Pour une pratique antiraciste en chirurgie pédiatrique au Canada ================================================================= * Oluwatomilayo Daodu * Shahrzad Joharifard * Melanie I. Morris * Dickens Saint-Vil * Pramod S. Puligandla * Mary E. Brindle * au nom de l’Association canadienne de chirurgie pédiatrique [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211128](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/194/E813) Points clés * La santé de nombreux enfants au Canada subit les contrecoups du racisme systémique et de la colonisation qui ont prévalu pendant des générations. * Ces effets incluent un piètre accès aux soins de santé et à des facteurs environnementaux propices à la santé comparativement à la population générale, de même que des préjugés et une discrimination qui se perpétuent et affectent la santé. * La chirurgie pédiatrique au Canada doit se sensibiliser au racisme et aux iniquités systémiques, travailler activement à promouvoir la diversité dans le domaine et pratiquer l’antiracisme dans toutes ses sphères. Au cours des 2 dernières années, les corps de plus de 1800 enfants ont été découverts dans des tombes anonymes sur les sites d’anciens pensionnats autochtones au Canada — une horreur qui montre à quel point, en raison du racisme, notre pays et ses systèmes ont échoué à protéger les plus jeunes d’entre nous. Le retrait systématique des enfants autochtones de leur communauté, de leur territoire, de leur culture et de leur langue a donné lieu à des iniquités alarmantes sur le plan de la santé1. Dans le même ordre d’idées, même si le Canada a aboli l’esclavage 27 ans avant les États-Unis, les communautés noires ont continué de voir leurs droits civils bafoués. Le gouvernement a officiellement reconnu que le racisme systémique est directement à l’origine de multiples violations des droits de la personne au Canada. Les disparités sur le plan de la santé chez les enfants noirs, autochtones et autres enfants de couleur au Canada sont saisissantes. Il ne suffit pas que les médecins et les chirurgiens reconnaissent les conséquences négatives du racisme systémique. En chirurgie pédiatrique, nous devons travailler à transformer les systèmes de santé et les services sociaux pour prévenir de tels préjudices. La pratique qui consiste à identifier et éradiquer le racisme et les torts qu’il cause porte le nom d’antiracisme. À notre point de vue, l’antiracisme fait partie des devoirs primordiaux des médecins. Parmi les effets négatifs du legs colonialiste oppressif pour les enfants autochtones au Canada, mentionnons un taux de pauvreté avoisinant les 40 % et un accès nettement inéquitable aux soins de santé primaires et spécialisés2,3. Les enfants qui vivent dans les réserves sont nombreux à subir les conséquences néfastes d’un piètre accès à de l’eau potable, à des aliments frais et à des services de santé préventifs4. Une récente revue systématique faisait ressortir que les patients autochtones au Canada présentaient plus de complications et avaient un taux de mortalité postopératoire 30 % supérieur à celui des patients non autochtones5. En 2007, la Chambre des communes a adopté une motion créant le « principe de Jordan » en vertu duquel les enfants autochtones doivent avoir accès aux mêmes services gouvernementaux que les enfants non autochtones6. Or, les disparités persistent. L’enlèvement historique aussi appelé la « rafle des années 1960 » des enfants autochtones, séparés de leurs foyers et de leurs communautés, a entraîné une méfiance à l’endroit du système de santé. Pour beaucoup d’enfants noirs et autochtones, la maladie peut mener au placement en foyer d’accueil7. Les préjugés des effectifs de la santé donnent lieu à des signalements nombreux et inéquitables d’enfants noirs et autochtones aux services de protection de la jeunesse; cela cause de l’appréhension et bouleverse les familles. En 2015, la Commission des droits de la personne de l’Ontario a constaté que les outils d’évaluation utilisés pour mesurer les risques auxquels un enfant est exposé chez lui étaient plus susceptibles d’identifier un risque élevé chez les familles autochtones et racialisées comparativement aux familles blanches7. Les préjugés des effectifs de la santé peuvent aussi entraîner des retards ou des erreurs de diagnostic, des traitements différents et des bris de communication entre les professionnels de la santé et les familles8. Même si la documentation à ce sujet est peu étoffée, les disparités sautent vite aux yeux. Par exemple, les préjugés des effectifs de la santé ont affecté négativement la dynamique entre les mères autochtones et le personnel infirmier d’une unité de soins intensifs néonataux9. La formation médicale perpétue souvent ces iniquités. Les personnes noires et autochtones demeurent sous-représentées en médecine et en chirurgie. Il y a pénurie de mentors provenant de la diversité dans les établissements d’enseignement canadiens et les stagiaires en médecine qui sont racialisés font face à des micro-agressions et à une remise en question dévalorisante de leur expertise10. En chirurgie particulièrement, la culture a maintenu un statu quo qui perpétue les abus de pouvoir et les mauvais traitements. Ceux qui subissent de la discrimination pendant leur formation présentent des taux plus élevés d’épuisement professionnel, d’idées suicidaires et d’abandon des études11. Les préjugés raciaux prévalent aussi chez les patients, les familles et les autres effectifs de la santé12. Tous ces facteurs