Retard de croissance : l'aide et l'Afrique ========================================== Laissant les scandales et les remaniements derrière lui dans les recoins les plus sombres d'Ottawa, le premier ministre Jean Chrétien se consacre de meilleures activités au Sommet du G8 ce mois-ci en tentant de conclure un plan d'action sur le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NPDA) conçu par les dirigeants africains l'année dernière à Abuja, au Nigeria. Il est malheureux que l'aide mondiale à l'Afrique subsaharienne ait fléchi au cours de la dernière décennie — celle du Canada a diminué de 40 %1 — en dépit de la crise humanitaire qui s'aggrave, causée par les maladies infectieuses, les troubles politiques et la guerre. Les 818 millions d'habitants de l'Afrique ont l'espérance de vie la plus faible au monde (54 ans, comparativement à 79 au Canada) et le taux de mortalité infantile le plus élevé (88 pour 1000 naissances vivantes, comparativement à 5,5 au Canada)2. L'Afrique subsaharienne enregistre chaque année 90 % des 300 à 500 millions de cas cliniques de paludisme déclarés dans le monde, sans oublier 1,5 million de cas de tuberculose. Le VIH est maintenant la principale cause de mortalité en Afrique subsaharienne, où 28 millions de personnes sont infectées2. Même si la maladie est souvent le résultat de la pauvreté, ses conséquences économiques sont aussi «pernicieuses»3. La baisse de la productivité et du revenu, la perte de capital humain, les iniquités sociales qui s'alourdissent, la réduction des possibilités offertes aux jeunes et d'autres facteurs sociétaux débilitants réduisent la «capacité nationale» en ce qui concerne non seulement la santé et la prospérité, mais aussi la bonne gouvernance et l'ordre politique. Plus un État est faible au départ, moins il pourra résister aux facteurs de stress comme la dégradation de l'environnement, les conflits et les nouvelles maladies infectieuses. Beaucoup de pays d'Afrique se retrouvent dans cette situation périlleuse. La stratégie du NPDA consiste à créer, en «partenariat» avec les pays industrialisés — et la Banque mondiale — une capacité de rétablissement et de croissance au lieu de persister dans la démarche qui privilégie l'aide et ne fournit jamais beaucoup plus qu'un secours temporaire. Les buts à atteindre en accéléré sont la lutte contre la maladie, le développement de la technologie de l'information, la réduction de l'endettement et l'accès aux marchés. Si ces buts semblent mondiaux, on souhaite par ailleurs officiellement que le changement soit dirigé par les gouvernements élus, par les Africains et pour les Africains. Dans la terminologie du NPDA, la démocratie et le développement font un4. À cet égard, on n'accepte que les démocraties qui ont un marché ouvert5. L'engagement que le Canada a pris de consacrer 500 millions de dollars à un fonds de fiducie pour l'Afrique repose sur les excédents budgétaires prévus au cours des trois prochaines années. Cette décision louable a toutefois un effet limité face au manque de ressources de l'Afrique, estimé à 64 milliards de dollars. Nous souhaitons bonne chance au premier ministre au moment où il tente d'assurer que le NPDA constitue le thème principal abordé à Kananaskis. On entend toutefois des voix dissonantes. Les conditions politiques et économiques préalables à l'aide que prévoit la démarche descendante du NPDA serviront-elles les populations de l'Afrique les plus désavantagées par l'instabilité politique et la ruine de l'économie? Si seulement les gouvernements démocratiques peuvent demander de l'aide et si la privatisation et la libéralisation du commerce constituent des valeurs sûres dans le contexte du NPDA, où ces conditions laisseront-elles les démocraties embryonnaires et les économies locales qui luttent à la base, dans les groupes de femmes, les groupes de travailleurs locaux et les associations des droits de la personne1? Même les meilleurs intentions ne sont pas simples. — *JAMC* ## References 1. 1. Conseil canadien pour la coopération internationale. Forum Afrique–Canada. *Le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NPDA) : Commentaires.* Avril 2002. 2. 2. Gouvernement du Canada. Site web du Sommet 2002. *L'Afrique — faits et chiffres*. Disponible à l'adresse : [www.g8.gc.ca/summitafrica\_fact-f.asp](http://www.g8.gc.ca/summitafrica_fact-f.asp). 3. 3. Price-Smith AT. *The health of nations: infectious disease, environmental change, and their effects on national security and development.* Cambridge (MA) : MIT Press; 2002. 4. 4. Kanbur R. *The New Partnership for Africa's Development (NEPAD): an initial commentary.* Novembre 2001. Disponible à l'adresse : [www.people.cornell.edu/pages/sk145/papers.htm](http://www.people.cornell.edu/pages/sk145/papers.htm) (consulté le 29 mai 2002). 5. 5. Leblanc D. Chretien visits Africa in effort to boost aid. *Globe and Mail* [Toronto] 2002; 3 avril, sect. A7.