12–1,97) et d’ethnicité noire ou hispanique (rapport de prévalence ajusté 1,41, IC à 95 % 1,13–1,76). La séroprévalence moindre a été associée au fait de travailler dans une unité de soins intensifs (rapport de prévalence ajusté 0,47, IC à 95 % 0,30–0,71) ou aux urgences (rapport de prévalence ajusté 0,61, IC à 95 % 0,39–0,98).
Interprétation: Les travailleurs de la santé des hôpitaux du Québec ont été exposés à un risque élevé d’infection par le SRAS-CoV-2, particulièrement lors des éclosions. Il faudra travailler à mieux comprendre la dynamique de la transmission du SRAS-CoV-2 dans les milieux de soins.
La pandémie de COVID-19 a affecté de manière disproportionnée les travailleurs de la santé. En France, en Espagne, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis, au moins 10 % des cas signalés au printemps 2020 touchaient des travailleurs de la santé1. Au Québec, 25 % (14 177 sur 56 565) de tous les cas déclarés durant la première vague de la pandémie, de mars à juillet 2020, touchaient des travailleurs de la santé2, dont environ 33 % travaillaient dans des hôpitaux de soins aigus1. La région de Montréal a été la plus affectée au Québec et au Canada au cours de la première vague, atteignant un taux d’incidence de COVID-19 de 1336 par 100 000 de population2.
Le nombre de cas de COVID-19 recensés parmi les travailleurs de la santé est une sous-estimation du nombre de personnes ayant contracté le SRAS-CoV-2 durant cette période, car l’accès limité aux tests a eu pour effet que des infections asymptomatiques ou paucisymptomatiques sont passées sous le radar3. Les études de séroprévalence sont un outil important pour mesurer la proportion de personnes ayant contracté le SRAS-CoV-2, tant dans la population générale que chez les travailleurs de la santé4. Après la première vague au Québec, la séroprévalence du SRAS-CoV-2 chez les adultes de 18–69 ans a été faible (3,1 % à Montréal et 1,3 % dans les régions moins affectées), mais cette proportion pourrait être bien plus élevée chez le personnel hospitalier qui devait travailler malgré l’arrêt général des activités sociales et économiques, surtout s’ils étaient exposés à d’importantes éclosions5.
Seulement 2 autres études canadiennes ont estimé la séroprévalence du SRAS-CoV-2 chez les travailleurs de la santé et elles proviennent d’un seul et même centre6,7. À l’extérieur du Canada, la plupart des études de séroprévalence menées auprès de travailleurs de la santé n’incluent qu’un seul site et ne fournissent pas d’estimation représentative pour une région déterminée8. Plusieurs études ont fait état d’une séroprévalence plus élevée parmi les travailleurs de la santé des unités qui soignaient des patients atteints de COVID-19 (unités COVID-19) comparativement à d’autres unités (unités non-COVID-19), aux services d’urgence ou aux unités de soins intensifs9,10. D’autres études n’ont pas établi de tels liens11,12. Dans la présente étude, nous avons voulu évaluer la séroprévalence des anticorps anti-SRAS-CoV-2 chez les travailleurs de la santé hospitaliers de divers milieux après la première vague de la pandémie au Québec et explorer les facteurs associés à la séropositivité au SRAS-CoV-2.
Méthodes
Population et plan
Nous avons procédé à une étude de séroprévalence transversale chez des travailleurs de la santé des hôpitaux entre le 6 juillet et le 24 septembre 2020. Les travailleurs de la santé ciblés étaient des médecins, des infirmières, des auxiliaires, des préposées aux bénéficiaires et des employés d’entretien ménager. Les travailleurs de la santé recrutés devaient avoir plus de 18 ans, être affectés à leur unité pour la totalité du quart de travail au cours duquel le recrutement a été fait et prodiguer des soins directs aux patients (ou, dans le cas du personnel d’entretien ménager, être directement exposés à leur environnement). Nous n’avons pas exclu les gens qui avaient déjà obtenu un résultat positif au test de dépistage du SRAS-CoV-2.
