Prioriser la transplantation rénale chez les insuffisants rénaux qui n’ont pas accès à la dialyse dans les régions rurales ou éloignées au Canada ========================================================================================================================================================== * Aaron J. Trachtenberg * Aviva Goldberg Points clés * Les insuffisants rénaux qui vivent en région rurale et éloignée au Canada doivent souvent déménager pour recevoir les traitements qui les maintiennent en vie. * Leur attribuer prioritairement les greffons rénaux provenant de donneurs décédés pourrait atténuer l’importante incidence négative d’un déménagement sur leur santé et leur bien-être. * Une telle priorisation se justifie sur le plan éthique et concorde avec les principes d’équité, d’utilisation judicieuse des ressources et de justice distributive face à l’attribution des organes. * Prioriser la transplantation ne devrait pas se faire au détriment de la lutte aux obstacles pour l’accès à toutes les formes de dialyse, ou de la promotion des programmes de dépistage et de prévention, des soins néphrologiques hâtifs et des transplantations de reins provenant de donneurs vivants pour les patients des régions rurales et éloignées au Canada. La transplantation rénale coûte moins cher que la dialyse1 et est associée à une amélioration de la survie et de la qualité de vie2 chez les insuffisants rénaux. Au Canada, les systèmes d’attribution des greffons rénaux provenant de donneurs décédés visent en général l’utilisation la plus judicieuse possible des rares organes de donneurs, tout en veillant à l’équité et à la justice, grâce à un accès équitable à la transplantation. Les patients se retrouvent en haut de la liste selon la durée de leur attente qui se calcule souvent en années. Certains groupes candidats à la transplantation sont prioritaires, comme les enfants et les patients qui ont un système immunitaire très sensibilisé ou qui présentent une urgence médicale. Selon nous, les patients des régions rurales ou éloignées au Canada qui doivent quitter leur lieu de résidence pour recevoir leurs traitements devraient aussi avoir un accès prioritaire à la transplantation. Étant donné que la pénurie d’organes perdure, presque tous les insuffisants rénaux au Canada auront éventuellement besoin d’être dialysés. Dans un monde idéal, les patients auraient accès à toutes les formes de dialyse (hémodialyse en milieu hospitalier, dialyse péritonéale et hémodialyse à domicile) et choisiraient la modalité qui s’harmonise le mieux avec leurs objectifs de soins et leur mode de vie. Mais dans la réalité, souvent, le choix des patients est limité par leur lieu de résidence. Les patients des régions rurales et éloignées au Canada ont peu accès à des unités satellites de dialyse où recevoir leur traitement dans leur localité, et le cas échéant, l’attente est parfois considérable3–5. Les obstacles à l’utilisation des modalités à domicile incluent l’absence de programmes formels de dialyse assistée et les exigences sur le plan des infrastructures, de l’hébergement et de la qualité de l’eau, impossibles à respecter dans certaines communautés, sans compter les préférences et les croyances des patients6. En outre, les obstacles à la transplantation rénale préventive provenant de donneurs vivants, incluant les dépenses personnelles et le temps de déplacement pour l’évaluation, se trouvent accentués chez les patients et leurs donneurs potentiels qui vivent à l’extérieur des grands centres urbains7. Ces obstacles forcent souvent les insuffisants rénaux des régions éloignées au Canada à s’installer en ville pendant des périodes prolongées, voire définitivement, pour recevoir les dialyses qui les maintiennent en vie3. Ce déménagement brouille les structures familiales, entraîne des pertes d’emploi et un stress financier en plus de compromettre sérieusement le bien-être général des patients qui se retrouvent face à un choc culturel, à l’isolement et à la solitude8. La population autochtone au Canada est particulièrement vulnérable aux contrecoups négatifs d’un déménagement, compte tenu du cumul des épreuves liées au colonialisme historique et continu, du racisme systémique et de la complexité des champs de compétence entourant le financement des soins de santé à l’intérieur et à l’extérieur des réserves5. Certains grands insuffisants rénaux choisissent de ne pas recevoir de dialyse et décèdent dans leur communauté, mais on ignore leur nombre exact, car il n’y a pas de données sur le nombre annuel de Canadiens et Canadiennes qui doivent déménager pour recevoir leurs dialyses. Même si la transplantation rénale est considérée comme la meilleure option thérapeutique pour les insuffisants rénaux, ces derniers peuvent vivre de nombreuses années sans transplantation s’ils peuvent accéder à la dialyse; il n’y a pas d’équivalent à la dialyse pour les autres formes d’insuffisances organiques. L’attribution équitable des greffons rénaux provenant de donneurs décédés devrait par conséquent tenir compte de l’accessibilité ou de l’inaccessibilité de la dialyse. Cette approche s’appuie sur les principes de justice distributive et d’égalité des chances9. Compte tenu de l’accès inégal à la dialyse, même un accès égal à la transplantation crée un système globalement inéquitable, qui s’oppose à l’égalité des chances. À moins de corriger les disparités d’accès à la dialyse entre milieux ruraux et urbains, la prise en compte des inégalités géographiques dans l’attribution des greffons rénaux provenant de donneurs favorise une distribution généralement plus équitable des options thérapeutiques pour l’insuffisance rénale9. Les règles d’attribution des greffons rénaux au Canada tiennent déjà compte d’autres facteurs outre le temps d’attente pour tenter d’optimiser les résultats post-transplantation dans