Soins de qualité : la carotte et le bâton =========================================== * © 2004 Canadian Medical Association or its licensors Tous reconnaissent que les soins médicaux dispensés par les médecins et payés par l'État doivent être de la plus grande qualité. Or, la qualité est constamment remise en question : reportages sur des événements indésirables évitables dans les hôpitaux, éclosions d'infections nosocomiales, ordonnances inutiles pour des antibiotiques contre des infections virales, examens de laboratoire excessifs et prise en charge dépassée de maladies courantes qui laissent autant les professionnels que les payeurs impatients et à l'affût d'améliorations plus rapides et mesurables. Jusqu'à récemment, notre façon d'aborder la qualité reposait presque exclusivement sur les données probantes et sur l'éducation des médecins et des autres prestateurs de soins de santé. Si l'on donnait aux professionnels de la santé l'information nécessaire pour dispenser des soins de qualité, nous nous attendions à ce qu'il en découle des soins de qualité. Cette approche repose sur la motivation personnelle des prestateurs qui les pousse à faire tout leur possible pour leurs patients — à ne causer aucun préjudice et à faire le plus de bien possible. Cette approche de la qualité fait essentiellement appel au professionnalisme de chacun. Vu l'expansion rapide de l'information nécessaire pour dispenser des soins de grande qualité et comme les prestateurs doivent consacrer la majeure partie de leur temps aux patients, les exigences relatives à l'éducation continue et à la recertification obligatoire ont encouragé (ou poussé) les intéressés à «suivre les écrits». Les critiques systématiques, les guides de pratique et les énoncés de concertation ont aussi aidé. Dans ce numéro (voir page 1057), Colin Dormuth et ses collaborateurs présentent un compte rendu d'une étude clinique contrôlée randomisée montrant une amélioration de 30 % de la qualité des ordonnances, que l'on a réalisée simplement en envoyant aux médecins de brèves mises à jour factuelles portant sur certains médicaments. C'est un résultat tout à fait spectaculaire d'une intervention d'envergure restreinte1. Il se peut toutefois qu'il ne suffise pas d'avoir recours à de telles stratégies. Les prestateurs de soins de santé et les payeurs se tournent maintenant vers d'autres méthodes pour améliorer la qualité. Il y a longtemps que les entreprises attisent la détermination de leurs employés par des «éléments de motivation externes» comme les primes pour ceux qui atteignent des objectifs de production, de qualité ou de rentabilité. Des incitatifs semblables deviennent la norme en médecine aussi. Au Royaume-Uni, le Service national de santé a mis en œuvre récemment une expansion importante de la rémunération au rendement2. On utilisera de nombreux indicateurs de qualité dans 10 grands domaines pour attribuer des «points» qui détermineront jusqu'à un tiers du revenu d'un omnipraticien. Aux États-Unis, les organisations de maintien de la santé prépayées offrent des incitatifs financiers semblables depuis quelque temps. Un comité d'experts des États-Unis a demandé récemment au gouvernement fédéral et à ceux des États de fixer des normes de qualité à l'égard de 15 problèmes courants et d'obliger les professionnels de la santé à déterminer dans quelle mesure ils réussissent à atteindre les objectifs et à en faire rapport publiquement3. Le rapport recommande des incitatifs financiers à la réussite qui dépassent de 5 à 15 % les honoraires actuels. En Ontario, les négociations contractuelles entre l'Association médicale et le gouvernement de la province portent notamment sur un régime qui visera à mettre 50 millions de dollars de plus à la disposition des services médicaux si les dépenses du Régime de médicaments gratuits de l'Ontario diminuent de 200 millions de dollars en quatre ans4. Certains considèrent cette stratégie comme une incitation «judicieuse» à réduire l'établissement excessif d'ordonnances pour les patients âgés. D'autres estiment indélicate toute tentative visant à motiver ainsi une pratique appropriée5. La rémunération au rendement ne manquera pas d'entraÎner des risques et des coûts, ni de susciter la controverse, et les contextes précis où l'on appliquera cette stratégie détermineront si elle donne aux patients une paix d'esprit plus grande ou moindre. Les nouveaux moyens de gestion de la qualité et du rendement des soins de santé suscitent un conflit entre la motivation interne actuelle (professionnalisme) et la motivation externe (argent). L'établissement d'objectifs précis de qualité et de rendement incitera dans certains cas des praticiens à faire preuve d'un plus grand discernement face au marché et à choisir leurs patients de façon plus sélective, ce qui pourrait exclure les personnes qui ne communiquent pas bien (ou ne parlent pas le français ou l'anglais) ou les personnes âgées, obèses, atteints d'une comorbidité ou d'autres problèmes qui en font des patients moins efficients. Il faudra surveiller attentivement l'équilibre entre le professionnalisme et les récompenses financières. Ces nouveaux systèmes sont en outre coûteux. Pour mesurer la qualité avec précision, il faut investir dans des systèmes d'information qui sont eux-mêmes de grande qualité et tiennent compte de la complexité et de la diversité de chaque patient, ainsi que des variations des populations de patients entre différentes pratiques. Si l'on veut qu'elles soient efficaces, les récompenses financières ne peuvent être banales. Elles devront porter sur un pourcentage important des patients d'une pratique afin de créer une incitation financière suffisante pour indemniser les médecins (et les gouvernements) du temps et des coûts de technologie supplémentaires en cause. Même si la grosseur de la carotte et du bâton importe, elle ne devrait pas être assez importante dans les deux cas pour déplacer, décourager ou perturber la motivation interne et le professionnalisme sous-jacent que tous les prestateurs de soins de santé apportent au travail. Les incitations financières risquent de révéler que la main invisible porte un gant double à l'excès et s'autoprotège, obstacle qui empêche des patients inefficaces d'avoir accès à des soins de qualité. — *JAMC* ## References 1. 1. Dormuth CR, Maclure M, Bassett K, Jauca C, Whiteside C, Wright JM. Effect of periodic letters on evidence-based drug therapy on prescribing behaviour: a randomized trial. JAMC 2004;171(9):1057-61. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTcxLzkvMTA1NyI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIxOiIvY21hai8xNzEvOS8xMDE1LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 2. 2. National Health Services. New GSM contract. Disponible : [www.nhsconfed.org/gms/default.asp](http://www.nhsconfed.org/gms/default.asp) (consulté le 4 octobre 2004). 3. 3. Institute of Medicine. *Leadership by example: coordinating government roles in improving health care quality*. Washington (DC): National Academies Press; 2002. 4. 4. Adam M. MDs to get $50M if they cut drug costs. *Ottawa Citizen* 2 octobre 2004 : Sect A1, A12. 5. 5. Babbage M, Chen J. Offer to MDs “not a bribe,” Ontario says. *Ottawa Citizen* 3 octobre 2004 : Sect A3.