Recrutement et collecte des données
Nous avons recruté des travailleurs de la santé de 10 hôpitaux de soins aigus qui accueillaient des patients atteints de COVID-19 au Québec (annexe 1, tableau supplémentaire 1, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202783/tab-related-content). Huit hôpitaux sont situés à Montréal, une région qui a été plus affectée (1336 cas par 100 000 personnes) que la moyenne provinciale (662 cas par 100 000) durant la première vague2. Les 2 autres hôpitaux sont situés dans les régions des Cantons-de-l’Est (200 cas par 100 000 personnes) et de la Capitale-Nationale (249 cas par 100 000 personnes).
Nous avons recruté des participants attachés à 4 types d’unités de soins, soit, urgences, unités de soins intensifs, unités hospitalières COVID-19 et unités hospitalières non-COVID-19, en ciblant 50 travailleurs de la santé par unité par hôpital. Nous voulions documenter la séroprévalence dans divers milieux, y compris certains qui soignaient des patients atteints de COVID-19. Lorsque le nombre de travailleurs de la santé était élevé (surtout aux urgences), les sites hospitaliers étaient autorisés à sélectionner un nombre limité de jours de travail afin de réduire le nombre de travailleurs de la santé admissibles à l’étude. Quelques unités COVID-19 et non-COVID-19 ne comptaient pas suffisamment de travailleurs de la santé pour atteindre l’objectif et nous avons élargi le recrutement à une unité additionnelle dont la clientèle et l’environnement étaient similaires. L’équipement de protection individuelle était facilement accessible dans toutes les unités.
Pour chaque unité, nous avons obtenu une liste des travailleurs de la santé. Nous les avons tous invités par courriel et avons envoyé 3 rappels à 48 heures d’intervalle aux personnes qui n’avaient pas répondu. Nous avons recruté les premiers travailleurs de la santé consécutifs qui ont montré leur intérêt à participer (jusqu’à 75 travailleurs de la santé) lorsque le message a été envoyé.
Les travailleurs de la santé participants ont répondu à un questionnaire en ligne comportant 18 questions sur leurs caractéristiques sociodémographiques, leur état de santé et leur milieu de travail, et une question sur la présence de symptômes de COVID-19 ressentis depuis le 1er mars 2020. Nous avons demandé aux participants d’indiquer leur ethnicité, étant donné qu’elle a été associée à la séroprévalence13. Le questionnaire était accessible en anglais et en français. Les travailleurs de la santé admissibles ont également fourni des échantillons sérologiques; ils devaient répondre au questionnaire et se soumettre aux tests sérologiques pour être admis.
Chaque investigateur des sites hospitaliers a également répondu à un bref questionnaire, principalement pour décrire les éclosions survenues dans les unités participantes. Les participants étaient classés comme attachés à un hôpital où des éclosions étaient survenues si au moins 1 unité participante de leur hôpital avait connu une éclosion touchant 5 travailleurs de la santé ou plus, puisque dans ces hôpitaux, des éclosions ont souvent été documentées ou soupçonnées dans toutes les unités participantes ou presque.
Nous avons validé les cas autodéclarés de COVID-19 chez les participants à l’aide d’une base de données provinciale regroupant les résultats des tests de dépistage du SRAS-CoV-2 par réaction en chaîne de la polymérase (PCR)2. Pour déterminer le moment des prélèvements sanguins en lien avec l’activité de la COVID-19 au Québec, nous avons extrait les données sur le nombre hebdomadaire de cas de COVID-19 présenté sur le site Web de l’Institut national de santé publique du Québec2.
Tests sérologiques
Les tests sérologiques pour le dépistage de 2 sous-unités (S1/S2) de la protéine de spicule du SRAS-CoV-2 ont reposé sur des immunodosages par chimiluminescence indirecte des immunoglobulines G (IgG) anti-S1/S2 (analyseur LiaisonXL et test IgG anti-S1/S2 du SRAS-CoV-2 LIAISON de DiaSorin, conformément aux instructions du fabricant). À partir d’un spécimen de 20 μL, l’analyseur a calculé automatiquement les concentrations d’anticorps exprimées sous forme d’unités arbitraires (UA/mL), et classé les résultats. La limite de détection était de 3,8 UA/mL et les résultats de 15 UA/mL ou plus étaient considérés positifs. Une étude menée au Québec a fait état d’une sensibilité de 82 %–88 % (≥ 35 jours après l’infection) et d’une spécificité de 100 % avec cet immunodosage14. Un sous-ensemble de spécimens sérologiques a été analysé à l’aide d’une seconde méthode, le test COVID-19 IgG/IgM NADAL, qui détecte le domaine de liaison au récepteur anti-S1 (Nal von Minden, annexe 1).
