Les coûts d'opportunité de la guerre en Irak ============================================== Au moment d'aller sous presse, la guerre en Irak est à sa troisième semaine. Les forces coalisées sont parvenues aux «portes de Bagdad» et effectuent des «incursions» stratégiques dans cette ville de 5 millions d'habitants. La terminologie de la guerre de siège de l'époque du Moyen-Âge et celle de la science fiction cohabitent étrangement dans ce conflit de l'ère postmoderne — conflit qui, même avant d'éclater, avait généré plus d'interprétations que toute guerre antérieure de l'histoire. Nous vivons une période de sémantique désespérée : «libération» ou «agression»; attaque «préventive» ou «non provoquée»; «démocratie» ou «impérialisme». On prêche aux convertis, l'animosité s'incruste, des fissures politiques apparaissent dans des alliances de longue date. Si une terminologie plus froide pouvait aider, essayons un instant les expressions suivantes : conséquence pour la santé et coûts d'opportunité. En dépit de la «précision chirurgicale» des armes modernes et des plans établis par la coalition pour distribuer de l'aide humanitaire, la guerre fera comme toujours ses ravages sous forme de morts, de mutilations, de pénuries de nourriture et d'eau, de maladies transmissibles et de déplacements1. Ces coûts seront imposés à une population dont la prospérité économique et l'état de santé sont déjà sérieusement affaiblis par plus d'une décennie de sanctions2. Au moment d'aller sous presse, le Comité international de la Croix-Rouge signale que les hôpitaux de Bagdad ont de sérieuses difficultés à faire face à «l'arrivée continue de blessés de guerre»3 et que le projet de décompte des victimes en Irak fixe entre 877 et 1050 le nombre de victimes civiles attribuables aux interventions militaires seulement4. Les coûts sanitaires de la dégradation de l'environnement5 causée par les bombardements et les autres interventions militaires (des deux côtés) se feront probablement sentir pendant des décennies encore. Il se peut en fait qu'on ne les connaisse jamais entièrement. Moins évidents mais tout aussi sérieux, il y a aussi les coûts d'opportunité du déboursement des vastes sommes nécessaires pour appuyer les forces coalisées et ceux de l'utilisation des ressources déjà limitées de l'Irak dans une résistance qui se révélera en bout de ligne futile. Le président Bush a déjà demandé 75 milliards de dollars US de plus au Congrès pour appuyer l'effort de guerre. Le coût d'opportunité de chaque missile d'un million de dollars lancé sur une cible abandonnée à Bagdad n'est pas négligeable. Le total de l'aide publique au développement accordée par tous les pays donateurs aux «pays moins industrialisés» s'établit à quelque 6 milliards de dollars US par année (2 milliards de dollars des États-Unis et 1,4 milliard du Royaume-Uni en 2002). Le Fonds mondial des Nations Unies cherche à obtenir 10 milliards de dollars US par année pour enrayer les ravages causés par le sida, la tuberculose et le paludisme. Face à de tels points de comparaison (sélectifs, nous l'avouons), la prodigalité extrême de cette guerre est difficile à comprendre. Le clivage qui a fait son apparition entre des pays membres des Nations Unies sera tout aussi grave à long terme. L'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, souvent remise en question depuis sa création, a subi un autre contretemps peut-être fatal. La capacité de persuasion des organismes humanitaires des Nations Unies diminuera-t-elle aussi et, le cas échéant, quel en sera le coût pour la santé mondiale? Comme communauté humaine, nous ne pouvons pas nous permettre de détourner de l'argent, de la volonté et de l'optimisme du développement économique des pays pauvres, de la création d'approvisionnements stables et suffisants en eau et en aliments ou de la mise en œuvre de programmes de vaccination et d'accès aux médicaments. Sans la coopération multilatérale comme force motrice, dans quelle mesure nos espoirs de ratification et d'application de conventions sur les mines antipersonnel, la protection de l'environnement, les droits des enfants ou la lutte antitabac, qui visent à préserver la vie, sont-ils réalistes? Les dommages causés aux structures fragiles de la coopération internationale pourront à long terme constituer les coûts d'opportunité parmi les plus graves et les plus lourds de conséquence de cette guerre. Avec la France et l'Allemagne en avant-garde, la «coalition des réticents» continue de se prononcer clairement contre le recours aux interventions militaires comme moyen d'instaurer la stabilité et la bonne gouvernance dans la région du Golfe persique. Le Canada, qui hésite à offenser un ami et partenaire commercial, semble pour sa part diriger une coalition du silence. Après avoir refusé plutôt bravement d'appuyer la guerre, notre gouvernement essaie, moins bravement, de maintenir la dissidence au niveau du chuchotement le plus discret. Il ne nous revient toutefois pas de conseiller le gouvernement en matière de politique étrangère. Nous nous en tiendrons à notre scénario en exhortant nos collègues et les associations professionnelles à se faire entendre au sujet des coûts de la guerre et à rappeler à nos dirigeants qu'à l'horizon humain le plus lointain, les frappes préventives les plus efficaces contre l'insécurité mondiale viseront les disparités au niveau de l'accès aux ressources naturelles, aux possibilités économiques, à l'éducation et à la santé6. — *JAMC* ## References 1. 1. Salvage J. *Collateral damage: the health and environmental costs of war on Iraq.* Londres : Medact; 2002. Disponible à l'adresse : medact.org/tbx /pages /sub.cfm?id=556 (consulté le 3 avril 2003). 2. 2. Les armes de construction massive [éditorial]. JAMC 2002;167(12):1319. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTY3LzEyLzEzMTkiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMToiL2NtYWovMTY4LzkvMTEwMy5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 3. 3. Comité international de la Croix-Rouge. Irak : bulletin quotidien. 5,7 avril 2003. Disponible à l'adresse : [www.cicr.org/fre](http://www.cicr.org/fre) (consulté le 7 avril 2003). 4. 4. Projet de décompte des victimes en Irak. Disponible à l'adresse : [www.iraqbodycount.net](http://www.iraqbodycount.net) (consulté le 7 avril 2003). 5. 5. Leaning J. Environment and health: 5. Impact of war. JAMC 2000;163 (9): 1157-61. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTYzLzkvMTE1NyI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIxOiIvY21hai8xNjgvOS8xMTAzLmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 6. 6. Organisation mondiale de la santé. Rapport mondial sur la violence et la santé. Disponible à l'adresse : www5.who.int /violence\_injury\_prevention /main.cfm?p=0000000117 (consulté le 3 avril 2003).