Le sel, jadis utilisé comme monnaie d'échange, est désormais devenu une cause importante de maladies et de décès. Nous sommes portés à sous-estimer notre consommation de sel et les dommages qu'entraîne une consommation excessive de ce minéral alimentaire. L'hypertension artérielle et ses conséquences sont les pires. Environ 1 milliard de personnes sont atteintes d'hypertension1. De ce nombre, l'excès de sel est en cause dans environ 30 % des cas2. L'hypertension liée à la consommation de sel est responsable d'environ 14 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et 9 % des infarctus du myocarde3.
La quantité de sel nécessaire à une bonne santé est probablement proche de la teneur naturelle en sel des denrées alimentaires non transformées, soit environ 0,5 g par jour. Or, dans les pays industrialisés, la personne moyenne consomme environ 10 g (1,5 c. à thé) de sel par jour, dont environ 75 % provient d'aliments transformés4. À titre de comparaison, les Indiens Yanomami de l'Amazonie consomment moins de 1 g de sel par jour. Ils ne font pas d'hypertension, même en prenant de l'âge. On ne constate pas non plus chez leurs enfants à la puberté la hausse soudaine de tension artérielle signalée ailleurs dans le monde chez ces jeunes. À l'autre extrême, les Japonais consomment environ 15 g de sel par jour. Bien qu'en général, le Japon soit l'un des pays les plus sains du monde, il accuse un taux élevé d'hypertension artérielle et le plus haut taux d'AVC du monde industrialisé.
Il n'est pas nécessaire d'ajouter de sel dans notre alimentation. Une perte physiologiquement importante de sodium ne se produit lors d'activités normales que s'il y a sudation prolongée (par exemple, courir sans arrêt pendant plus de 90 minutes). Malgré leur utilisation généralisée dans les recettes, les sels de sodium ne sont essentiels que lorsqu'il faut du bicarbonate de sodium pour faire lever la pâte. Et grâce à la réfrigération, il est désormais rarement nécessaire d'utiliser des sels de sodium comme agent de conservation. En outre, les personnes qui n'ajoutent pas de sel redécouvrent fréquemment les saveurs uniques et intéressantes des aliments non salés.
Les personnes qui ne font pas d'hypertension artérielle pourraient se sentir réconfortées à l'idée que leur consommation de sel est sans importance. Elles doivent cependant retenir que la relation entre la tension artérielle et l'apport alimentaire en sel, bien que modeste et hétérogène dans les valeurs moyennes, est continue plutôt que binaire. Dans les sociétés industrialisées, la prévalence de l'hypertension augmente continuellement avec l'âge, ce qui suggère que si nous continuons de consommer autant de sel, la plupart d'entre nous deviendront hypertendus, si nous vivons assez longtemps. Pourtant, il suffit d'une réduction du sel alimentaire d'une médiane de 4,4 g par jour pour faire baisser la tension artérielle tant chez les hypertendus que les normotendus5. Deux essais cliniques à long terme menés auprès de personnes présentant une tension artérielle dans la limite supérieure de la normale ont en outre révélé qu'une réduction moyenne de l'apport quotidien en sel de 2,4 g résultait en une diminution absolue de 2,5 % des événements cardiovasculaires et de 2,4 % de la mortalité toutes causes confondues6.
La réduction de l'apport en sel est un élément important de la gestion de l'hypertension. Bien qu'il soit tentant de cibler ces personnes à risque élevé, la réduction de l'apport en sel dans l'ensemble de la population, la vie durant, est susceptible d'être plus efficace, car même un petit changement à la baisse de la courbe de distribution de la tension artérielle de la population préviendrait davantage d'événements cardiovasculaires. Au Canada, une réduction de la consommation alimentaire de sel pourrait réduire la prévalence de l'hypertension, qui passerait de 3,5 à 2,2 millions2.
L'ampleur des conséquences potentielles sur la santé presse à intervenir d'urgence pour éliminer un produit risqué dont la consommation offre peu d'avantages apparents. Il est temps d'agir. Les médecins peuvent préconiser des changements dans la transformation des aliments et dans l'industrie de la restauration, à savoir une réduction importante de la quantité de sel dans la préparation des aliments et un étiquetage clair sur les emballages et les menus. Les médecins peuvent aussi recommander à leurs patients de réduire au minimum la consommation d'aliments transformés et en conserve et de s'abstenir d'ajouter du sel. Il semble que de s'abstenir d'ajouter de sel dans l'alimentation soit un idéal sûr. L'apport quotidien maximal en sel devrait être de 2,8 g pour les jeunes qui sont actifs et qui transpirent davantage et de 2,2 g pour les personnes plus âgées7.
Les consommateurs ne devraient pas attendre de recevoir plus de conseils. Ils devraient lire l'information nutritionnelle sur les étiquettes des aliments transformés et éviter les denrées à haute teneur en sel (un seuil raisonnable est de 20 mg de sodium par portion). Ils devraient aussi exiger que les épiceries et les restaurants offrent des aliments à faible teneur en sel et se plaindre quand le sel domine le goût. Nous ne devrions pas être forcés de manger du sel. La norme par défaut devrait être qu'aucun sel ne soit ajouté aux aliments que nous achetons, laissant à ceux qui veulent saler leurs aliments le choix de le faire à leurs propres risques.
Footnotes
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Traduit par le Service de traduction de l'AMC.
Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Matthew B. Stanbrook MD PhD, Barbara Sibbald BJ, Noni MacDonald MD MSc and Amir Attaran LLB DPhil)
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.