Analyse statistique
Nous avons essayé de recruter 200 travailleurs de la santé par hôpital et 50 par unité pour obtenir une précision de ± 2 % à l’échelle des hôpitaux et de ± 4 % à l’échelle des unités, avec un intervalle de confiance (IC) à 95 %. Nous avons présumé une séroprévalence de 20 % dans les 8 hôpitaux montréalais (nhôpital = 1600, IC à 95 %, 18 %–22 %; nunité = 400, IC à 95 %, 16 %–24 %) et une séroprévalence de 5 % dans les 2 hôpitaux des régions où l’incidence était faible (nhôpital = 400, IC à 95 %, 3 %–7 %; nunité = 100, IC à 95 %, 1 %–9 %).
Nous avons estimé la séroprévalence dans chaque hôpital et l’avons comparée en fonction de diverses caractéristiques des participants. Nous avons comparé les proportions en utilisant les tests du χ2 ou de Fisher, selon le cas. Les analyses univariées ont permis d’identifier les variables associées à la séropositivité que nous avons incluses dans les analyses multivariées. Nous avons utilisé la régression par équation d’estimation généralisée (EEG) log-binominale, qui expliquait certains regroupements à l’intérieur des unités et des hôpitaux15, pour identifier les facteurs indépendamment associés à la séropositivité, évalués avec les rapports de prévalence ajustés. Nous avons mesuré la colinéarité du modèle final. Nous avons aussi calculé la sensibilité des tests (proportion de participants ayant une sérologie positive parmi les participants porteurs d’une infection confirmée par PCR). Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide de la version 9.4 du logiciel statistique SAS. Nous avons établi le seuil de signification à 5 % et tous les tests étaient bilatéraux.
Approbation éthique
Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique du CHU de Québec-Université Laval.
Résultats
Nous avons invité 4409 travailleurs de la santé à participer (figure 1). Parmi eux, 2521 (57,2 %) ont signé le formulaire de consentement, 2223 (50,4 %) étaient admissibles et 2056 (46,6 %) ont fourni un spécimen de sang et ont été inclus dans les analyses. Le taux de participation dans les unités a varié de 43,1 % à 49,2 %. Le taux de participation a été le plus élevé parmi les médecins (77,2 %) et moins élevé parmi les infirmières (44,0 %), les auxiliaires (36,6 %), le personnel d’entretien ménager (46,7 %) et les préposées aux bénéficiaires (31,0 %).
Diagramme du déroulement de l’étude. TdlS = travailleur de la santé.
Les spécimens de sang ont été prélevés entre le 6 juillet et le 24 septembre 2020, entre la première et la seconde vague de la pandémie, lorsque l’activité de la COVID-19 était faible au Québec (figure 2). Aucune éclosion de COVID-19 n’a été notée dans les unités ciblées pendant la période de l’étude.
Nombre de cas de COVID-19 hebdomadaires confirmés au Québec et spécimens de sang recueillis pour la présente étude.
Travailleurs de la santé
En tout, 1630 (79,3 %) des 2056 participants travaillaient dans un hôpital d’une région où l’incidence était élevée et 426 (20,7 %) dans un hôpital d’une région où l’incidence était faible (tableau 1). En ordre décroissant, les participants travaillaient surtout aux urgences (28,2 %), dans une unité de soins intensifs (22,9 %), une unité COVID-19 (21,2 %) et une unité non-COVID-19 (21,3 %). Il s’agissait en majorité de membres du personnel infirmier (57,8 %), âgés de 30–49 ans (57,9 %), de sexe féminin (76,1 %), nés au Canada (75,3 %) et de race blanche (77,6 %). Juste un peu plus du tiers des participants ont dit avoir présenté des symptômes correspondants à la COVID-19 après le 1er mars 2020 (37,4 %) et environ la moitié avait subi au moins 1 test PCR (54,6 %). Pour la plupart, ils avaient travaillé plus de 3 jours par semaine dans une unité COVID-19 après le 1er mars 2020 (60,0 %), mais une proportion moindre avait travaillé à l’occasion ou régulièrement dans une unité durant une éclosion de COVID-19 (41,0 %) ou avait été exclue du travail après un contact étroit avec un cas confirmé (13,9 %; tableau 1).
