Résultat de troponine faux positif à l’origine d’un diagnostic erroné de myopéricardite =============================================================================================== * Marianne Laguë * Pierre Yves Turgeon * Sébastien Thériault * Christian Steinberg [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211842](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/194/E456) Points clés * Les immunodosages de troponine de haute sensibilité sont sujets à des résultats faussement positifs causés par une interférence in vivo ou in vitro attribuée à des anticorps hétérophiles, à des auto-anticorps ou à la macrotroponine. * La macrotroponine, un complexe immunoglobuline-troponine cardiaque (souvent troponine cardiaque I), est la plus fréquente cause de taux faussement élevés de troponine. * Les médecins devraient envisager la possibilité d’un dosage faussement élevé de troponine lorsqu’ils observent une discordance entre le taux de troponine et le tableau clinique chez un patient. * La reconnaissance précoce des fausses élévations de la troponine pourrait éviter aux patients de subir des interventions effractives nombreuses et coûteuses et atténuer leur anxiété. Une jeune fille de 16 ans, triathlète de haut niveau, a été transférée à notre hôpital avec un diagnostic provisoire de myopéricardite persistante. Ses antécédents médicaux étaient sans particularités et elle n’avait pas reçu de vaccin anti-SRAS-CoV-2. Elle avait initialement consulté au service des urgences pour douleurs rétrosternales atypiques. Ses signes vitaux et son examen cardiaque étaient normaux. Une série d’électrocardiogrammes (ECG) avaient révélé un rythme sinusal normal (figure 1A). Un dosage de haute sensibilité (Dimension Vista 1500, Siemens Healthineers) de troponine cardiaque I (cTnI) avait révélé un taux élevé, avec un résultat initial de 872 ng/L (99e percentile de la limite supérieure de la normale [LSN] chez les femmes 54 ng/L). Une échocardiographie transthoracique et une tomodensitométrie (TDM) pulmonaire de ventilation–perfusion s’étaient révélées normales. La patiente avait reçu son congé avec un diagnostic présumé de myopéricardite et on lui avait prescrit du naproxène et de la colchicine. Son taux de cTnI était encore élevé lors d’une consultation en externe 7 jours plus tard (figure 1B). L’imagerie par résonance magnétique cardiaque ne montrait aucun signe d’inflammation myocardique. En raison de la possibilité d’une myopéricardite persistante, un cycle court de prednisone lui avait été prescrit. ![Figure 1:](http://www.cmaj.ca/https://www.cmaj.ca/content/cmaj/194/22/E791/F1.medium.gif) [Figure 1:](http://www.cmaj.ca/content/194/22/E791/F1) Figure 1: Épreuves cardiaques chez une jeune fille de 16 ans qui a reçu un diagnostic erroné de myopéricardite. (A) Électrocardiogramme normal lorsque la patiente a consulté au service des urgences. (B) Taux de troponine cardiaque I et traitement anti-inflammatoire pendant 80 jours suivant la première consultation. Les traits gris pâle et gris foncé représentent la durée du traitement anti-inflammatoire par naproxène et prednisone, respectivement. (C) Échocardiographie transthoracique montrant une déformation longitudinale globale normale 30 jours après la consultation initiale de la patiente, alors que ses taux de troponine cardiaque I étaient à leur maximum. Un mois plus tard, la patiente a de nouveau été admise à l’hôpital après un autre épisode de douleur rétrosternale atypique, et un taux de cTnI très élevé (3165 ng/L, Dimension Vista 1500). Ses symptômes physiques étaient non spécifiques et incluaient dyspnée à l’effort et fatigue. Le cardiologue consulté a repris le traitement anti-inflammatoire (figure 1B) pendant une brève période. Compte tenu de l’évolution clinique inhabituelle et de l’augmentation inattendue des taux de troponine (figure 1B), la patiente a été transférée vers notre centre pour des examens plus approfondis. À notre hôpital, les analyses de laboratoire n’ont montré aucun signe d’inflammation systémique (numération leucocytaire, vitesse de sédimentation des érythrocytes et taux de protéine C-réactive normaux). Ses fonctions rénale et hépatique étaient normales. Les ECG en série, une surveillance télémétrique de 7 jours, une épreuve sur tapis roulant et les ECG à signal moyen étaient tous sans particularités. D’autres épreuves d’imagerie cardiaque, dont une échocardiographie transthoracique avec analyse de la déformation myocardique (figure 1C), la reprise de l’IRM cardiaque, l’IRM coronarienne (pour exclure toute anomalie des coronaires) et la tomographie par émission de positrons au fluorodésoxyglucose (pour exclure une inflammation cardiaque, comme la sarcoïdose) se sont révélées normales. La patiente ne présentait aucun signe de maladie inflammatoire, auto-immune ou infectieuse après recherche du facteur rhum-f comatoïde et d’anticorps antinucléaires et le dépistage du SRAS-CoV-2, du virus Epstein–Barr et du VIH. Les épreuves génétiques pour cardiomyopathies héréditaires étaient également négatives. Ces