l’ensemble du système. Les patients pédiatriques ont la priorité, dans un esprit de « distribution équitable » des soins de santé et en raison des bienfaits supplémentaires pour la santé chez les enfants qui subissent une transplantation. Les patients en situation d’urgence médicale, par exemple ceux qui n’ont plus d’accès vasculaire, ont souvent préséance. En intégrant l’appariement HLA au système d’attribution, les receveurs qui présentent une meilleure compatibilité immunologique avec le donneur reçoivent même des points supplémentaires qui les font avancer sur la liste d’attente. Ces situations sont autant d’exemples d’une utilisation judicieuse de l’intervention qui consiste à attribuer les greffons rénaux aux patients susceptibles d’en tirer un meilleur profit à court ou à long terme. La priorisation de la transplantation rénale chez les patients obligés de déménager pour recevoir leurs dialyses représente aussi une utilisation judicieuse des soins de santé, car elle permet à ces patients de rester parmi les leurs et d’en tirer des bienfaits. Des patients en hémodialyse en Alberta ont affirmé être prêts à sacrifier 6 ans de leur vie pour pouvoir rester dans leur collectivité avec leur réseau de soutien4. Étant donné que la transplantation est associée à une moindre probabilité de déménagement comparativement à toutes les formes de dialyse, elle offre la meilleure chance aux patients de continuer à vivre comme ils l’entendent dans leur environnement sans avoir à abréger leur espérance de vie10. Nous reconnaissons la complexité de la logistique du cadre proposé. Chaque région du Canada devra fixer ses propres critères, incluant la définition des termes « rural » et « éloigné », selon sa capacité d’offrir la dialyse à la population desservie. Il sera important d’adopter une approche de priorisation cohérente et transparente après avoir tenu compte de divers scénarios qui s’opposent, par exemple, est-il justifiable de prioriser un patient pour qui l’approvisionnement en eau pour la dialyse à domicile laisse à désirer, mais de ne pas prioriser un patient qui préfère recevoir des traitements dans un centre d’hémodialyse et qui vit loin d’une unité satellite. L’engagement des patients et des professionnels de la santé, surtout dans les communautés autochtones, sera crucial pour établir les critères d’admissibilité. La priorisation des personnes vivant en région rurale ou éloignée au Canada ne devrait pas entraîner d’inconvénients majeurs pour les résidents des villes en ce qui concerne les temps d’attente globaux en vue d’une transplantation. Selon notre évaluation des données non publiées sur les programmes, les patients priorisés en raison de leur lieu de résidence risquent d’être peu nombreux, mais pour eux, les avantages seraient immenses. Accorder des points de priorité pour la transplantation ne remplacera pas la nécessité d’offrir la dialyse dans les communautés rurales et éloignées, puisque les patients qui ne sont pas candidats à la transplantation rénale ne tireront aucun profit de ces points qui ne contribuent en rien à aplanir les obstacles à la dialyse. Les programmes visant à faciliter l’utilisation des modalités à domicile devraient être étendus6, tout comme les programmes de dépistage et de prévention de la maladie rénale11. Les responsables des orientations politiques en matière de santé devraient chercher à corriger les disparités quant à l’accès à un service de néphrologie dès les premiers stades de la maladie. En outre, il faudrait promouvoir et faciliter davantage les transplantations de greffons rénaux de donneurs vivants au Canada par le biais d’une campagne de sensibilisation dans les régions rurales et éloignées12. L’objectif devrait être de faire en sorte que moins de gens au Canada progressent vers l’insuffisance rénale. Pour les patients qui deviennent insuffisants rénaux toutefois, les systèmes de santé devraient pouvoir s’adapter et offrir un accès équitable à toutes les formes de dialyse et à la transplantation, peu importe le lieu de résidence. D’ici là, il est justifié sur le plan éthique de prioriser les patients vivant en région rurale ou éloignée au Canada pour la transplantation de greffons rénaux de donneurs décédés. ## Footnotes * Voir la version anglaise de l’article ici: [www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211020](http://www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211020) * **Intérêts concurrents:** Aviva Goldberg déclare avoir participé à des comités de la Société canadienne de transplantation, de l’American Society of Transplantation, de Transplant Manitoba. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré. * Cet article a été révisé par des pairs. * **Collaborateurs:** Aaron Trachtenberg a conçu le travail. Les deux auteurs ont modélisé le travail, rédigé l’ébauche du manuscrit et révisé de façon critique son contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. Il s’agit d’un article en libre accès distribué conformément aux modalités de la licence Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0), qui permet l’utilisation, la diffusion et la reproduction dans tout médium à la condition que la publication originale soit adéquatement citée, que l’utilisation se fasse à des fins non commerciales (c.-à-d., recherche ou éducation) et qu’aucune modification ni adaptation n’y soit apportée. Voir: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Klarenbach SW, Tonelli M, Chui B, et al. Economic evaluation of dialysis therapies. Nat Rev Nephrol 2014;10:644–52. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1038/nrneph.2014.145&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=25157840&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F194%2F5%2FE183.atom) 2. Tonelli M, Wiebe N, Knoll G, et al. 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