Une agence canadienne de la santé publique : sinon maintenant, quand? ====================================================================== Le Comité consultatif national sur le SRAS et la santé publique présidé par le Dr David Naylor a publié un rapport minutieux, direct et d'un rationalisme éminent.1 Commandé par la ministre de la Santé Anne McLellan entre les deux vagues d'éclosion du SRAS au Canada, le rapport s'inspire d'entrevues réalisées auprès de prestateurs de soins des premières lignes et de dirigeants du secteur de la santé, de mémoires présentés par des intervenants, ainsi que de la recherche de fond effectuée par le comité. Les constatations du comité confirment l'évidence, oubliée depuis beaucoup trop longtemps : un manque lamentable de capacité afin de satisfaire même aux «attentes minimales» en matière de protection de la santé et de prévention des maladies, allant d'un approvisionnement en eau salubre au confinement des maladies infectieuses, en passant par la vaccination complète. Les comptes rendus recueillis de ceux qui sont «montés aux barricades» contre le SRAS à Toronto démontrent amplement ce manque de capacité. On a décrit le logiciel de suivi des maladies et de gestion de l'information de l'Ontario comme une «plate-forme DOS archaïque (…) impossible à adapter pour le SRAS» et jugé les protocoles de traitement des données «imprécis ou inexistants». Les querelles de territoire et les eaux troubles de la protection de la vie privée des patients ont bien entendu nui à l'échange d'information, ce qui a frustré les efforts déployés pour établir l'épidémiologie exacte de l'éclosion qui prenait forme. Le Service de santé publique de Toronto «a été débordé rapidement (…) même si la ville compte 1800 employés dans ce secteur». Les structures hiérarchiques n'étaient pas claires et «personne ne savait qui était responsable.» Si c'est l'impact qu'une éclosion de maladie peut avoir dans ce qui constitue peut-être la ville la mieux nantie en ressources au Canada, il est difficile d'éviter la conclusion des répondants qui affirmaient : «Le système est malade. Il est en panne.» Le Comité consultatif a résisté à toute tentation de blâmer qui que ce soit. Son étiologie de la réponse maladroite à l'éclosion à Toronto est sans ambiguïté : il l'attribue au fait que la santé publique est négligée depuis des décennies et au manque de leadership en Ontario et à Ottawa. Le manque de «crédibilité opérationnelle» à la Direction générale de la santé de la population et de la santé publique à Santé Canada se compare mal à l'autorité des Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis qui sont «invités rapidement et souvent» à intervenir dans toute éclosion sérieuse et dont «la crédibilité refroidit les conflits de compétences». Pendant l'éclosion du SRAS, une équipe d'intervention d'urgence a fait son apparition sous forme du Comité consultatif scientifique, «regroupement d'êtres humains et de téléphones cellulaires» constitué de spécialistes des maladies infectieuses et d'administrateurs, dont certains ont été écartés par le SRAS ou la quarantaine. Les CDC, eux, peuvent à la fois monter aux barricades et mobiliser une «équipe B» qui fournit «de l'appui scientifique et une seconde réflexion en pleine crise». Comment se fait-il que le Canada n'ait pas eu déjà d'équipe nationale prête à répondre à une telle urgence? Depuis deux décennies, des commissions et des groupes d'experts nous préviennent que négliger la préparation du secteur de la santé publique au Canada, c'est de la pure folie. Le rapport Naylor constitue la proposition la plus lucide présentée jusqu'à maintenant pour créer une nouvelle Agence canadienne de la santé publique dirigée par un médecin hygiéniste en chef du Canada, professionnel de la santé devant rendre compte au ministre de la Santé, mais n'étant pas entravé par le gouvernement. Il ne s'agit pas là simplement d'une autre belle recommandation : le Comité trace les grandes lignes d'un plan législatif pour créer une telle entité dans le champ de mines que constituent actuellement les compétences provinciales–fédérales. Il suffira de quelques changements législatifs minimes (et faisables). Pour faire progresser la réforme structurelle et réparer les dommages causés à la capacité en santé publique par des décennies de compressions et de négligence, le Comité propose que le financement fédéral augmente au cours des cinq prochaines années afin qu'on puisse affecter, chaque année, 200 millions de dollars aux fonctions de base de la nouvelle agence nationale, 300 millions au renforcement des programmes provinciaux et locaux de santé publique, 100 millions à l'implantation d'une stratégie nationale d'immunisation et 100 millions à la lutte contre les maladies infectieuses. Les recommandations précises visent notamment à accorder la priorité à la surveillance des maladies infectieuses, à renouveler l'infrastructure des laboratoires de santé publique, à créer des compétences en recherche et à s'attaquer à la pénurie déplorable de ressources humaines dans le domaine de la santé publique. La ministre de la Santé Anne McLellan a déjà approuvé le concept d'une Agence canadienne de la santé publique. Or, même après des modifications législatives et une augmentation réelle du financement, il reste encore, tâche difficile et critique, à changer la culture de la santé publique au Canada. Il y a maintenant trop longtemps que les professionnels de la santé publique et les médecins hygiénistes, menottés par la bureaucratie et les programmes politiques, luttent pour prendre librement des décisions dans l'intérêt public. Comme leurs collègues, les médecins hygiénistes posent des diagnostics et dispensent des traitements, mais leurs patients sont les populations et leurs traitements – éducation publique et communication de masse, quarantaine, fermeture d'écoles et de lieux de travail, décrets ordonnant de faire bouillir l'eau, avis aux voyageurs, interdiction de la vente de produits dangereux – sont facilement politisés par leurs conséquences sociales et économiques. Nulle part ailleurs le courage et le leadership seront-ils plus importants qu'au bureau du premier médecin hygiéniste en chef du Canada. — *JAMC* ## Référence 1. 1. Le Comité consultatif national sur le SRAS et la santé publique. *Leçons de la crise du SRAS: Renouvellement de la santé publique au Canada*. Ottawa : Santé Canada; 2003.