Il manque au Canada des données sur la mortalité exactes, détaillées, comparables, accessibles et uniformes.
Ces données sont nécessaires pour orienter les efforts de prévention des décès dus à des accidents et à des maladies, et peuvent être obtenues par une collaboration accrue entre les systèmes de santé publique et d’investigations médicolégales du pays.
Une telle collaboration s’est montrée utile aux échelles fédérale, provinciale et territoriale pour gérer les surdoses de drogues de la rue et la pandémie de COVID-19.
Le renforcement de cette collaboration peut contribuer aux interventions pour réduire les décès liés à la toxicité des substances psychoactives, les décès par suicide, les décès résultant de la violence et les décès liés au climat.
La mort est certaine, mais son moment et son contexte ne le sont pas. Une des missions principales de la médecine et de la santé publique est de prévenir les décès prématurés. De récentes initiatives ont montré que l’étude des tendances en matière de décès et des facteurs connexes peut permettre de dégager les causes émergentes de décès à l’échelle communautaire, de mettre en évidence des iniquités importantes en santé et de suggérer des interventions pour prévenir les décès prématurés. Nous discutons des façons dont les services de santé publique peuvent faire cette prévention au moyen d’une utilisation réfléchie des données recueillies par les systèmes d’investigations médicolégales.
Le Service du coroner de la Colombie-Britannique a été le premier au Canada à lancer l’alerte sur la hausse des décès attribuables à la toxicité des drogues, qui coûte tragiquement la vie à des milliers de personnes chaque année, entraînant l’intervention de la santé publique1. À l’échelle nationale, au début 2017, l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), les systèmes de santé publique provinciaux et territoriaux et les systèmes des coroners et des médecins légistes ont accru leur collaboration en matière de surveillance et d’analyse des décès dus à la toxicité des drogues2,3. Cette surveillance continue des méfaits liés aux substances psychoactives a attiré l’attention sur la toxicité des drogues illicites et orienté les activités de prévention et les décisions stratégiques des gouvernements et des services communautaires2.
Ces collaborations ont montré que des données sur la mortalité exactes, détaillées, uniformes et accessibles en temps opportun peuvent guider les efforts de prévention. Cependant, la complexité de la surveillance des effets de la pandémie de COVID-19 sur la santé globale et les conséquences imprévues des mesures de santé publique associées ont exposé l’inadéquation des données4. Il faut une collaboration accrue entre les coroners et médecins légistes du Canada (qui portent des titres distincts, mais jouent le même rôle d’investigation), les registraires des statistiques démographiques provinciales, territoriales et nationales, la Base canadienne de données des coroners et des médecins légistes (BCDCML) ainsi que les autorités de santé publique pour mieux exploiter l’information recueillie durant les investigations médicolégales à des fins de prévention.
Le certificat de décès est le principal instrument utilisé pour documenter un décès, notamment en y consignant la cause et les circonstances. Les décès sont constatés par le dernier médecin traitant s’ils sont attribuables à une maladie naturelle. Si le décès est lié à une cause non naturelle, comme une blessure, à une cause incertaine ou à des circonstances suspectes, le certificat est établi par un coroner ou un médecin légiste après investigation. Environ 15 %–20 % de tous les décès font l’objet d’une enquête d’un coroner ou d’un médecin légiste5, et ces décès sont souvent les plus tragiques. Les coroners et les médecins légistes peuvent être les premiers à voir des tendances émerger pour les décès non naturels, et sont donc un élément important de la surveillance en santé publique6–8, pouvant orienter les décisionnaires quant aux façons possibles de prévenir de nouveaux décès. Les données des investigations médicolégales peuvent aussi fournir des renseignements importants pour comprendre les retombées des mesures de santé publique qui ont été mises en place.
Les provinces et territoires ont la responsabilité législative des investigations médicolégales. Chaque région a donc élaboré sa propre approche pour les investigations médicolégales, ce qui explique partiellement pourquoi le Canada a à la fois des systèmes de coroners et de médecins légistes et pourquoi il n’existe aucune norme nationale pour les investigations médicolégales9. En outre, la variation de la définition et de la consignation des décès attribuables à la toxicité aiguë des drogues nuit à la compréhension de l’émergence et de la distribution continue des décès dus à des médicaments réglementés et à des substances illicites.
Les épidémiologistes en santé publique nommés par l’ASPC dans plusieurs bureaux provinciaux de coroners et de médecins légistes apportent une vision de santé publique dans les investigations médicolégales depuis 2016. Ces spécialistes facilitent la surveillance accrue des enjeux de santé publique prioritaires, tissent des liens entre les secteurs pour mobiliser l’information et soutiennent les initiatives de prévention et d’intervention.