résultats négatifs à une panoplie d’épreuves de dépistage des lésions myocardiques nous ont fait soupçonner des résultats de dosage de cTnI faux positifs, sur la base des taux normaux de créatine kinase-MB, à moins de 1 μg/L (LSN 8,0), et de troponine T cardiaque (cTnT), à 12 ng/L (LSN 14) avec un test de haute sensibilité (Cobas, Roche Diagnostics). Nous avons donc procédé à d’autres analyses biochimiques. Un dosage de la cTnI par une autre méthode (Vitros 5600, Ortho Clinical Diagnostics) s’est révélé près de la normale à 11 ng/L (LSN 9). Pour évaluer la possibilité d’une macrotroponine circulante, nous avons procédé à un test de précipitation par le polyéthylène glycol (PEG) qui a révélé une récupération initiale de 31 %, puis de 21 % après dilution (le seuil de récupération proposé pour un test positif est < 40 %)1. Nous avons donc conclu qu’une macrotroponine circulante était probablement à l’origine des résultats de cTnI faux positifs obtenus avec le système d’analyse Siemens’ Dimension Vista 1500. Un retour sur l’ensemble du tableau clinique de la patiente nous a portés à conclure que le diagnostic le plus plausible était une douleur d’origine musculosquelettique, et anxiété après son premier épisode de douleur rétrosternale probablement exacerbé par le diagnostic erroné de myopéricardite. Nous avons rassuré la patiente et lui avons donné son congé, sans médicaments. Elle n’a présenté aucun autre épisode malgré la reprise progressive de son entraînement sportif. Un an plus tard, les résultats d’un test de cTnI étaient encore légèrement positifs (130 ng/L, Dimension Vista 1500). ## Discussion Les médecins devraient envisager la possibilité d’un dosage faussement élevé de troponine lorsqu’ils observent une discordance entre le taux de troponine et le tableau clinique chez un patient. Les immunodosages de troponine de haute sensibilité sont sujets à des erreurs de type faux positif en raison d’une interférence in vivo ou in vitro (figure 2A), parfois causée par des anticorps hétérophiles, des auto-anticorps ou la macrotroponine2. Une étude antérieure a fait état d’un taux de discordance d’environ 1,5 % lors de la comparaison de 2 tests différents de cTnI, le plus souvent attribué à la présence d’une macrotroponine3. Ces taux élevés de cTnI lors de dosages de haute sensibilité peuvent être cliniquement trompeurs, mais la plupart des résultats faux positifs correspondent à de légères hausses. ![Figure 2:](http://www.cmaj.ca/https://www.cmaj.ca/content/cmaj/194/22/E791/F2.medium.gif) [Figure 2:](http://www.cmaj.ca/content/194/22/E791/F2) Figure 2: (A) Mécanismes de l’interférence avec les systèmes d’analyse in vivo et in vitro lors des dosages de la troponine. La présence d’une macrotroponine, un complexe immunoglobuline–troponine de haut poids moléculaire, peut entraîner des résultats faux positifs en raison de son élimination plus lente de la circulation. La présence d’anticorps hétérophiles ou d’auto-anticorps peut entraîner des résultats faux positifs, en faisant le pont entre les anticorps de capture et de détection du test, ce qui génère un signal erroné. (B) Test de précipitation au polyéthylène (PEG) pour évaluer une possible macrotroponine circulante. L’ajout de PEG entraîne la précipitation des molécules de haut poids moléculaire, y compris de la macrotroponine. Après incubation avec PEG et centrifugation, le surnageant, une fois dégagé de la macrotroponine, est mesuré et le taux de récupération peut être calculé (concentration de troponine dans le surnageant, corrigée en fonction du volume de PEG, divisée par le taux de troponine initial). Un faible taux de récupération suggère la présence de macrotroponine. Les auteurs d’une revue de 2013 sur l’interférence causée par les anticorps hétérophiles dans les dosages immunométriques ont laissé entendre que des anticorps humains hétérophiles ayant une affinité pour les anticorps animaux sont présents chez jusqu’à 40 % de la population, le plus souvent sans exposition connue aux antigènes animaux4. Il s’agit d’une cause endogène d’interférence avec les systèmes d’analyse in vitro. Dans de rares cas, les anticorps hétérophiles peuvent entraîner des résultats faux positifs en interagissant avec les immunoglobulines animales dans certains réactifs, malgré l’optimisation de la plupart des tests pour éviter ce type d’interférence. Une dilution en série de l’échantillon de sang pour chercher une non-linéarité de la concentration de cTnI ou d’autres analyses de l’échantillon dans des éprouvettes inactivant les anticorps hétérophiles peuvent aider au diagnostic. Nous n’avons pas effectué de dilution en série pour notre patiente et notre centre n’a pas facilement accès à des éprouvettes munies de réactifs qui bloquent les anticorps hétérophiles. Les auto-anticorps anti-cTnI ou anti-cTnT circulants peuvent causer une interférence avec les systèmes d’analyse et sont parfois associés à certaines maladies auto-immunes, comme la polyarthrite rhumatoïde5. La prévalence des autoanticorps anti-cTnI pourrait atteindre 