Séroprévalence des anticorps anti-SRAS-CoV-2 selon les caractéristiques des participants
Séroprévalence
En tout, 241 (11,7 %) des 2056 travailleurs de la santé ont présenté des résultats sérologiques positifs. La séroprévalence était plus faible dans les régions où l’incidence était moindre (3,1 %, IC à 95 % 1,8 %–5,4 %) que dans la région où l’incidence était plus élevée (14,0 %, IC à 95 % 12,3 %–15,8 %; figure 3). Dans la région où l’incidence était élevée, 4 hôpitaux ont connu des éclosions qui ont touché 5 travailleurs de la santé ou plus dans 1 des unités ciblées ou plus. La séroprévalence variait de 17,9 % à 32,0 % (moyenne 23,6 %, IC à 95 % 20,6 %–26,7 %) dans les hôpitaux ayant connu des éclosions de COVID-19, contre 4,7 % à 7,4 % (moyenne 6,5 %, IC à 95 % 5,0 %–8,4 %) dans les 4 hôpitaux n’ayant connu aucune éclosion.
Séroprévalence par hôpital (A–J) et type de région. Chaque lettre correspond à un hôpital. Les hôpitaux A et B sont situés dans des régions où l’incidence de la COVID-19 était faible durant la première vague de la pandémie (Capitale-Nationale et Cantons-de-l’Est). Les hôpitaux C–J sont situés dans la région de Montréal qui a connu une forte incidence de cas de COVID-19 durant la première vague. Remarque: IC = intervalle de confiance.
La séroprévalence a été plus élevée chez les travailleurs de la santé qui oeuvraient principalement dans les unités hospitalières COVID-19 et non-COVID-19 que chez ceux qui travaillaient principalement aux urgences ou aux soins intensifs (tableau 2). La séroprévalence a été étroitement associée à la présence ou à l’absence d’éclosions dans les unités hospitalières COVID-19 et non-COVID-19. Dans les 4 hôpitaux où des éclosions sont survenues, la séroprévalence moyenne a été de 33,4 % chez le personnel des unités hospitalières.
Séroprévalence des anticorps anti-SRAS-CoV-2 par hôpital et principale unité de travail
Facteurs associés à la séropositivité
Les facteurs associés à la séropositivité dans les analyses non ajustées incluaient l’incidence régionale de COVID-19, le fait de travailler dans un hôpital où des éclosions sont survenues, la principale unité de travail, l’occupation et l’ethnicité (tableau 1). Le lien entre l’âge (p = 0,6) et le sexe (p = 0,3) et la séropositivité n’a pas été statistiquement significatif.
Dans des modèles multivariés (tableau 3), comparativement aux participants qui travaillaient principalement dans une unité hospitalière non-COVID-19, la séropositivité a été moindre chez ceux qui travaillaient aux urgences (taux de prévalence ajusté 0,61, IC à 95 % 0,39–0,98) ou aux soins intensifs (taux de prévalence ajusté 0,47, IC à 95 % 0,30–0,71); la séropositivité a été numériquement mais non significativement plus élevée chez ceux qui travaillaient dans une unité hospitalière COVID-19 (taux de prévalence ajusté 1,48, IC à 95 % 0,93–2,36). Le fait d’être infirmière, auxiliaire (taux de prévalence ajusté 1,34, IC à 95 % 1,03–1,74) ou préposée aux bénéficiaires (taux de prévalence ajusté 1,49, IC à 95 % 1,12–1,97) a été significativement associé à la séropositivité, comparativement à la situation des médecins, ce qui n’a pas été le cas pour le personnel d’entretien ménager (taux de prévalence ajusté 0,88, IC à 95 % 0,50–1,54). L’ethnicité noire ou hispanique a aussi été associée à la séropositivité comparativement au fait d’être de race blanche (taux de prévalence ajusté 1,41, IC à 95 % 1,13–1,76). En terminant, travailler dans un hôpital où une éclosion touchant 5 travailleurs de la santé ou plus était survenue dans une unité ou plus ciblée pour le recrutement a été étroitement associé à une séropositivité plus élevée (taux de prévalence ajusté 4,16, IC à 95 % 2,63–6,57).
