Pour un meilleur accès aux médicaments essentiels, partout dans le monde ========================================================================== Voici arrivé le moment de l'année si propice aux bilans et aux rétrospectives. Le temps des regards vers l'arrière, des coups d'œil vers demain et des résolutions. Et des réflexions sur celles-ci. La transition vers le millénaire, qui a fait tant de bruit (vous vous rappelez le fameux «bogue» informatique de l'an 2000?), est chose du passé, mais la question de savoir si l'atmosphère d'apocalypse s'est dissipée ou est simplement devenue chronique se résume probablement à la résilience de chacun devant les manchettes de l'heure. Après avoir vécu le siècle le plus sanglant de l'histoire de l'humanité, nous sommes bien lancés dans la même voie pendant que couvent les guerres et que la violence et les représailles éclatent aux points chauds de conflit dans le monde entier. C'est aussi le moment de l'année où ce petit concept plutôt éculé que constitue la «capsule historique» a tendance à réapparaÎtre dans les pages éditoriales, où les commentateurs s'interrogent sur les tendances et les événements qui donneraient à quelqu'un d'un avenir lointain une idée de ce qui se passe aujourd'hui. Sans compter le SRAS et la guerre en Irak, il y a bien d'autres mémentos à choisir sur la scène nationale pour illustrer une année souvent étonnante : mariage entre personnes du même sexe, libéralisation de la marihuana, approbation par la Chambre des communes de l'utilisation des embryons humains dans la recherche sur les cellules souches, dernières heures du règne d'un premier ministre qui s'étire aussi curieusement que les jours de Bilbo Baggins et l'union malaisée des cousins bien obligeants de la droite politique. En rétrospective, la division idéologique et l'absence de consensus ont marqué 2003. Dans certains cas et pour certaines personnes, il n'y a aucune possibilité de compromis, comme l'a démontré la controverse publique intense soulevée par le mariage entre personnes du même sexe. (La législation relative à la recherche sur les cellules souches se retrouvera-t-elle aussi ballottée en pleine tempête lorsque le Sénat l'abordera au cours de la nouvelle année?) Une douloureuse ambivalence a marqué d'autres débats – notamment sur la guerre en Irak. Il est donc intéressant de signaler qu'une des mesures législatives les plus importantes, qui aurait pu avoir l'effet le plus profond sur le plus grand nombre de vies, n'a causé aucune scission politique, a soulevé relativement peu de controverse et n'a provoqué aucun clivage dans le cœur de la société. Il s'agit de l'engagement que le gouvernement fédéral a pris de modifier la Loi sur les brevets afin de permettre l'exportation de versions génériques de médicaments brevetés dans les pays incapables de fabriquer leurs propres médicaments. Cette décision s'inscrit dans le sillage de la décision unanime, remportée de haute lutte, qu'a prise l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en décidant en août d'assouplir les protections accordées par les brevets sur les médicaments essentiels. Elle arrive aussi dans la foulée des plaidoyers désespérés de Stephen Lewis, envoyé spécial des Nations Unies pour le VIH-sida en Afrique, qui demande aux pays riches de prendre des mesures humanitaires décisives contre la pandémie de sida. Avec la première lecture du projet de loi C-561 en novembre, le Canada est devenu le premier pays doté d'une industrie bien développée des produits pharmaceutiques génériques à commencer à mettre en œuvre la décision de l'OMC. La version finale de cette mesure législative pourrait très bien se révéler un exemple à suivre. Il est donc encore plus important d'essayer de concevoir le bon modèle. Il est par conséquent triste de voir que cette mesure législative pourrait se révéler plus restrictive que la décision de l'OMC, et moins progressiste que la Déclaration de Doha de novembre 2001, qui a préparé le terrain. La mesure législative canadienne proposée précise les pays qui ont le droit de demander à importer des médicaments génériques canadiens. Pourquoi des pays comme le Timor oriental et le Turkménistan ne figurent-ils pas sur la liste? Le projet de loi C-56 précise aussi un éventail de produits pharmaceutiques qui peuvent bénéficier d'une exemption des brevets. L'Accord de l'OMC n'exige aucune limitation de cette nature. Troisièmement, la mesure législative canadienne proposée accorde aux fabricants de médicaments de marque un avantage clair dans ce qu'on appelle leur «droit de première approbation» qui équivaut en fait à deux chances de fixer leur prix au même niveau que celui qu'offre un fabricant de produits génériques. À la consternation de Médecins Sans Frontières et d'autres organismes humanitaires, cette disposition réduira pour les fabricants de produits génériques l'incitation à soumissionner et minera par conséquent la concurrence nécessaire pour faire baisser le prix des médicaments essentiels. Nous espérons que le projet de loi sera adopté, mais sous une forme plus musclée. Au cours de la longue nuit de décembre 2002 à août 2003, pendant laquelle les négociations de l'OMC sur les médicaments brevetés ont achoppé, on estime que 2,4 millions d'Africains sont morts du sida, du paludisme et de la tuberculose. Pendant que les parlementaires canadiens prennent congé pour les Fêtes, que le gouvernement libéral se réorganise sous la direction d'un nouveau chef, que les dirigeants de l'industrie et les lobbyistes se regroupent et élaborent leurs stratégies, l'horloge de la souffrance et de la mort continue de tourner pour la multitude insondable des millions de personnes des pays en développement qui sont affligées par des maladies infectieuses traitables. Si nous pouvons sauvegarder une seule réalisation politique de 2003, que ce soit la volonté d'adopter un amendement à la Loi sur les brevets qui établisse une norme valable pour le monde. — *JAMC* ## Référence 1. 1. Projet de loi C-56, *Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues*, 2e sess., 37e Législature, 2002-2003 (1re lecture : 6 novembre 2003).