12,7 % chez les donneurs de sang normaux5. La macrotroponine, un complexe immunoglobuline–troponine cardiaque (plus souvent cTnI), est la plus fréquente cause d’écarts entre les différents dosages de troponine1,6. Une récente étude a montré une incidence potentiellement plus élevée de résultats faux positifs dus à la macrotroponine avec les tests cTnI de Siemens, y compris celui qui a servi chez notre patiente1. Ces complexes immuns de haut poids moléculaire résultent de la liaison de fragments protéiques ou d’enzymes avec les immunoglobulines circulantes, qu’il y ait ou non atteinte myocardique. Ce phénomène a aussi été observé avec plusieurs autres biomarqueurs, notamment la créatine kinase, l’aspartate aminotransférase, l’amylase et la prolactine. Ces complexes ont tendance à persister dans le sang, car ils ont une élimination réduite et une longue demi-vie, ce qui donne lieu à des taux faussement élevés du biomarqueur. Le taux de troponine mesuré par immunodosage est imprévisible en présence de macrotroponines, mais on observe souvent une hausse qui se situe au-delà du 99e percentile6. La présence de ces complexes immuns physiologiquement inactifs résulterait d’une sensibilisation préalable à des antigènes infectieux ou d’une immunisation contre la cTnI ou la cTnT consécutive à une lésion myocardique ou musculaire5. Plusieurs tests biochimiques permettent de confirmer la présence de macrotroponine; les tests de précipitation au PEG sont de plus en plus utilisés à cette fin (figure 2B)1. Le sérum du patient est mélangé au PEG et, après une période d’incubation qui permet aux complexes lourds de précipiter, le surnageant est réanalysé. Une faible récupération de cTnI indique la présence de macrotroponine. Le taux seuil de récupération après précipitation au PEG qui serait indicateur de la présence de macrotroponine n’est pas clairement établi et dépend probablement du protocole et du test utilisés, ainsi que du taux de troponine. Une étude de 6 tests différents a proposé un seuil de récupération de 40 % et a montré une bonne concordance entre la précipitation au PEG et l’incubation avec la protéine A à ce seuil1. Même si d’autres études ont utilisé des seuils plus bas, la récupération observée dans notre cas était moindre que ce qui avait été rapporté dans les échantillons témoins3,6. La précipitation avec une protéine de fixation des immunoglobulines, comme la protéine A, la protéine G ou une autre anti-immunoglobuline G (IgG) humaine est une autre méthode pour amorcer la déplétion des immunoglobulines qui a une bonne concordance avec la précipitation au PEG, mais qui n’est pas encore accessible dans notre centre1,6. L’élimination du fragment IgG du macrocomplexe et la mesure subséquente des taux de cTnI et d’IgG sont aussi indicateurs de la présence de macrotroponine. Chez notre patiente, nous avons identifié la macrotroponine I avec le procédé de précipitation au PEG. Fait à noter, la macrotroponine n’a pas été détectée avec un autre test de cTnI, ce qui pourrait être attribué au fait que les 2 méthodes reconnaissent des épitopes différents. Même si le phénomène est moins courant, on ne peut exclure qu’un anticorps hétérophile ou autre ait pu contribuer à l’interférence avec la méthode d’analyse utilisée chez notre patiente. Fait à noter, les taux de cTnI en série de notre patiente ont diminué lors des dosages de contrôle; il est possible que les traitements anti-inflammatoires qu’on lui a prescrits aient ralenti la production d’anticorps. La myopéricardite a la même physiopathologie que la myocardite. Dans la myocardite, l’inflammation affecte exclusivement le myocarde, tandis que le péricarde est aussi atteint dans la myopéricardite. L’inflammation du péricarde peut occasionner la douleur pleurétique typique de la péricardite, qui est aggravée en décubitus. À part la fausse élévation de sa troponine, cette patiente ne présentait aucun symptôme ni signe spécifiques de myopéricardite ou de péricardite après toute une batterie de tests. Notre cas souligne l’importance d’interpréter avec soin les résultats d’analyses de laboratoire en tenant compte du tableau clinique, et en portant une attention particulière aux discordances. En présence de discordances, on peut utiliser une autre méthode de laboratoire pour mesurer les taux de troponine cardiaque afin de débusquer les résultats faux positifs. La reconnaissance précoce des fausses élévations de la troponine pourrait éviter aux patients de subir des interventions effractives nombreuses et coûteuses et atténuer leur anxiété. La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: [www.cmaj.ca](http://www.cmaj.ca). ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** Aucun déclaré. * Cet article a été évalué par des pairs. * Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente. * **Collaborateurs:** Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Marianne Laguë et Pierre Yves Turgeon ont rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. 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