Taux de prévalence brut et ajusté selon les variables indépendamment associés à la séroprévalence des anticorps anti-SRAS-CoV-2
Résultats des analyses de laboratoire
Parmi les 193 participants ayant fait état d’un diagnostic d’infection SRAS-CoV-2 confirmé par PCR avant le prélèvement sanguin, 171 (88,6 %) ont obtenu des résultats sérologiques positifs et 172 (89,1 %) ont déclaré avoir présenté des symptômes de COVID-19. Parmi les 2056 participants, 171 (8,3 %) ont déclaré avoir reçu un diagnostic confirmé par PCR et des tests sérologiques positifs, 22 (1,1 %) ont eu des résultats sérologiques négatifs malgré un diagnostic confirmé par PCR, et 70 (3,4 %) ont présenté une sérologie positive en l’absence de diagnostic d’infection au SRAS-CoV-2 confirmé par PCR. Parmi ces derniers, 32 (45,7 %) avaient présenté des symptômes de COVID-19. Parmi les 1791 participants dont les résultats sérologiques étaient négatifs et qui n’avaient pas reçu de résultats de COVID-19, un pourcentage plus faible (32,2 %) a déclaré avoir présenté des symptômes. Globalement, 171 (71 %) participants sur 241 dont les analyses sérologiques étaient positives ont fait état d’un diagnostic d’infection au SRAS-CoV-2 confirmé par PCR.
Pour 190 participants sur 193 (98,4 %) ayant fait état d’un diagnostic confirmé par PCR, le résultat positif au test PCR a été retrouvé dans la base de données provinciale. Les résultats des tests IgG/IgM pour le domaine de liaison au récepteur anti-S1 n’ont modifié que légèrement les estimations de séroprévalence, comparativement aux résultats principaux (annexe 1, résultats supplémentaires).
Interprétation
Nous avons observé une séroprévalence plus élevée d’infection au SRAS-CoV-2 parmi les travailleurs de la santé de 8 hôpitaux montréalais comparativement à 2 hôpitaux de régions du Québec où l’incidence était moindre. La séroprévalence observée dans cette population à Montréal était similaire à celle qu’ont enregistrée les régions gravement affectées par la pandémie en Europe11,13,16–18, mais inférieure à celle des épicentres de la pandémie à Londres et à New York19–21. La séroprévalence dans les hôpitaux montréalais a été fortement influencée par les éclosions dans les unités hospitalières COVID-19 et non-COVID-19; la séroprévalence globale parmi les travailleurs de la santé dans ces hôpitaux a été beaucoup plus élevée que dans les 4 autres hôpitaux montréalais qui ont été moins affectés par des éclosions. La séroprévalence dans ces derniers a été plus élevée que dans la communauté montréalaise (< 4 %)5. Ces observations rappellent le risque élevé d’infection chez les travailleurs de la santé des hôpitaux, particulièrement lorsqu’ils travaillent dans des milieux où sévissent des éclosions. Fait à noter, les 4 hôpitaux montréalais où la séroprévalence était plus élevée étaient de vieux hôpitaux, un facteur qui a été associé à des éclosions plus importantes22.
D’autres auteurs ont noté des taux de séropositivité moindres dans les unités de soins intensifs16,17, ce qui peut s’expliquer par l’application de mesures strictes de contrôle des infections dans ces unités, y compris le port d’équipement de protection individuelle et la mobilité moindre des employés. Des taux plus élevés de séropositivité ont aussi été signalés dans les unités hospitalières23 lors d’études de séroprévalence antérieures9,10,13,20. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce phénomène, y compris des lieux physiques propices à la transmission, particulièrement dans les vieux hôpitaux (p. ex., exiguïté et piètre ventilation des locaux), respect sous-optimal des mesures de lutte contre l’infection ou présence de patients contagieux (unités COVID-19). En revanche, d’autres études n’ont observé aucun accroissement du risque dans ces unités11,12. Dans notre étude, certains hôpitaux montréalais ont présenté la même séroprévalence chez leurs travailleurs de la santé que dans la communauté et n’ont eu à déplorer aucune éclosion chez les employés des unités de soins ciblées.