En Nouvelle-Écosse, une collaboration entre le Service du médecin légiste, le ministère de la Santé et du Mieux-être et les forces de l’ordre provinciales a permis l’intégration des données sur la mortalité liée à la toxicité aiguë des drogues, des données sur les saisies policières de drogues et des données sur l’utilisation du système de santé. Les données sur les décès par intoxication aux drogues sont présentées chaque mois (https://data.novascotia.ca/). Les épidémiologistes en santé publique affectés au Service du médecin légiste de la Nouvelle-Écosse dirigent cette collaboration, ainsi que la mise en place d’une surveillance mensuelle des suicides dans la province10,11, afin de garantir une source d’information fiable qui aide les parties intéressées à comprendre les causes de ces décès et à trouver des méthodes de prévention. Cette collaboration fournira bientôt au nouveau comité provincial sur les décès d’enfants des données agrégées sur les causes de décès des résidentes et résidents de la province âgés de moins de 25 ans, ce qui, on l’espère, facilitera la détection des tendances émergentes dans la mortalité des enfants et des jeunes.
En Ontario, les épidémiologistes en santé publique ont aidé à coordonner un système électronique complet et de haute qualité de signalement de la mortalité due à des substances psychoactives dans la province. Les épidémiologistes ont travaillé avec diverses parties intéressées pour mobiliser de l’information sur les décès liés aux substances psychoactives afin de soutenir les activités de prévention et d’intervention. Par exemple, les renseignements propres à une communauté, comme les types de drogues et les adultérants possibles ou les grappes de surdoses, sont diffusés périodiquement en vue d’orienter les stratégies communautaires locales sur les drogues, de surveiller les tendances et d’établir les priorités en matière de distribution de ressources supplémentaires aux communautés ayant les plus hauts taux de décès. La devise du Bureau du coroner en chef, « Déceler les causes de décès pour mieux protéger les vivants », illustre une grande appréciation du rôle de santé publique et de sécurité du système d’investigations médicolégales, qui a mené à la mise sur pied d’une nouvelle unité d’analyse des décès pour la sécurité et la santé, intégrant l’expertise épidémiologique de la santé publique au système d’investigations médicolégales (https://www.ontario.ca/fr/page/bureau-du-coroner-en-chef-et-service-de-medecine-legale-de-lontario). L’unité collabore au partage, à l’analyse et à l’interprétation de différents types de données sur la mortalité (p. ex., décès liés aux substances psychoactives, décès associés à l’itinérance, et mortalité selon la race) avec les organismes mandatés pour la prévention, comme les bureaux de santé publique et à l’échelle communautaire, en vue d’orienter l’intervention individuelle (p. ex., communautés des Premières Nations).
Le collectif des coroners en chef, des médecins légistes en chef et des représentants de la santé publique a été lancé en 2021 avec un secrétariat technique qui rassemble l’ASPC, les coroners et médecins légistes en chef des provinces et territoires ainsi que Statistique Canada pour favoriser l’uniformité des investigations médicolégales et combler les lacunes concernant les données probantes, reflétant une collaboration croissante entre ces secteurs. Les domaines de priorité actuels comprennent l’élaboration de méthodes d’enquête et d’éléments de données communs en ce qui a trait aux décès attribuables à la toxicité des substances psychoactives et aux décès par suicide, et l’obtention d’information sur les populations qui pourraient être touchées de façon disproportionnée par les iniquités sanitaires et sociales actuelles. Les systèmes de données provinciaux et territoriaux et la BCDCML seront mieux normalisés et intégrés pour rendre les données pancanadiennes d’investigations médicolégales plus comparables et accessibles plus rapidement.
De même, en 2022, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont créé le Collaborating Office for Medical Examiners and Coroners pour rassembler les ressources de tous les CDC afin de favoriser la qualité, l’uniformité et la coordination dans les efforts de surveillance des communautés de la santé publique et des investigations médicolégales12.
Au-delà de la crise de toxicité des substances psychoactives, l’utilisation systématique des données d’investigations médicolégales peut être renforcée pour appuyer la prévention du suicide, des décès résultant de la violence conjugale et des décès liés aux phénomènes météorologiques extrêmes (p. ex., canicule, inondations et feux incontrôlés), entre autres enjeux de santé publique. La mise au point d’un système de données fédéral–provincial–territorial complet comprenant les données de santé publique et d’investigations médicolégales, avec des liens vers d’autres données administratives (p. ex., recensement, utilisation des services de santé et programmes de surveillance des ordonnances), a une valeur unique dans l’orientation des initiatives de santé publique pour prévenir les décès, éliminer les iniquités en matière de santé et influencer les interventions politiques. La collaboration continue entre Statistique Canada et les systèmes fédéraux, provinciaux et territoriaux de santé publique et d’investigations médicolégales est nécessaire à l’atteinte de cet objectif.
Footnotes
Intérêts concurrents: Matt Bowes, Robert Strang et Dirk Huyer participent à la collaboration dans leur province entre les systèmes d’investigations médicolégales et de santé publique. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Matt Bowes et Robert Strang sont responsables de la conception du commentaire. Matt Bowes, Robert Strang et Dirk Huyer sont responsables de la rédaction du travail, de la relecture des versions révisées, de l’approbation finale de la version à publier et de tous les aspects du travail.
Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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