L’intégration de la pratique sage-femme au Canada ==================================================== * Shannon Charlebois [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230113](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E306); [voir l’article connexe (en anglais) ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220453](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E292); Donner naissance est un processus naturel qui devient parfois bien compliqué. La pénurie et la répartition géographique inégale des prestataires de soins de maternité constituent un problème de longue date au Canada1. Dans une étude connexe, Stoll et ses collègues ont examiné l’issue des accouchements sur un horizon de 10 ans en Colombie-Britannique, en comparant les cas suivis par un ou une sage-femme et ceux suivis par un ou une médecin2. Le constat: l’intégration des sages-femmes au système de santé britanno-colombien fournit des soins sûrs aux clientèles de toutes les catégories de risque médical et obstétrique. Laisser plus de place à leur pratique pourrait donc s’avérer la solution au problème de l’accès aux soins obstétriques au Canada; cependant, il faudra planifier les services judicieusement afin de bien répondre au besoin de toute la patientèle. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et l’Association médicale canadienne plaident depuis longtemps pour l’intégration de la pratique sage-femme aux soins obstétriques, malgré certaines réserves par le passé3,4. Il est d’ailleurs entendu que cela comprend le retour de l’accouchement dans les communautés autochtones5. Les sages-femmes sont en mesure d’assurer la continuité des soins maternels, et peuvent consacrer à leur patientèle plus de temps que ne le peuvent les médecins. Toutefois, les conclusions de Stoll et ses collègues ne sont pas encore généralisables aux autres provinces et territoires canadiens, car le travail de réglementation, d’intégration et de financement de la pratique sage-femme y est moins avancé qu’en Colombie-Britannique, où la profession est réglementée depuis 1998 et est désormais bien incorporée au système de santé. Au Yukon, la réglementation analogue n’a pris effet qu’en 2021, et le manque de main-d’œuvre limite l’intégration de cette discipline aux soins intrapartum6. Quant à l’Île-du-Prince Édouard, la pratique sage-femme n’y est réglementée que depuis 20227. Le contexte de l’étude connexe est indispensable à l’examen des constats. Stoll et ses collègues ont établi la notion de responsabilité principale de l’accompagnement, laquelle incombe à la ou au prestataire qui fournit la plus grande proportion des soins à la personne lors de son séjour en établissement de soins de santé. Même si d’autres prestataires de soins de santé interviennent ou assument temporairement la prise en charge de l’accouchement, la responsabilité principale ne change pas de mains. Il s’agit là du modèle de soins intégrés et axés sur la personne qui, selon ce que montre l’étude, fonctionne bien en Colombie-Britannique. La clientèle obstétricale présentant un faible risque pourrait — et devrait — être prise en charge par tout un éventail de prestataires de soins de santé compétents, mais il faut que les spécialistes capables d’interventions pointues soient toujours facilement accessibles en cas de complication. Le modèle de soins obstétricaux le plus sûr serait donc un système de prestation de services intégrés. Ce n’est vraiment pas tout le monde qui veut que son accouchement soit assisté par un ou une médecin, ni même qu’il soit médicalisé tout court — c’est là le constat secondaire de l’étude. Or, un principe éthique cher au milieu de la santé est celui de l’autonomie de la patiente ou du patient, dont le choix de la personne qui accouche sera parfois coloré par une certaine méfiance à l’égard du système médical née de préjudices vécus à titre personnel, culturel ou historique. Aussi, les gens en zones rurales et éloignées préféreraient souvent recevoir leurs soins près de chez eux. Accroître la disponibilité des sages-femmes pourrait ainsi permettre à toutes les personnes de donner naissance dans le lieu de leur choix et avec un accompagnement qui les sécurise sur le plan culturel ou leur donne un sentiment de contrôle sur le processus8. Cependant, pour que le système britanno-colombien puisse être reproduit ailleurs, il faudra former et agréer beaucoup plus de sages-femmes dans tout le pays. Pour cela, on pourrait établir des programmes de formation locaux et accorder des permis d’exercice aux prestataires de soins de santé formés à l’étranger. L’étude qui nous intéresse a aussi révélé que les personnes prises en charge par un ou une sage-femme subissent généralement moins d’interventions médicales, quoique la (non-)médicalisation de l’accouchement n’est pas forcément un enjeu prioritaire aux yeux de toute la patientèle. Beaucoup apprécient leur liberté de choix quant au recours à l’anesthésie (y compris l’épidurale); or, ce service dépend de la disponibilité des prestataires de soins de santé. L’accouchement naturel par voie vaginale n’est pas non plus toujours ce que souhaite la personne. Bien que l’accouchement par césarienne planifié à la demande reste controversé, une étude de 2021 menée en Ontario a montré qu’il était associé à une diminution du risque d’effets indésirables à court terme par rapport à l’accouchement vaginal planifié — ce qui constitue une preuve supplémentaire en faveur du libre choix9. Stoll et ses collègues ont constaté une propension à opter pour la voie vaginale subséquemment à un accouchement par césarienne lorsque la personne était prise en charge par un ou une sage-femme. L’épreuve de travail après césarienne est un choix raisonnable, voire parfois recommandé, en l’absence d’autres facteurs de risque10. Dans l’ensemble, les risques sont notamment la probabilité (25 %) d’avoir à pratiquer une césarienne d’urgence et la possibilité (0,5 %) d’une rupture utérine — avec l’accroissement de morbidité et de mortalité périnatales que cela implique10. Aussi faibles que ces risques puissent être, ce n’est pas toute la patientèle qui voudra les courir, et le choix sera influencé par l’expérience antérieure. Le consentement éclairé implique la communication impartiale des avantages et des risques périnataux, et la décision est appelée à être réévaluée au besoin à tout point du processus d’accouchement. Pour de nombreuses personnes qui attendent de donner naissance, la pratique sage-femme est une discipline que la science a montrée sûre et adaptée et constitue une option à laquelle elles devraient pouvoir recourir. Pour d’autres, ce sont les soins obstétriques dispensés par la profession médicale qui leur sembleront préférables ou les plus convenables. Par conséquent, il faut que règnent la confiance et la volonté de collaborer entre les médecins et leurs collègues sages-femmes, ce qui passera notamment par une planification minutieuse des services afin d’édifier un système de soins obstétricaux sûrs et intégrés dans l’ensemble du Canada. ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** [www.cmaj.ca/staff](http://www.cmaj.ca/staff) This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. In context: understanding maternity care in Canada. Ottawa: The Vanier Institute of the Family; 2017. Accessible ici: [https://vanierinstitute.ca/in-context-understanding-maternity-care-in-canada/](https://vanierinstitute.ca/in-context-understanding-maternity-care-in-canada/) (consulté le 13 janv. 2023). 2. Stoll K, Titoria R, Turner M, et al. Perinatal outcomes of midwife-led care, stratified by medical risk: a retrospective cohort study from British Columbia (2008–2018). CMAJ 2023;195:E292–9. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTk1LzgvRTI5MiI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIyOiIvY21hai8xOTUvMTcvRTYzNS5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 3. Society of Obstetricians and Gynaecologists of Canada. Policy statement on midwifery. J Obstet Gynaecol Can 2009;31:662–3. [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=19761642&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F195%2F17%2FE635.atom) 4. LeBourdais E. 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[Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTkzLzE4L0U2MzQiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMjoiL2NtYWovMTk1LzE3L0U2MzUuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 10. Dy J, DeMeester S, Lipworth H, et al. No. 382: Trial of labour after caesarean. J Obstet Gynaecol Can 2019;41:992–1011.