Interventions d’affirmation de genre minimalement effractives: arguments en faveur de leur financement public partout au Canada ================================================================================================================================= * Katie Ross * Sarah Fraser [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221875](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E1041) Points clés * Même si l’accès aux soins d’affirmation de genre s’améliore au Canada depuis quelques années, les temps d’attente sont substantiels et des lacunes persistent sur plan des soins. * Les interventions minimalement effractives, dont les produits injectables pour le visage et les traitements épilatoires, sont relativement sécuritaires et pourraient faciliter et accélérer la transition de genre. * Le remboursement de ces interventions par les régimes publics, qui n’est actuellement autorisé que dans 2 régions au Canada, mérite d’être sérieusement envisagé dans toutes les provinces et tous les territoires. Selon la version 8 (2022) des Normes de soins émises par l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH [World Professional Association for Transgender Health Standards of Care] SOC8), chez les personnes qui souhaitent entreprendre un processus de transition, le traitement épilatoire et les chirurgies faciales sont des interventions d’affirmation de genre appropriées en complément du traitement hormonal1. Lors du Recensement national canadien de 2021, plus de 100 800 personnes vivant au Canada se sont déclarées transgenres ou non binaires2. Même si l’accès à des soins d’affirmation de genre a augmenté au Canada ces récentes années, on continue de déplorer des temps d’attente substantiels et des lacunes sur le plan des soins3. Un récent rapport de Trans PULSE a passé en revue les enjeux de santé spécifiques aux personnes non binaires: 59 % des personnes ayant répondu au sondage ont déclaré être mégenrées sur une base quotidienne4 (p. ex., qu’on s’adresse à elles au masculin après qu’elles aient indiqué leur préférence pour les pronoms neutres)1. À la lumière des nouvelles normes et des obstacles incessants, il est important d’examiner de quelle façon on peut améliorer les soins aux personnes transgenres ou altersexuelles (TGAS) de manière sécuritaire et adaptée. Étant donné que la WPATH appuie les chirurgies du visage et les traitements épilatoires comme modalités d’appoint pour les personnes TGAS, nous sommes d’avis que les produits injectables pour le visage qui ont été utilisés avec succès chez ces personnes pourraient aussi servir à conférer les avantages esthétiques désirés pour le visage5. Le remboursement des interventions minimalement effractives, comme les produits injectables pour le visage et les traitements épilatoires, mérite d’être étudié par tous les régimes de santé publique au Canada. Les personnes TGAS peuvent demander une transition dans 3 domaines: transition civile (p. ex., changer de nom), transition sociale (p. ex., utiliser des pronoms différents, changer de style) et transition physique (p. ex., recourir à des traitements médicaux pour modifier leur apparence)1. Les traitements médicaux les plus fréquents pour faciliter la transition sont l’hormonothérapie substitutive et les interventions chirurgicales, notamment pour le haut du corps et la reconstruction génitale1. Or, pour beaucoup de personnes TGAS, la transformation du visage et les traitements épilatoires sont aussi des éléments clés pour atteindre une adéquation sur le plan du genre5. Les interventions minimalement effractives, notamment les agents de comblement injectables, les neuromodulateurs (comme la toxine botulinique) et les traitements épilatoires (par laser ou électrolyse) gagnent en popularité6, car ils peuvent contribuer à compenser les retards dans l’accès à des soins d’affirmation de genre chirurgicaux et médicaux. Selon la WPATH SOC8, la discordance de genre chez une personne doit être « marquée et soutenue » pour qu’elle soit admissible à des soins médicaux, mais on trouve peu d’indications sur la durée requise de cette discordance1. De plus, même si l’hormonothérapie est accessible, les effets esthétiques désirés prennent souvent des mois, voire des années, à se manifester7. Que les retards à obtenir les avantages désirés soient dus à un accès limité aux soins ou à l’action lente des traitements médicaux, les interventions minimalement effractives devraient être envisagées en tant que modalités d’affirmation de genre. Ces interventions ont comme valeur ajoutée de comporter relativement peu de risques et d’être réversibles, comparativement aux approches chirurgicales et hormonales; elles peuvent aussi être offertes par une diversité de spécialistes, ce qui élargit leur accessibilité potentielles8. Les interventions minimalement effractives sont donc une option envisageable pour les personnes qui ne sont pas candidates à la chirurgie ou chez qui les risques associés à l’hormonothérapie sont exacerbés par des comorbidités. Les conclusions d’un sondage de 2021 mené auprès de personnes