Le fait d’être infirmière24,25 ou préposé aux bénéficiaires9,10 a été associé indépendamment à des taux de séropositivité plus élevés dans plusieurs autres études. Une enquête épidémiologique menée au Québec a aussi montré que la plupart des cas de COVID-19 confirmés parmi les travailleurs de la santé se déclaraient chez les infirmières et les préposés aux bénéficiaires qui ont dans bien des cas contracté le SRAS-CoV-2 dans leur milieu de travail1. Des contacts plus fréquents et plus étroits avec les patients pourraient en partie expliquer ce lien10. L’ethnicité noire ou hispanique a aussi été associée à une séropositivité plus élevée. La séropositivité plus élevée dans ces populations a été observée lors d’études de séroprévalence menées au Royaume-Uni et aux États-Unis10,13,19,21,24. Les facteurs qui sous-tendent ce lien sont complexes26, sans rapport avec des caractéristiques biologiques ou génétiques27 et pourraient être le reflet d’une séroprévalence plus élevée dans la communauté, ou de facteurs sociaux, comme une forte densité de population, des enjeux de logement et la capacité de s’isoler en dehors du travail. Il faudra approfondir la recherche dans le contexte canadien pour comprendre ce qui détermine les taux de séroprévalence du SRAS-CoV-2 plus élevés chez les travailleurs de la santé noirs et hispaniques28.
Dans notre étude, la plupart des travailleurs de la santé qui avaient des anticorps IgG anti-SRAS-CoV-2 étaient déjà avérés porteurs d’une infection au SRAS-CoV-2 confirmée par PCR. Même si le nombre total de participants ayant des anticorps anti-SRAS-CoV-2 étaient de 25 % plus élevé que le nombre de participants ayant un diagnostic de COVID-19, nos données attestent que l’identification des cas s’est bien déroulée dans les hôpitaux québécois. Les études internationales de séroprévalence ont montré que le nombre de personnes ayant une sérologie positive serait 2 fois plus élevé que le nombre de personnes ayant une infection au SRAS-CoV-2 confirmée par PCR11,17. En outre, la sensibilité élevée du dosage des anticorps anti-S1/S2 après un diagnostic de COVID-19 mérite d’être soulignée. Nos résultats concordent avec ceux d’études29–32 qui décrivent la stabilité des taux d’anticorps anti-protéine de spicule pendant au moins 6 mois. Il faudra approfondir la recherche pour bien comprendre la durée de l’immunité humorale et la sensibilité des différentes analyses sérologiques au fil du temps33,34.
Limites
Notre étude ne nous a pas permis de déterminer comment le SRAS-CoV-2 a été acquis chez les travailleurs de la santé (p. ex., communautaire, ou professionnelle). Le taux de participation de 50 % pourrait être associé à un risque de biais de sélection. Ce qui est rassurant, c’est que nous avons pu comparer la proportion ayant déjà contracté l’infection confirmée par PCR à l’échelle des participants et des établissements, particulièrement pour les groupes où les taux de participation étaient plus faibles (p. ex., infirmières et préposées aux bénéficiaires). Cette proportion était de 10 % chez les participants et de 9 % pour les établissements (données non présentées), ce qui laisse supposer une séroprévalence du SRAS-CoV-2 similaire chez les participants et les non-participants. Les facteurs associés à la séropositivité dans notre étude (p. ex., unité de travail, occupation, ethnicité) ont également concordé avec ceux de plus volumineuses études de séroprévalence8,10,13,20. La séroprévalence rapportée pour chaque hôpital pourrait ne pas être le reflet de la séroprévalence exacte chez les travailleurs de la santé, car nous n’avons ciblé que quelques unités. Toutefois, l’inclusion de 8 hôpitaux montréalais qui ont colligé leurs données de la même façon donne un portrait représentatif de la séroprévalence pour chaque type d’unité ciblée dans cette région. La validité externe de nos observations au-delà des régions urbaines du Québec est limitée et d’autres études de séroprévalence s’imposent. Finalement, la sensibilité et la spécificité imparfaites du dosage S1/S2 pourraient mener à une légère sous-ou surestimation de la séroprévalence. Cet écart de classification est probablement non différentiel et pourrait biaiser certains estimateurs de l’étude en faveur de l’hypothèse nulle.
