L'épistémologie de l'épidémiologie: ======================================= Un des avantages du travail de rédacteur, c'est de pouvoir assister des gradins aux débats qui se déroulent sur le terrain. Nous avons été témoins d'un de ces débats d'envergure il y a environ 6 mois, lorsque nous avons publié un rapport de Nancy Baxter et du Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs1,2. Le rapport montrait qu'une augmentation du taux de survie au cancer du sein ou même la détection de tumeurs à un stade plus précoce ne pouvaient être attribuées à l'enseignement de routine de l'autoexamen des seins. Le message a déclenché un échange animé entre épidémiologistes, commentateurs, survivantes du cancer du sein, journalistes et groupes de représentation (voir Correspondance, page 163). Maintenant que la poussière est retombée, aventurons-nous sur le terrain pour aborder de nouveau la question. D'un côté, il y a les épidémiologistes qui considèrent comme une fin en soi les taux de mortalité attribuable au cancer et les taux de détection des tumeurs. De l'autre, on retrouve les patientes et leurs défenseurs armés de données anecdotiques et déterminés à conserver le contrôle. Les 2 groupes, vus sous cet angle, sont loin de jouer la même partie, même s'ils visent les mêmes résultats. Comment tenir compte, dans les taux de mortalité attribuables au cancer, du contrôle et des données anecdotiques? Et faut-il le faire? Il s'agit peut-être fondamentalement de questions d'épistémologie — de ce qui constitue le savoir et des moyens de connaÎtre. Le problème proviendrait-il simplement du fait que les patientes et les épidémiologistes connaissent et veulent connaÎtre des choses différentes? En ce qui concerne le diagnostic de l'endométriose, on a constaté un rapprochement récent entre ces moyens de savoir. La définition classique fondée sur les résultats histologiques, qui est à l'origine de taux gonflés de prévalence, a été supplantée par une autre qui inclut l'expérience morbide des patientes (p. ex., dysménorrhée, douleur et infertilité)3. La difficulté, dans le débat sur l'autoexamen des seins, réside aussi dans l'incapacité de faire connaÎtre l'évolution de nos idées sur la maladie. Barron Lerner4 (page 199) situe l'origine de l'autoexamen des seins au début du XXe siècle lorsque Halsted a popularisé la théorie selon laquelle le cancer du sein commence par une maladie locale produisant ensuite des métastases. La détection et l'exérèse précoces étaient logiques dans ce contexte. Depuis les années 1950, les sociétés canadienne et américaine du cancer font une promotion énergique de l'autoexamen des seins, encouragées par des chercheurs et des médecins convertis. La nuance et le doute ont en grande partie disparu. Face au risque d'invasion de leur corps par un cancer invisible, on comprend que la plupart des femmes accueillent favorablement l'espoir offert par cet autoexamen. Ce modèle du cancer du sein est toutefois remis en question. On a constaté que 29 % des femmes atteintes d'un cancer du sein de stade 1A ont déjà des micrométastases à la moelle osseuse5, ce qui indique soit que les métastases font leur apparition très tôt, soit que, peut-être, la maladie fait son apparition simultanément à de nombreux endroits du corps chez certaines femmes. (Une autre constatation inattendue indique que la néphrectomie semble bénéfique au moins chez certains patients atteints d'un cancer du rein avec métastases6). Le débat auquel nous assistons émane de nombreux facteurs, y compris de notre incapacité à formuler des questions de recherche qui soient significatives pour les patientes et de notre échec à communiquer ce que nous connaissons et ne connaissons pas. — *JAMC* ## References 1. 1. Baxter N et Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs. Preventive health care, 2001 update: Should women be routinely taught breast self-examination to screen for breast cancer? JAMC 2001;164(13):1837-46. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTY0LzEzLzE4MzciO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTY2LzIvMTU5LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 2. 2. Nekhlyudov L, Fletcher SW. Is it time to stop teaching breast self-examination? [éditorial]. JAMC 2001;164(13):1851-2. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTY0LzEzLzE4NTEiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTY2LzIvMTU5LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 3. 3. Holt V, Weiss N. Recommendations for the design of epidemiologic studies of endometriosis. Epidemiology 2000;11:654-9. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1097/00001648-200011000-00007&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=11055625&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F166%2F2%2F159.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000090061900007&link_type=ISI) 4. 4. Lerner BH. When statistics provide unsatisfactory answers: Revisiting the breast self-examination controversy. JAMC 2002;166(2):199-201. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo5OiIxNjYvMi8xOTkiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTY2LzIvMTU5LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 5. 5. Braun S, Pantel K, Müller P, Janni W, Hepp F, Kentenich CRM, et al. Cytokeratin-positive cells in the bone marrow and survival of patients with stage I, II, or III breast cancer. N Engl J Med 2001; 342(8):525-33. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1056/NEJM200002243420801&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10684910&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F166%2F2%2F159.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000085422400001&link_type=ISI) 6. 6. Tannock IF. Removing the primary tumor after the cancer has spread [éditorial]. N Engl J Med 2001;345(23):1699-700. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1056/NEJM200112063452310&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=11759650&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F166%2F2%2F159.atom)