TGAS ont montré que celles qui avaient reçu des produits injectables pour le visage, sans chirurgie, faisaient état d’une meilleure estime d’elles-mêmes, d’une image corporelle plus positive, d’une meilleure adéquation de genre et d’une baisse de la discrimination anticipée de la part d’autrui, comparativement à celles qui n’en avaient pas reçu9. Une volumineuse étude transversale de 2021 a révélé que les femmes transgenres soumises à un traitement épilatoire d’affirmation de genre étaient en meilleure santé mentale que celles qui n’avaient pas reçu ce traitement10. Les régimes d’assurance publics pourraient juger que les interventions visant l’apparence relèvent des régimes privés. Or, la couverture par les régimes publics de la chirurgie pour otoplastie, qui modifie la forme, la position ou la dimension de l’oreille chez les personnes de moins de 18 ans, est subventionnée à même les fonds publics dans la plupart des régions canadiennes depuis des années11 et chez les enfants et adolescents qui ont subi cette intervention, on note une amélioration significative de l’estime de soi et un soulagement de l’anxiété liée à l’apparence11. Selon notre revue des systèmes de soins de santé canadiens, le Manitoba et le Yukon étaient les 2 seules régions à subventionner les traitements épilatoires parmi les soins d’affirmation de genre3. Si l’élimination de la pilosité peut aider à obtenir un aspect esthétique désiré et être indiquée chez les personnes chez qui il est préférable d’éviter les effets indésirables des traitements oraux, pourquoi cette intervention est-elle remboursée dans certaines régions du Canada et non ailleurs? Le Yukon, qui est un chef de file en matière de soins d’affirmation de genre en Amérique du Nord, subventionne aussi la chirurgie de féminisation faciale (et d’autres interventions non remboursées ailleurs dans les provinces et les territoires)3. Nous n’avons recensé aucune province ni aucun territoire qui remboursent les traitements neuromodulateurs ou de comblement pour la masculinisation ou la féminisation faciale. Dans une revue des systèmes de santé aux États-Unis et en Europe, nous avons constaté qu’aucun régime public ne remboursait les injections faciales minimalement effractives, puisqu’elles sont jugées de nature cosmétique12,13. L’Angleterre et la République tchèque semblent être les seuls pays à offrir le remboursement des traitements épilatoires par les régimes publics à l’échelle nationale, mais les personnes doivent alors faire l’objet d’évaluations strictes13. Nous n’avons pas analysé la couverture offerte par les assureurs privés. L’estimation du coût des interventions minimalement effractives qui seraient remboursées au Canada est complexe et le degré de féminisation ou de masculinisation souhaité par les personnes relève d’un choix individuel. De plus, les personnes TGAS ne souhaitent pas toutes procéder à une transition physique. S’il était mis en place, le remboursement des interventions d’affirmation de genre minimalement effractives par les gouvernements se ferait par le biais des codes de facturation établis pour ces interventions ou par une couverture des produits utilisés à cette fin par les régimes d’assurance maladie des provinces et des territoires. La mise en place d’un tel système peut poser des défis. Par exemple, le gouvernement du Yukon a dû changer sa loi afin de permettre aux cliniques privées d’offrir des traitements épilatoires (ensuite remboursés par le gouvernement)14. Il est aussi important de tenir compte que ces traitements épilatoires sont moins indiqués chez les personnes TGAS de sexe féminin à la naissance (qui, au contraire, recherchent une certaine pilosité). Les interventions minimalement effractives, comme les traitements épilatoires et les produits injectables pour le visage, pourraient faciliter et accélérer le processus de transition; les données probantes confirment leurs bienfaits thérapeutiques pour l’affirmation de genre. Le remboursement de ces interventions par les régimes publics partout au Canada mérite d’être envisagé pour une population qui continue de faire face à une discrimination systémique et à des obstacles pour l’accès aux soins. ## Footnotes * * **Reconnaissance:** Les autrices se déclarent femmes cisgenres, mais elles dispensent toutes les deux des soins aux personnes transgenres et altersexuelles. * **Intérêts concurrents:** Aucun déclaré. * Cet article a été révisé par des pairs. * **Collaborateurs:** Les autrices ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Coleman E, Radix AE, Bouman WP, et al. Standards of care for the health of transgender and gender diverse people, Version 8. Int J Transgend Health 2022;23(Suppl 1):S1–259. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1080/26895269.2022.2100644&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=36238954&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F195%2F40%2FE1392.atom) 2. Filling gaps in gender diversity data in Canada. Ottawa: Statistics Canada; 2022, modifié le 31 mai 2023. 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