Conclusion
Cette étude a fait ressortir une forte séroprévalence du SRAS-CoV-2 durant la première vague de la pandémie de COVID-19. Dans 8 hôpitaux montréalais, la séroprévalence parmi les travailleurs de la santé a été de 14 %, ce qui est significativement plus élevé que les taux observés dans 2 hôpitaux de régions moins affectées par la première vague de COVID-19. La séroprévalence est étroitement associée à la survenue d’éclosions dans les unités hospitalières de 4 établissements, ce qui rappelle le risque d’infection chez les travailleurs de la santé, particulièrement dans un contexte d’éclosion et parmi les infirmières, les auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires, en particulier. Même si nous n’avons pas pu confirmer si les infections étaient acquises à l’hôpital ni évaluer l’efficacité des mesures de prévention et de contrôle des infections, la forte séroprévalence dans 4 vieux hôpitaux pourrait indiquer que les facteurs liés aux lieux physiques, y compris l’exiguïté et la piètre ventilation des locaux, méritent d’être pris en compte pour prévenir les éclosions de SRAS-CoV-2, car ces facteurs viennent compliquer l’application de mesures de prévention et de contrôle des infections. Il faudra approfondir la recherche afin de comprendre les modes de transmission chez les travailleurs de la santé infectés pour, au bout du compte, appliquer les mesures de protection optimales. Le risque élevé d’infection au SRAS-CoV-2 chez les travailleurs des hôpitaux rappelle qu’il faut prioriser ce groupe pour la vaccination contre le SRAS-CoV-2 au Canada afin d’obtenir un taux de vaccination très élevé dans cette population.
Remerciements
Les auteurs remercient Sophie Auger, Stéphanie Beauchemin, Christina Benjamin, Christine Blaser, France Bouchard, Valérie Boucher, Mathieu Brodeur, Geneviève Cadieux, Sara Carazo, Annie Chamberland, Marie-Laure Dablaka, Anatolie Duca, Catherine Dupont, Jennifer Eastmond, Marcel Émond, Alvine Fansi, Nathalie Gravel, Sandrine Hegg-Deloye, Zineb Laghdir, Catherine Lambert, Nadine Larente, Gregory Léon, Sondra Mandy Sinanan, Dominique Marcoux, Pierre-Henri Minot, Naiana Muntini, Gentiane Perrault-Sullivan, Karène Proulx-Boucher, Josiane Rivard, Jonathan Roger, Molly Ann Rothschild, Nadine Sicard, Denis Talbot, Esther Trudel, Donald Vinh, Cédric Yansouni, Chung Yan Yuen, Daysi Zentner et la Biobanque COVID-19 du Centre universitaire de santé McGill.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202783
Intérêts concurrents: Patrice Savard déclare avoir reçu des subventions de Merck, Sunovion et Verity Pharmaceuticals. Yves Longtin déclare avoir reçu des subventions de Merck, GenePOC, Becton Dickinson et Gojo. Matthew Cheng déclare avoir reçu des subventions de l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill, du Consortium québécois sur la découverte du médicament et des Instituts de recherche en santé du Canada et des honoraires personnels de GEn1E Lifesciences et nplexbio; il a 2 brevets en instance pour des méthodes liées à l’utilisation de l’ADN acellulaire et une participation au Groupe de travail canadien sur l’immunité. Jean-Michel Leduc signale avoir reçu des subventions de Biomérieux. Tous les intérêts concurrents signalés concernaient des travaux indépendants du présent article. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Nicholas Brousseau et Gaston De Serres sont les concepteurs de cette étude. Patrice Savard, Caroline Quach, Yves Longtin, Matthew Cheng et Alex Carignan ont contribué au plan de l’étude. Laurianne Morin et Manale Ouakki ont procédé aux analyses. Tous les auteurs ont participé à l’analyse et à l’interprétation des données. Nicholas Brousseau a rédigé la première ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont participé à la rédaction de l’ébauche du manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Cette étude a bénéficié de l’appui du ministère québécois de la Santé et des Services sociaux.
Partage des données: Les données sont disponibles en tout ou en partie. Elles seront disponibles au moment de la publication et on peut y accéder en communiquant avec l’auteur de correspondance.
- Accepted November 4, 2021.
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