Les nouveaux schémas thérapeutiques permettent un traitement plus rapide, plus sûr et plus efficace de la tuberculose.
Les médicaments clés utilisés pour ces nouveaux traitements, dont certains datent de plusieurs dizaines d’années, ne sont pas commercialisés au Canada.
Il existe des outils susceptibles d’améliorer l’accès aux médicaments au Canada, notamment les récentes modifications de la réglementation canadienne et les dispositifs internationaux existants tels que le Service pharmaceutique mondial (GDF).
Malgré les lourdes perturbations qui ont affecté les programmes de lutte contre la tuberculose (TB) durant la pandémie de COVID-19, y compris au Canada1, les traitements antituberculeux ont progressé à l’échelle mondiale ces dernières années. De nouveaux médicaments et schémas thérapeutiques ont été mis au point pour permettre un traitement plus rapide, plus sûr et plus efficace de la tuberculose pharmacorésistante, et d’autres schémas ont permis de réduire à 4 mois la durée des traitements de la tuberculose pharmacosensible et, potentiellement, à 8 semaines seulement2,3. Toutefois, les efforts déployés au niveau mondial pour améliorer l’accès à ces nouveaux schémas thérapeutiques n’ont pas trouvé preneur au Canada, et même les traitements antituberculeux de longue date connaissent régulièrement des problèmes d’approvisionnement4, Santé Canada ayant déclaré, à la fin de 2022, une pénurie de niveau 3 de rifampine (rifampicine)5. D’une part, nous nous pencherons donc ici sur les pénuries de médicaments antituberculeux et les obstacles à l’accès aux médicaments efficaces au Canada et, d’autre part, nous envisagerons des mesures susceptibles d’améliorer l’approvisionnement et l’accès à ces médicaments.
Santé Canada décrit les pénuries de niveau 3 comme « celles qui peuvent entraîner le plus de répercussions à la fois sur l’approvisionnement en médicaments et sur le système de soins de santé canadien5 ». Au pays, il arrive régulièrement que la rifampicine vienne à manquer4, bien qu’elle soit le principal médicament utilisé pour traiter la tuberculose. Malgré les pénuries précédentes, l’un de ces fabricants, Sanofi, a décidé de quitter volontairement le marché canadien en 2021, laissant ainsi le pays dépendre d’un seul fournisseur. Bien que la pandémie de COVID-19 ait entraîné l’introduction de réglementations visant à faciliter l’importation à partir d’autres sources en cas de pénurie6, celles-ci ne concernent pas les médicaments antituberculeux.
D’autres médicaments antituberculeux, en particulier ceux qui sont utilisés pour le traitement de la tuberculose pharmacorésistante, ne sont pas commercialisés au Canada. Aucun des 3 médicaments développés au cours des 50 dernières années (bédaquiline, délaminide et, plus récemment, prétomanide) n’est accessible actuellement au pays, car leurs fabricants n’ont pas déposé de demande d’autorisation de mise en marché. Certains médicaments plus anciens sont également indisponibles. La cyclosérine, par exemple, a été retirée du marché canadien pour des raisons commerciales il y a de nombreuses années, et d’autres encore, comme la clofazimine, n’ont jamais été vendus au Canada. L’accès à ces médicaments ne peut être obtenu qu’au cas par cas, en recourant à des dispositifs temporaires prévus pour les médicaments non approuvés, tels que le Programme d’accès spécial (PAS) de Santé Canada. Cela dit, les Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse (2022) ont explicitement nommé le PAS comme un obstacle à l’accès en temps opportun, étant donné les difficultés considérables rencontrées pour obtenir des médicaments par l’intermédiaire de ce programme7.
Dans les normes de 2022, un autre médicament non approuvé au Canada, la rifapentine, a été recommandé dans le cadre d’un schéma de première intention pour traiter l’infection tuberculeuse latente (ITL). Ce schéma raccourcit la durée du traitement de l’ITL et fait déjà office de norme de soins pour cette pathologie au Nunavut8, où les cas de tuberculose sont plus nombreux que dans les autres provinces et territoires canadiens. Étant donné que son fabricant de longue date n’a jamais demandé de licence au Canada, la rifapentine est importée en gros au moyen du règlement « Accès à des drogues — circonstances exceptionnelles », entré en vigueur en 2017 pour lutter contre l’épidémie de surdoses d’opioïdes. Pour être admissible, un médicament doit être ajouté chaque année par le ministre de la Santé à la Liste des médicaments utilisés pour des besoins urgents en matière de santé publique9. La rifapentine est le seul médicament qui a été inscrit de manière ininterrompue sur cette liste depuis sa première version; de plus, il est actuellement le seul à y figurer.
