Prescription de psychostimulants aux personnes présentant un trouble lié à l’utilisation de stimulants dans le continuum de soins au Canada ================================================================================================================================================ * Heather Palis * Scott MacDonald [Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230266](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E934) Points clés * L’utilisation de stimulants illicites (en particulier la méthamphétamine) est en hausse au Canada et est associée à des taux de morbidité et de mortalité substantiels. * De plus en plus de données probantes appuient le traitement des troubles liés à l’utilisation de stimulants par la prescription de psychostimulants; à ce jour, toutefois, aucun traitement pharmacologique n’est autorisé au Canada. * Des médecins ont commencé à rédiger des ordonnances de psychostimulants hors indication aux personnes atteintes d’un trouble lié à l’utilisation de stimulants, mais seulement à petite échelle dans quelques provinces et territoires. * Au regard du marché actuel des stimulants non réglementés, les prestataires de soins de santé traitant des personnes atteintes d’un trouble lié à l’utilisation de stimulants peuvent envisager de prescrire des psychostimulants dans le but de réduire la consommation de stimulants illicites et les préjudices qui en découlent. Le Canada est actuellement en proie à une crise d’intoxications par des drogues non réglementées. Les opioïdes synthétiques comme le fentanyl sont une cause connue importante de la crise, mais l’utilisation de stimulants est également en hausse. Par exemple, dans près de la moitié des cas de décès associés aux opioïdes au Canada en 2022, un stimulant a aussi été détecté1. L’utilisation de ces substances sur le marché des drogues non réglementées comporte de nombreux risques, tels que l’augmentation des taux de maladies infectieuses, de problèmes de santé mentale comme la psychose ou les troubles du sommeil, de surdoses et de mortalité de toutes causes. Ces risques sont particulièrement élevés chez les personnes souffrant de problèmes de santé sous-jacents et celles confrontées à une vulnérabilité structurelle relative au logement, à la sécurité financière, au statut juridique ou à la discrimination raciale. Tout comme le traitement par agonistes opioïdes, la prescription de psychostimulants peut aider les personnes qui ont un trouble lié à l’utilisation de stimulants à surmonter l’envie irrépressible de consommer et à atténuer les symptômes de sevrage; on peut donc prescrire ces substances dans le but de soutenir la réduction de l’utilisation de stimulants obtenus illégalement. Au Canada, aucun traitement pharmacologique n’a été autorisé pour venir en aide aux personnes qui ont un trouble lié à l’utilisation de stimulants. Pourtant, les prestataires de soins de santé canadiens prescrivent de plus en plus souvent des psychostimulants pour atténuer les préjudices causés par l’utilisation de stimulants, une stratégie appuyée par des données probantes issues d’essais cliniques effectués en Europe, en Australie et aux États-Unis2. Les psychostimulants prescrits, comme le méthylphénidate et la dextroamphétamine, agissent sur le système nerveux central en faisant augmenter la concentration extracellulaire de la dopamine et de la noradrénaline par l’inhibition de leur recapture, par l’intensification de leur libération ou par les 2 mécanismes combinés. La prescription de psychostimulants est en expansion au Canada depuis 2020, année où le ministre fédéral de la Santé a publié une lettre à l’intention des ministres de la Santé provinciaux et territoriaux et des organismes de réglementation pour encourager la prise de mesures visant à faciliter l’accès aux substituts pharmaceutiques sécuritaires pour remplacer les drogues contaminées. À ce jour, seule la Colombie-Britannique a proposé une politique sur l’accès à des drogues sécuritaires qui inclut des recommandations portant sur la prescription de psychostimulants aux personnes courant un risque de surdose3. Depuis l’intervention fédérale de 2020, certains prestataires de soins de santé, principalement des médecins généralistes, des spécialistes du traitement des toxicomanies et des membres du personnel infirmier praticien, ont prescrit des