L’avenir de la médecine est ici et vous en êtes la trame narrative ====================================================================== * James Maskalyk [Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221727](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/194/E1653) Il y a 20 ans, j’étais assis dans ce fauteuil de corédacteur pour le *JAMC*. Regarder le monde à travers le spectre d’une publication médicale est fascinant à n’importe quelle époque, mais ce l’était particulièrement en 2003. Un coronavirus venu d’Asie s’était répandu au Canada et avait rendu les gens malades1. Une autre zoonose, la variole simienne, venait de causer un inquiétant groupe de cas d’infection2. Les services d’urgence, qui allaient plus tard devenir mon domaine clinique, étaient débordés, en manque de personnel et parfois même forcés de fermer 3. Si, selon Héraclite, on ne se baigne jamais 2 fois dans le même fleuve, force est d’admettre que la situation actuelle comporte néanmoins un petit air de déjà vu. Aujourd’hui encore, de nombreuses communautés autochtones au Canada sont privées d’eau potable et de nourriture saine, et sont aux prises avec un plus grand nombre de problèmes de santé, d’incarcérations et de suicides que n’importe quel autre groupe4. Le taux de mortalité lié au virus Ebola ne s’est pas vraiment amélioré : les victimes sont trop pauvres et trop noires pour intéresser le complexe médico-industriel5. Et le jus de pamplemousse continue d’interagir avec certains médicaments6. Cela dit, certaines choses ont tout de même changé. Alors que le SRAS nous avait pris par surprise à Toronto en 2003, nous avons attendu la COVID-19 avec appréhension, les yeux rivés sur nos téléphones, sur les photos de systèmes de santé débordés et les noms des travailleurs et travailleuses de la santé emportés par l’infection. Le génome du SRAS-CoV-2 a été décodé et publié en quelques jours seulement, et les vaccins ont suivi si rapidement que certaines personnes continuent de douter de leur validité. La virulence de la variole simienne a changé; des milliers de Nord-Américains et Nord-Américaines ont été infectés. Mon service d’urgence a pris de l’ampleur. Nous recevons à présent près de 2 fois plus de malades qu’en 2003. Des machines administrent des médicaments. Les radiographies, tout comme nos notes cliniques, apparaissent sur les écrans d’ordinateur en quelques instants. Tout le monde est rivé à un écran. Tout le monde. La pratique clinique s’est aussi transformée. Les cas d’hémorragies liées à la warfarine se font rares. En salle de traumatologie, l’hypotension permissive réduit le nombre de réanimations, et l’acide tranexamique facilite l’hémostase. L’échographie s’utilise chaque jour au chevet des malades, et la ventilation non effractive permet d’éviter l’intubation endotrachéale. Le *JAMC* a également été au cœur du mouvement. Il est désormais accessible en ligne, comme tout le reste, et sa version imprimée est moins fréquente. Depuis janvier 2021, on peut consulter tous ses articles gratuitement, et son facteur d’impact a quadruplé depuis 2003. La plupart du temps, je rencontre les autres rédacteurs et rédactrices par le biais de mon écran d’ordinateur. Les articles à réviser atterrissent sur nos bureaux en faisant « ping » et non plus « paf ». Suivant un parcours imprévisible, entre découvertes et rétractations, la médecine se déploie plus librement, elle devient plus inclusive et moins blessante. Héraclite ne parlait pas uniquement du fleuve, mais aussi de la personne qui s’y baigne. L’être humain se transforme plus que ne le fait le fleuve. Je n’ai pas assez de distance par rapport à moi-même pour préciser exactement en quoi j’ai changé; je laisserai donc cela à d’autres. J’ai travaillé avec Médecins sans frontières, dans ma vie personnelle, j’ai vécu des deuils et j’ai côtoyé la maladie, et cela a fait de moi un meilleur médecin. Et, je l’espère, un meilleur rédacteur. Dans un texte écrit il y a 20 ans7, j’imaginais le lectorat du *JAMC* : une médecin de famille de Wawa, en Ontario, occupée par sa pratique achalandée et le tourbillon de la vie, prenant soin de sa patientèle, de son entourage et de ses enfants. Quoique incalculée, son attention était la ressource la plus précieuse du *JAMC*, et peu importe ce qu’il lui en coûtait, l’équipe de rédaction voulait que cela compte. Cette lectrice a-t-elle changé? Sur le plan démographique, sûrement. Je l’imagine en Éthiopie, ou en train de lire des articles en provenance de ce pays, plus occupée que jamais, essayant de suivre l’actualité médicale foisonnante, qui évolue 3 fois plus vite qu’il y a 20 ans. Je me demande si elle est aussi idéaliste que je l’imaginais alors. J’espère qu’elle l’est. Je le suis. Je suis particulièrement curieux des changements dont elle sera témoin au cours des 20 prochaines années. La guérison de certains cancers, du sida? Le transfert des soins hospitaliers aux soins à domicile pour les malades, où qu’ils se trouvent8? Peu importe les progrès et le moment où ils surviennent, ce sera toujours trop peu, trop tard. C’est du moins notre perception, en tant