La rifapentine est de plus en plus utilisée dans d’autres pays pour traiter la tuberculose active ainsi que l’ITL, car elle fait partie du schéma thérapeutique révolutionnaire de 4 mois désormais reconnu par l’Organisation mondiale de la Santé10. Cependant, au Canada, le règlement sur les circonstances exceptionnelles restreint l’utilisation de la rifapentine pour des indications autres que l’ITL.
Le gouvernement fédéral du Canada aurait pu profiter d’une occasion stratégique pour garantir l’accès à la rifapentine lorsque, en 2021, Sanofi a reçu 415 millions de dollars du gouvernement fédéral pour construire une usine de fabrication de vaccins contre la grippe11. Cet accord aurait pu inclure l’obligation de demander l’approbation de la rifapentine auprès de Santé Canada.
Le gouvernement fédéral devrait également assumer un rôle plus audacieux dans l’achat et la distribution des médicaments antituberculeux. La nouvelle réglementation fédérale adoptée en 2023 permet un approvisionnement plus élargi, tant pour une utilisation immédiate que pour la constitution de réserves de médicaments non approuvés en cas d’« urgence de santé publique », avec l’autorisation du ministre de la Santé. Les demandes peuvent être faites non seulement par les responsables de la santé publique au niveau fédéral, mais aussi provincial et même municipal. Une fois achetés par un responsable, les médicaments peuvent être partagés avec d’autres12. Ces dispositions offrent la possibilité non seulement d’améliorer l’accès aux médicaments, à condition que les responsables de la santé identifient la tuberculose (y compris la tuberculose pharmacorésistante) comme une urgence de santé publique et que le ministre de la Santé accepte leurs demandes, mais aussi de constituer des réserves coordonnées de manière centralisée.
La consolidation du système d’approvisionnement en médicaments antituberculeux non homologués permettrait aux médecins qui tentent de faire appel au PAS de se libérer de leur fardeau et de se tourner vers les agences gouvernementales qui disposent de plus de ressources pour entretenir des relations bilatérales avec les sociétés pharmaceutiques. Un système d’approvisionnement centralisé et coordonné par les responsables de la santé permettrait de garantir un accès prévisible et rapide aux médicaments pour les personnes malades, tout en offrant la possibilité de réaliser des économies d’échelle et d’établir un marché stable afin de susciter des entrées sur le marché.
Les investissements internationaux déjà effectués par le gouvernement fédéral pourraient contribuer à sécuriser ces réserves. Par exemple, le ministère Affaires mondiales Canada a participé au financement du Service pharmaceutique mondial (GDF), une initiative d’approvisionnement et de distribution approuvée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui offre depuis plus de 20 ans un accès mondial abordable à des médicaments antituberculeux ayant fait l’objet d’un processus d’assurance de la qualité, dont beaucoup sont absents du marché canadien13. Lors de la première réunion de haut niveau de l’ONU sur la lutte contre la tuberculose en 2018, on a souligné que tous les pays pouvaient accéder au GDF14. Bien que d’autres pays à revenu élevé, comme l’Australie et l’Espagne, aient depuis accédé à cette initiative, le Canada reste en marge de cette dernière. En conséquence, le gouvernement du Canada a financé l’accès à l’étranger à des médicaments antituberculeux de qualité garantie qui restent inaccessibles à la population canadienne. Toute réforme réglementaire nécessaire à l’acquisition de médicaments par l’intermédiaire du GDF doit constituer une priorité. En contrepartie du faible volume de médicaments nécessaire pour répondre à ses besoins (trop faible pour avoir un effet négatif sur l’approvisionnement mondial), le Canada gagne une raison supplémentaire de continuer à financer le GDF, contribuant ainsi à l’élimination de la tuberculose dans le monde entier.
Le réseau Stop TB Canada a lancé un appel pour une stratégie nationale cohérente pour éradiquer la tuberculose, couvrant de multiples priorités telles qu’une meilleure surveillance et prise en compte des déterminants sociaux de la santé, mais mettant également l’accent sur l’amélioration de l’accès aux médicaments antituberculeux15. Les agences gouvernementales canadiennes doivent se donner pour priorité de garantir un accès fiable aux médicaments antituberculeux essentiels, conformément aux lignes directrices nationales en matière de traitement et aux normes mondiales. Il est temps d’agir!
Remerciements
Les auteurs remercient Courtney Heffernan, Lena Faust et Robyn Waite pour leurs commentaires sur la version initiale.
Footnotes
Intérêts concurrents: Elizabeth Rea est co-présidente et Adam Houston est membre du comité directeur du Réseau Stop TB Canada (2 postes non rémunérés). Adam Houston travaille pour Médecins Sans Frontières/Doctors Without Borders Canada, mais n’a pas écrit ce texte en cette qualité.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les 2 auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Adam Houston a rédigé le manuscrit. Les 2 auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation définitive pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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