psychostimulants à un petit nombre de personnes présentant un trouble lié à l’utilisation de stimulants4,5. Durant la première année de la mise en œuvre de la politique britanno-colombienne, 1220 personnes ont bénéficié d’une prescription de psychostimulants, ce qui représente moins de 3 % de la population que l’on estime atteinte d’un trouble lié à l’utilisation de ces substances. Ces débuts timides s’expliquent en partie par le fait que la base de données probantes sur les traitements pharmacologiques pour les troubles liés à l’utilisation de stimulants est relativement nouvelle par rapport à celles des traitements pour les troubles associés à d’autres substances. Les données probantes sur l’efficacité de l’administration de psychostimulants demeurent limitées en raison des mesures de résultats restrictives (abstinence), de la petite taille des échantillons et des interventions inappropriées (p. ex., l’administration de faibles doses) dans les premiers essais cliniques7,8. Une revue systématique récente portant sur l’efficacité de ce traitement, qui comportait 38 essais cliniques pour un total de 2889 personnes participantes, a conclu que la prescription de psychostimulants était sécuritaire et efficace pour traiter les troubles liés à l’utilisation des stimulants, particulièrement dans le cas de la dépendance à la cocaïne, à des doses quotidiennes d’amphétamine ou de méthylphénidate de 60 mg ou plus2. Les issues cliniques observées dans ces études comprenaient la réduction de l’utilisation de stimulants illicites, l’amélioration de la santé physique et mentale et l’amélioration de l’attention et de la concentration chez les personnes également atteintes d’un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité. Ces données émergentes peuvent donner de l’assurance aux prestataires de soins de santé qui souhaitent rédiger une ordonnance de psychostimulants hors indication à une personne atteinte d’un trouble lié à l’utilisation de stimulants, particulièrement lorsque cette dernière présente aussi un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité. Les psychostimulants pourraient être prescrits en complément des interventions non pharmacologiques, telles que la gestion des contingences, pour offrir un éventail complet d’options thérapeutiques à la patientèle dans le continuum de soins. L’administration de psychostimulants sur ordonnance a été réclamée dans les contextes où la patientèle est en contact régulier avec des milieux de soins, comme les cliniques de traitement par agonistes opioïdes2. En Colombie-Britannique, les médecins qui traitent déjà des personnes atteintes d’un trouble de toxicomanie sont ceux et celles qui prescrivent le plus souvent des psychostimulants; ceux-ci sont administrés quotidiennement dans des pharmacies communautaires. Cette approche a pour but d’assurer la sécurité de la patientèle, mais on a observé qu’elle pouvait constituer une contrainte logistique nuisant à l’assiduité dans le traitement par agonistes opioïdes et par administration de psychostimulants9. En réponse à ce problème, il a été proposé d’offrir des doses à prendre à domicile, une solution déjà appliquée pour le traitement par agonistes opioïdes. Cette proposition a soulevé des inquiétudes par rapport au détournement des psychostimulants prescrits, un problème qui peut cependant être limité par l’établissement de protocoles standardisés, qui comporteraient, entre autres, plusieurs critères à respecter avant de permettre l’administration de doses à domicile : l’ajustement de la dose jusqu’à ce qu’elle soit optimale; une surveillance régulière des effets indésirables pour vérifier que le traitement correspond aux besoins et aux objectifs de la personne traitée; et l’utilisation de tests de dépistage urinaire de drogues pour détecter la présence du médicament dans l’urine. Le retour à l’administration supervisée pourrait être indiqué dans les cas où la sécurité constitue un enjeu; par exemple, si le médicament n’est pas pris tel que prescrit ou si l’on constate l’apparition d’un nouvel effet indésirable. Même si les préoccupations en matière de sécurité ont été considérées comme un obstacle à la généralisation de la prescription de psychostimulants, les conclusions des revues systématiques indiquent que ce traitement est bien toléré et qu’on observe peu d’effets indésirables