contribuent à la sous-représentation des médecins racialisés en chirurgie, même si l’on sait que la diversité est importante, surtout pour les enfants. La chirurgie pédiatrique peut pratiquer l’antiracisme en renseignant ses membres sur les injustices systémiques historiques et leurs effets délétères qui perdurent encore aujourd’hui. Les associations nationales de chirurgie pédiatrique devraient offrir à leurs membres des ressources valides, y compris des outils de formation sur les biais implicites, et de la documentation à jour révisée par des pairs. Le personnel de recherche doit se renseigner et réfléchir au fait que c’est le racisme, et non la race, qui contribue à la disparité. L’investigation principale doit promouvoir la diversité au sein des équipes de recherche et des cohortes de personnes participantes. L’enseignement clinique en chirurgie devrait être racialement inclusif; par exemple, il faut enseigner aux stagiaires comment reconnaître le tableau clinique habituel de certaines maladies chez des patients à la peau foncée. Finalement, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) devrait rendre obligatoire une formation médicale continue sur l’antiracisme et sur les préjugés inconscients dans tous les programmes. De plus, le CRMCC devrait inclure une politique antiraciste comme norme d’agrément pour ses programmes, y compris des stratégies de recrutement et de sélection des médecins résidents et des personnes associées qui favorisent un accès équitable pour les stagiaires. Les chirurgiens et chirurgiennes doivent écouter les patients et leurs familles, leurs collègues et leurs amis qui ont subi les effets du racisme systémique. De tels récits aident à éviter les comportements pernicieux et sont sources de solidarité pour les victimes de tels gestes. Les chirurgiens et chirurgiennes doivent utiliser leur position de leadership pour réclamer des actions et forcer les systèmes à lutter contre le racisme et la discrimination qui prévalent dans les hôpitaux, les organisations et les communautés. Les hôpitaux pédiatriques et les services de chirurgie pédiatrique devraient concevoir et appliquer des politiques antiracistes. L’adoption de réformes ne peut reposer sur les seules épaules des membres racialisés des communautés hospitalières, un concept que l’on retrouve dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. La responsabilité de corriger les défauts des systèmes défaillants revient surtout aux personnes qui ont bénéficié des privilèges issus de ces systèmes. La chirurgie pédiatrique doit travailler avec les administrations hospitalières pour concevoir des politiques antiracistes et s’assurer que les patients et les membres facultaires racialisés aient voix au chapitre lors de leur élaboration. Cela inclut la promotion du leadership et de la participation significative des membres issus de la diversité dans toute l’infrastructure organisationnelle, une formation anti-oppression pour tout nouveau membre de la profession, un accès équitable aux carrières et au mentorat pour les étudiants et les résidents en médecine racialisés, la création de mécanismes sécuritaires robustes pour les stagiaires et les membres facultaires afin qu’ils puissent dénoncer la discrimination sans craindre de représailles. Pour réussir, les plans doivent inclure un barème d’évaluation et un échéancier. Comme l’écrivait le juge Murray Sinclair, « Nous n’atteindrons jamais la réconciliation lorsque certains, d’une part, la considèrent comme un acte de bienveillance et que d’autres la voient comme une reconnaissance de leurs droits ». Nous encourageons la chirurgie pédiatrique à utiliser toutes les ressources à sa portée pour protéger tous les enfants contre les effets dévastateurs du racisme systémique et de la discrimination. L’accès équitable aux soins et un meilleur état de santé sont nos objectifs communs. Nous devons aspirer à une réelle « libération » des obstacles et de l’oppression dont le tissu de notre société est teinté. ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** Melanie Morris est la responsable autochtone auprès de l’Hôpital pour enfants de Winnipeg. Pramod Puligandla est administrateur au Conseil de chirurgie pédiatrique de l’American Board of Surgery, administrateur à l’American Pediatric Surgical Association et membre du comité exécutif de l’Association canadienne de chirurgie pédiatrique. Mary Brindle signale avoir reçu une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada, des honoraires de conférencière lors de conférences universitaires (Université Harvard, Hôpital général du Massachusetts, Memorial Sloan Kettering, Université du Manitoba, Université de Hong Kong) et est membre d’un comité de surveillance de la sécurité des données non subventionné par l’industrie pour un essai clinique, indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré. * Cet article a été soumis à l’examen des pairs. * **Collaborateurs:** Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Oluwatomilayo Daodu, Shahrzad Joharifard, Melanie Morris et Mary Brindle ont rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Allen L, Hatala A, Ijaz S, et al. Indigenous-led health care partnerships in Canada. CMAJ 2020;192:E208–16. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTkyLzkvRTIwOCI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIzOiIvY21hai8xOTQvMzEvRTExMDUuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 2. Morris MI, Sioui R, Sioui M. 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