Reconstruction de l'Afghanistan : où est la santé? ==================================================== * Wayne Kondro, MA * © 2007 Canadian Medical Association Supposons un instant que vous vous sentiez le devoir d'aider à équiper une unité de soins intensifs de 10 lits dans un hôpital situé en zone de guerre où vos mesures antisubversives font des victimes. Oublions le luxe : pas de machines à dialyse, de pompes à succion de haut de gamme ou de moniteurs de patients. Supposons toutefois que l'hôpital dispose au moins de personnel bien formé et de fournitures de base comme des pansements, des bassines de lit, des lignes intraveineuses et autres tubes — mais non jetables. Supposons aussi que vous avez un budget serré comme celui de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) et que vous achetez usagé. Quelques ventilateurs mécaniques seraient essentiels. Prix affiché de divers fournisseurs de matériel médical usagé? De 875 à 2500 USD. Un appareil d'anesthésie? De 1725 à 3445 $. Un stérilisateur à vapeur à chambre moyenne? Environ 5000 $. Une génératrice de secours de 500 kW/625 kVa? De 30 000 à 62 000 $. Si vous achetez le haut de gamme de l'usagé, et dépensez sans compter pour acheter, disons, quatre ventilateurs, il vous en coûtera environ 80 000 $. Ajoutons quelques dollars pour des tubes endotrachéaux et peut-être même du combustible diesel pour la génératrice. Nivelons à 100 000 $. Ou 200 000 $, pourquoi pas. En fait, dépensez à la folie. Pour contribuer à la reconstruction de l'Afghanistan et afin de susciter de la bonne volonté tout en démontrant les avantages des méthodes occidentales, dépensez quelques millions de dollars pour mettre en place la capacité d'effectuer des analyses de laboratoire de base et pour dispenser quelques sédatifs, antibiotiques et analgésiques aux patients de l'unité même si cela dépasse actuellement la norme de soin en vigueur de l'hôpital. On pourrait affirmer que la seule présence du Canada sur les lieux justifie un tel investissement dans le système de santé de l'Afghanistan, ne serait-ce que pour l'aider à faire face aux pressions causées par notre présence. Après tout, des militaires canadiens font feu et il est très difficile de soutenir que nos balles n'ont pas contribué à faire augmenter le nombre de traumatismes perforants. Il y a de plus le petit problème des conventions de Genève et de leurs dispositions relatives aux victimes chez les civils, ou celui des mesures à prendre pour appliquer la Convention des Nations Unies pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, et en particulier la disposition 2 de l'article 3 qui prévoit que : «Les blessés et malades seront recueillis et soignés». On pourrait affirmer que le Canada doit donc veiller à ce que l'hôpital Mirwais de soins tertiaires, établissement de 450 lits, à Kandahar, dispose au moins du matériel minimum nécessaire pour faire face à l'augmentation de sa charge de travail (selon le rapport du Conseil de Senlis, centre de réflexion sur la politique de développement international et de sécurité situé à Paris, l'hôpital Mirwais manque totalement de matériel et n'est à peine plus qu'un «vecteur d'infections1»). Or, les médecins militaires canadiens et leurs homologues d'autres pays qui prodiguent des soins dans une unité médicale multinationale située en dehors de Kandahar sont aux prises avec un dilemme éthique insoutenable qui les déchire entre leur obligation de prodiguer des traitements d'urgence aux militaires et policiers afghans — membres des forces de la Coalition — et celle de les «transférer» à Mirwais, sachant qu'ils signent ainsi pratiquement leur arrêt de mort2. On pourrait affirmer que les efforts de reconstruction, et en particulier les investissements dans la santé prévus dans la Convention de janvier 2006 intervenue entre le gouvernement afghan et la communauté internationale, doivent obligatoirement se faire à un niveau plus fondamental que la dotation en matériel d'unités de soins intensifs. La santé est un des six secteurs ciblés du volet développement économique et social de la Convention, qui fixe l'échéance à 2010 pour offrir un ensemble de services de santé de base à 90 % de la population, réduire la mortalité maternelle de 15 % et vacciner tous les enfants de moins de cinq ans contre les maladies évitables par la vaccination, tout en réduisant leur taux de mortalité de 20 %. On pourrait alors s'attendre à ce que quelque part, dans le cadre des 50 projets d'une valeur de 139 millions de dollars que l'ACDI a maintenant en cours en Afghanistan, plusieurs initiatives visent à améliorer la capacité de dispenser des soins de santé de base, même à un niveau très inférieur à la dotation en matériel modeste d'un service de soins intensifs. Pourtant, deux projets seulement visent directement des initiatives dans le domaine de la santé et un seul vise à améliorer la capacité de l'Afghanistan de dispenser des soins de santé. On a affecté quelque 5 millions de dollars à la vaccination dans le contexte de l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite, et 350 000 $ à un projet de l'UNICEF pour établir un service de soins obstétriques résidentiels près de Mirwais. Plusieurs autres projets comportent, bien entendu, des volets santé publique, y compris des efforts visant à assainir l'eau et à faire disparaître les carences en vitamines et en minéraux dans l'alimentation afghane. Il est certain que les 50 projets ont une valeur, même si l'on pourrait être tenté de se demander s'il est vraiment nécessaire de consacrer des millions de dollars au service de «formateurs en réformes administratives», conseillers gouvernementaux, planificateurs et, semble-t-il, autres mandarins de tout acabit. L'infrastructure de la santé a certainement autant de valeur dans la reconstruction de l'Afghanistan. Si l'Union européenne, les États-Unis et d'autres intervenants hésitent pour quelque raison que ce soit à effectuer de tels investissements, le Canada et l'ACDI devraient intervenir, sans hésitation. ## RÉFÉRENCES 1. 1. Kondro W. Afghanistan: Outside the comfort zone in a war zone. JAMC 2007;177:131-4. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo5OiIxNzcvMi8xMzEiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTc3LzMvMjM1LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 2. 2. Kondro W. Malaise at Mirwais. JAMC 2007;177:134. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo5OiIxNzcvMi8xMzQiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTc3LzMvMjM1LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==)