graves7,8. Les psychoses attribuables à la consommation de psychostimulants sur ordonnance sont plus rares que les psychoses provoquées par l’utilisation de stimulants illicites qui, selon une revue de 2014, toucheraient jusqu’à 40 % des personnes consommant de la méthamphétamine10. Dans un contexte de crise d’intoxications par des drogues non réglementées, les complications et les bienfaits potentiels de la prescription de psychostimulants doivent être soupesés au regard des risques de préjudices que comporte une consommation continue de stimulants illicites. Rédiger une telle ordonnance à des personnes qui s’approvisionnent déjà sur le marché des drogues illicites, si l’apparition d’effets indésirables est surveillée, semble somme toute une solution raisonnable pour réduire les préjudices associés à la consommation de substances non réglementées. Plusieurs actions sont possibles pour faire progresser l’administration de psychostimulants en contexte thérapeutique au Canada. Les équipes de recherche doivent mettre leurs efforts en commun pour mener des recherches de mise en œuvre qui combleront les lacunes actuelles en matière de connaissances sur le sujet et fournir des mises à jour ponctuelles sur les protocoles cliniques et ceux relatifs au programme. Les centres mandatés peuvent publier des conseils cliniques sur la réduction des préjudices et les services de traitement de la toxicomanie et les mettre régulièrement à jour pour y intégrer les nouvelles données probantes. Quant aux responsables de cliniques et de programmes de traitement de la toxicomanie axés sur le traitement des personnes atteintes d’un trouble lié à l’utilisation de stimulants, ils peuvent mettre en place des protocoles afin d’offrir systématiquement les psychostimulants sur ordonnance dans leur gamme d’interventions. Enfin, les équipes de soins multidisciplinaires et les membres de la patientèle peuvent mener les actions requises de façon concertée en tirant profit des ressources existantes dans les endroits au Canada où l’administration de psychostimulants a déjà commencé. Au cours de ce processus, il sera nécessaire d’adapter les protocoles existants à la posologie et à la distribution des psychostimulants prescrits, au contexte clinique (p. ex., l’expérience de la personne qui rédige l’ordonnance, la fréquence des contacts avec la personne traitée) et à la patientèle (p. ex., objectifs, caractéristiques d’utilisation de stimulants illicites, etc.). La généralisation de la prescription de psychostimulants dans le continuum de soins canadien constitue une approche thérapeutique efficace pour les personnes atteintes d’un trouble lié à l’utilisation de stimulants; la mise en œuvre de cette pratique pourrait aider un nombre croissant de personnes à faire diminuer leur état de dépendance aux stimulants illicites dans le contexte actuel de crise d’intoxications par des drogues non réglementées. ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** Scott MacDonald déclare occuper la fonction de trésorier (sans rémunération) au sein de l’organisme sans but lucratif « Communauté sécuritaire pour sauver des vies » (Safe Community Save Lives Project). Heather Palis a reçu une bourse des Instituts de recherche en santé du Canada, la bourse Marshall de l’Institut de la santé mentale de l’Université de la Colombie-Britannique et une bourse de stagiaire de l’organisme Michael Smith pour la recherche en santé de la Colombie-Britannique. * Cet article a été révisé par des pairs. * **Contributeurs :** Heather Palis et Scott MacDonald ont tous les deux contribué à la conception du travail. Heather Palis a rédigé le manuscrit. Scott MacDonald en a révisé de façon critique le contenu intellectuel important. Les deux auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Opioid- and stimulant-related harms in Canada. Ottawa: Government of Canada (March 2023); 2023. Accessible ici : [https://health-infobase.canada.ca/substance-related-harms/opioids-stimulants/](https://health-infobase.canada.ca/substance-related-harms/opioids-stimulants/) (consulté le 14 juin 2023). 2. Tardelli VS, Bisaga A, Arcadepani FB, et al. Prescription psychostimulants for the treatment of stimulant use disorder: a systematic review and meta-analysis. Psychopharmacology (Berl) 2020;237:2233–55. 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