L'échec fébrile du Canada face au paludisme ============================================= * Amir Attaran * © 2007 Canadian Medical Association or its licensors Les Canadiens sont fiers d'être citoyens d'un pays humanitaire. Or, face à la maladie infectieuse qui tue plus d'enfants africains que toute autre — le paludisme — la nonchalance du gouvernement du Canada est déconcertante et embarrassante. Demain (le 25 avril), c'est la Journée africaine du paludisme — créée par les Nations Unies qui ont lancé, en 1998, une campagne pour «Faire reculer le paludisme» (FRP) visant à réduire de moitié, d'ici à 2010, le nombre de personnes atteintes et le nombre de morts causés par cette maladie. L'Agence canadienne de développement international (ACDI) a ensuite offert sa collaboration. Or, comme il ne reste que trois ans avant l'échéance, il ne serait sans doute pas inutile de faire le point sur les activités de la campagne et sur les interventions de l'ACDI. Sur le plan épidémiologique, les nouvelles sont désespérées. Les Nations Unies ont fait preuve d'une perspicacité plutôt limitée en fixant leur objectif sans établir de niveau de référence des cas ou des décès. Il ne reste alors que des modèles épidémiologiques, lesquels indiquent qu'il n'y a pas eu de réduction — et qu'il y a probablement eu, en fait, une augmentation — comparativement au début de la campagne il y a neuf ans1. Les estimations concertées demeurent floues, mais on s'entend généralement pour dire qu'un million d'enfants meurent du paludisme chaque année. Pour imaginer ce total, il suffit de visualiser sept Boeing 747 remplis d'enfants qui s'écrasent tous les jours. Il n'est toutefois pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Les investissements dans la lutte contre le paludisme produisent des résultats renversants. La maladie est traitable à 100 % au moyen de traitements combinés à l'artémisinine très efficaces, qui coûtent 1 $, et presque entièrement évitable au moyen d'insecticides pulvérisés sur les murs de la maison ou dont on imprègne les moustiquaires, ce qui coûte environ 5 $. Il n'y a aucune controverse scientifique : tous reconnaissent que ces moyens sont efficaces2. Ensemble, ces deux moyens pourraient épargner la vie de presque 20 % des enfants qui meurent aujourd'hui et soulager les systèmes de santé où de 25 à 40 % des consultations à la clinique et de 20 à 50 % des hospitalisations sont reliées au paludisme. Les gouvernements du Canada, tant Libéraux que Conservateurs, ont pourtant été lents à agir. En fait, il a été pendant longtemps peu intéressant d'aider, car une série de directeurs de programmes de lutte contre le paludisme à l'OMS ont fait des choix ineptes sur le plan technique, notamment en s'opposant à l'usage du DTT comme insecticide antipaludéen et en recommandant des traitements rendus désuets par la pharmacorésistance (p. ex., la chloroquine). Dieu merci, l'OMS a maintenant un nouveau directeur compétent, le Dr Arata Kochi, qui a fondé il y a une dizaine d'années à l'OMS, grâce à de l'argent canadien, un programme antituberculose efficace. Le plan du Dr Kochi consiste à imposer une vocation scientifique à la lutte contre le paludisme. La décision est judicieuse, car on a actuellement tendance, pour contrôler le paludisme, à choisir ce qui est facile sur le plan administratif plutôt que ce qui est efficace sur le plan médical. La Banque Mondiale et le gouvernement de l'Inde, par exemple, ont gaspillé désastreusement de l'argent et des vies d'enfants en achetant de la chloroquine inefficace, même s'ils savaient que le paludisme à *Plasmodium falciparum* pharmacorésistant existait en Inde. L'OMS espère éviter de telles débandades en formant des techniciens experts dans les pays pauvres et en poussant des organismes comme la Banque Mondiale à respecter les politiques de l'OMS qui reposent sur des données cliniques. C'est pourquoi, forts de cette vision louable, le Dr Kochi et son équipe ont visité à trois reprises l'ACDI l'an dernier. Ils ont cherché à obtenir 50 millions de dollars par année du budget d'environ 4 milliards de l'ACDI. Chaque fois, l'ACDI les a renvoyés chez eux les mains vides. Le bilan de l'ACDI face au paludisme est troublant. Non seulement elle accueille mal l'orientation scientifique de l'OMS, mais elle gaspille aussi de l'argent dans des activités pseudoscientifiques. L'Agence a injecté 14 millions de dollars dans deux projets de recherche et de promotion de «traitements antipaludéens domestiques» sans disposer de preuves cliniques de leur efficacité. Entre-temps, parce qu'il lui manquait 1 million de dollars par année, l'OMS a dû renoncer à ses plan de cartographier la résistance aux médicaments antipaludéens, ce qui permettrait de cibler les gens qui en ont besoin au moyen de traitements *existants* et très efficaces. L'ACDI a même réussi le fait d'armes extraordinaire d'arracher la défaite aux griffes de la victoire après s'être déjà, il faut le reconnaître, attaquée avec succès au paludisme. L'ACDI et la Croix-Rouge canadienne ont réalisé un projet qui leur a attiré de vives louanges et dans le cadre duquel elles distribuaient gratuitement des moustiquaires imprégnées d'insecticide, ce qui a sauvé la vie de 75 000 enfants. L'ACDI a toutefois laissé le financement s'épuiser l'an dernier. Une proposition d'expansion du projet d'une valeur de 100 millions de dollars présentée par la Croix-Rouge a langui pendant 18 mois sur les pupitres de l'ACDI. Il a fallu la pression furibonde de journalistes et du Parlement pour pousser l'ACDI à agir même si, à cause de son calendrier d'escargot, il était alors impossible d'approuver le budget en entier. Il a donc fallu réduire arbitrairement de 80 %, pour le ramener à 20 millions de dollars (budget qui n'était pas encore approuvé au moment d'aller sous presse, mais qui devrait l'être bientôt), un projet couronné de succès et qui sauverait des vies. Le *JAMC* pense que le Canada devrait s'inspirer des États-Unis où une alliance de centres de réflexion de droite, d'évangélistes et de professeurs d'université a convaincu George W. Bush de lancer l'Initiative du Président contre le paludisme, d'une valeur de 1,1 milliard de dollars US. Ce programme s'attire des éloges dithyrambiques parce qu'il se concentre avec transparence sur des interventions éprouvées, dans un nombre limité de pays. Les Conservateurs pourraient-ils aussi s'attaquer aussi le paludisme et s'en servir comme d'un «éclaireur» pour nettoyer les écuries d'Augias de l'ACDI? Le temps le dira, mais les Canadiens et d'innombrables Boeing 747 remplis d'enfants africains doivent certainement l'espérer. ## Footnotes * On trouvera d'autres ressources sur la question au [www.cmaj.ca/cgi/content/full/176/9/1249/DC1](http://www.cmaj.ca/cgi/content/full/176/9/1249/DC1) ## RÉFÉRENCES 1. 1. Snow RW, Guerra CA, Noor AM, et al. The global distribution of clinical episodes of *Plasmodium falciparum* malaria. Nature 2005;434:214-7. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1038/nature03342&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=15759000&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F176%2F9%2F1251.atom) 2. 2. Barnes KI, Durrheim DN, Little F, et al. Effect of artemether-lumefantrine policy and improved vector control on malaria burden in KwaZulu-Natal, South Africa. *PLoS Med* 2005;2:e330.