que rédacteurs, rédactrices, médecins et êtres humains; non pas notre perception du travail accompli, mais de ce qu’il reste à faire. C’est une position déchirante, mais c’est probablement ce pour quoi j’aime autant mon travail de rédacteur. C’est une posture différente, éloignée du cadre des soins, qui nous donne le loisir de prendre pleinement conscience de nos sentiments, de nos idées et de nos gestes. J’ai commencé à rédiger le présent éditorial au retour d’une retraite de 3 jours au Turtle Lodge, un centre de croissance Anishinaabe de Sagkeeng, au Manitoba9. Ce rassemblement avait pour thème le retour à la terre, en lien avec cette profonde conviction que l’être humain n’est pas maître de la nature ni même son gardien, mais qu’il en est l’un des éléments et que nous sommes toutes et tous interdépendants. Une cérémonie s’est déroulée chaque matin, et les après-midi étaient consacrés à des ateliers montrant aux jeunes des Premières Nations comment préparer le cerf ou brûler le plumage de l’oie. Dans son message d’au revoir, Katherine Whitecloud a incité les personnes présentes à faire de chacun de leurs gestes une prière pour un monde meilleur, à coudre chaque perle de leurs mocassins en souhaitant une vie meilleure à celui ou celle qui les portera. Chaque consultation vidéo, chaque auscultation, chaque parole prononcée appartiennent à une histoire qui va bien au-delà de l’individu; elles se répercutent sur 7 générations, et à travers nous, elles préparent l’avenir. La communauté des travailleurs et travailleuses de la santé, qui grandit 3 fois plus vite que la population mondiale, sera un élément central de ce récit10. Je m’adresse à vous qui lisez le *JAMC* : si vous le souhaitez, en réponse à cet éditorial, faites-moi part de vos idées sur les changements qui pourraient advenir dans les 20 prochaines années. Entre-temps, au *JAMC*, nous ferons en sorte que le temps que vous nous consacrez compte. Voici ce que je dis à mon équipe en salle de traumatologie : « Je suis heureux d’être ici avec vous tous et vous toutes, ensemble au beau milieu du fleuve, à faire de notre mieux. » ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** [www.cmaj.ca/staff](http://www.cmaj.ca/staff) This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Maskalyk J, Hoey J. SARS update. CMAJ 2003;168:1294–5. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTY4LzEwLzEyOTQiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMToiL2NtYWovMTk1LzIvRTEwNi5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 2. Maskalyk J. Monkeypox outbreak among pet owners. CMAJ 2003;169:44–5. [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=12847040&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F195%2F2%2FE106.atom) 3. Quebec’s Bill 114. CMAJ 2002;167:617, 619. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo5OiIxNjcvNi82MTciO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMToiL2NtYWovMTk1LzIvRTEwNi5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 4. Katz A, Urquia ML, Star L, et al. Changes in health indicator gaps between First Nations and other residents of Manitoba. CMAJ 2021;193:E1830–5. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTkzLzQ4L0UxODMwIjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjE6Ii9jbWFqLzE5NS8yL0UxMDYuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 5. Maskalyk J. Medical journals and global medicine. CMAJ 2004;170:65. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo4OiIxNzAvMS82NSI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIxOiIvY21hai8xOTUvMi9FMTA2LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 6. Maskalyk J. Grapefruit juice: potential drug interactions. CMAJ 2002;167:279–80. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo5OiIxNjcvMy8yNzkiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMToiL2NtYWovMTk1LzIvRTEwNi5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 7. Maskalyk J. The editing life. CMAJ 2002;167:1252. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTY3LzExLzEyNTIiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMToiL2NtYWovMTk1LzIvRTEwNi5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 8. Leong MQ, Lim CW, Lai YF. Comparison of Hospital-at-Home models: a systematic review of reviews. BMJ Open 2021;11:e043285. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NzoiYm1qb3BlbiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTEvMS9lMDQzMjg1IjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjE6Ii9jbWFqLzE5NS8yL0UxMDYuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 9. Allen L, Hatala A, Ijaz S, et al. Indigenous-led health care partnerships in Canada. CMAJ 2020;192:E208–16. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTkyLzkvRTIwOCI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIxOiIvY21hai8xOTUvMi9FMTA2LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 10. Boniol M, Kunjumen T, Nair TS, et al. The global health workforce stock and distribution in 2020 and 2030: A threat to equity and ‘universal’ health coverage? BMJ Glob Health 2022;7:e009316. 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