Préoccupations en ce qui concerne la recommandation contre la prescription d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine dans la Ligne directrice canadienne pour la prise en charge clinique de la consommation d’alcool à risque élevé et du trouble d’utilisation de l’alcool ========================================================================================================================================================================================================================================================================================================= * Anees Bahji * Marlon Danilewitz * Matthew Sloan * Victor Tang * David Crockford [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.149917-l](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E346) La Ligne directrice canadienne élaborée par Wood et ses collègues1 sur la prise en charge de la consommation d’alcool à risque élevé et du trouble d’utilisation de l’alcool (TUA) met en lumière un problème qui n’est pas assez reconnu. La plupart des recommandations présentées dans la Ligne directrice sont bien appuyées, mais la recommandation 13, qui met en garde contre l’utilisation d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) chez les personnes atteintes d’un TUA et d’un trouble dépressif majeur ou d’un trouble d’anxiété non provoqué par une substance psychoactive, nécessite une réflexion approfondie compte tenu des problèmes potentiels inexplorés. Pour appuyer cette recommandation, la Ligne directrice cite des études de Charney et ses collègues2 et de Friedmann et ses collègues3, ainsi qu’une revue systématique de Stokes et ses collègues4; ces études comportent toutefois des limites. Par exemple, l’étude de Charney et ses collègues2 se concentre principalement sur le traitement du TUA, et non sur celui de la dépression, ce qui nous permet difficilement de tirer des conclusions sur l’utilisation des ISRS pour traiter le TUA en présence d’une dépression concomitante. L’étude de Friedmann et ses collègues3 utilisait de la trazodone à faible dose, et non un ISRS, et n’a pas permis de distinguer efficacement la dépression ou le trouble anxieux primaire ou associé à une substance psychoactive. Essentiellement, ces études n’ont pas été conçues pour évaluer l’efficacité des ISRS dans le traitement du TUA en concomitance avec un trouble dépressif majeur ou un trouble anxieux primaire; il est donc inapproprié de les utiliser pour émettre une recommandation contre l’utilisation des ISRS dans ces cas. Contrairement aux études portant sur les antidépresseurs en monothérapie chez les personnes atteintes d’un TUA, des études sur l’association des ISRS et du traitement du TUA chez les personnes présentant un tel trouble en concomitance avec un trouble dépressif majeur ont montré les bienfaits importants de cette stratégie. Par exemple, Pettinati et ses collègues5 ont constaté des issues améliorées lors de l’utilisation de la sertraline et de la naltrexone en polythérapie. Dans la même veine, Moak et ses collègues6 ont signalé que les personnes concernées consommaient moins d’alcool par jour lorsqu’elles utilisaient la sertraline et recevaient une thérapie cognitivo-comportementale (TCC), comparativement aux personnes qui prenaient un placebo et recevaient une TCC. Les modèles de soins intégrés sur l’usage de substances psychoactives et les traitements de la santé mentale se sont aussi révélés prometteurs — ils amélioraient tant les symptômes dépressifs que les issues liées à la consommation d’alcool5,7. Une revue systématique Cochrane indique que les ISRS pourraient être utiles dans le traitement du trouble dépressif majeur, de l’anxiété, du TUA ou de la cooccurrence du TUA et d’un trouble dépressif majeur ou d’un trouble anxieux, avec peu d’effets indésirables comparativement au placebo8,9. Les études longitudinales menées par Cornelius et ses collègues10–13 montrent l’efficacité persistante de la fluoxétine à réduire les symptômes dépressifs et la consommation d’alcool chez les personnes atteintes d’un trouble dépressif majeur et d’un TUA. Des essais pragmatiques n’ont trouvé aucune différence significative dans les effets antidépresseurs des ISRS en traitement du trouble dépressif majeur seul comparativement au traitement du trouble dépressif majeur et du TUA concomitant14–16. Le trouble dépressif majeur non traité chez les personnes atteintes d’un TUA entraîne des conséquences; Samet et ses collègues17 ont constaté qu’une dépression provoquée par une substance psychoactive prédisait l’utilisation de substances psychoactives après l’obtention du congé hospitalier, et que le trouble dépressif majeur seul aggravait les troubles de consommation d’alcool et de cocaïne. Les recommandations de la Ligne directrice déconseillent la prescription d’ISRS dans les cas de trouble anxieux et de TUA concomitant, malgré des données probantes limitées en ce sens. Pourtant, certaines données probantes indiquent que les ISRS pourraient aider, et qu’il est injustifié d’en décourager l’utilisation étant donné que les personnes concernées peuvent continuer d’avoir des symptômes débilitants après avoir essayé d’autres traitements comme la psychothérapie. En conclusion, la recommandation contre l’utilisation des ISRS chez les personnes atteintes d’un TUA et d’un trouble dépressif majeur ou d’un trouble anxieux concomitant n’est pas justifiée. Même s’il faut réduire au maximum la polypharmacie, des données probantes montrent que les ISRS pourraient être un traitement efficace chez les personnes atteintes d’un TUA et d’un trouble dépressif majeur ou d’un trouble anxieux concomitant bien diagnostiqué. ## Footnotes * Intérêts concurrents: Anees Bahji reçoit du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de l’Université de Calgary et de la Fiducie sanitaire Calgary Health Trust. Il déclare aussi avoir reçu des honoraires pour services-conseils de la Ville de Calgary, ainsi que des honoraires du Centre de conférences TED-Ed, et des bourses de voyage de l’Association des psychiatres du Canada (APC), de la Société médicale canadienne sur l’addiction, de l’Association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association) et de la Société médicale américaine sur les dépendances (American Society of Addiction Medicine). Il est corédacteur au *Journal canadien d’addiction/Canadian Journal of Addiction*, membre du conseil d’administration de la Société internationale des éditeurs de revues sur les dépendances (International Society of Addiction Journal Editors), et coprésident du groupe de psychiatrie de la dépendance de l’APC. Marlon Danilewitz a reçu des honoraires personnels pour sa participation à des comités consultatifs, des honoraires de conférencier, des honoraires de services-conseils et des bourses de formation des sociétés Eisai, Otsuka, Janssen, Lundbeck, Winterlight Labs, Rapids Health, Pearls for Primary Care, de l’Association des psychiatres de la Colombie-Britannique et de l’Institut ontarien du cerveau. Il reçoit une allocation de l’APC pour son travail administratif et a reçu du soutien financier pour sa participation à des congrès universitaires et à des présentations de la part du Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores, de l’Académie canadienne de psychiatrie de la toxicomanie (Canadian Academy of Addiction Psychiatry) et de l’APC. Matthew Sloan reçoit du financement des IRSC, du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, de Santé Canada, du Fonds de la découverte du Centre de toxicomanie et de santé mentale et du Dépar tement de psychiat r ie de l’Université de Toronto. Il déclare avoir reçu des honoraires du Centre universitaire de santé McGill et des bourses de voyage de la Société de psychiatrie biologique (Society of Biological Psychiatry) et de la Société internationale de méthodologie des essais cliniques sur le système nerveux central (International Society for Central Nervous System Clinical Trials and Methodology). Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré. * Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Wood E, Bright J, Hsu K, et al.; Canadian Alcohol Use Disorder Guideline Committee. Canadian guideline for the clinical management of high-risk drinking and alcohol use disorder. CMAJ 2023;195:E1364–79. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTk1LzQwL0UxMzY0IjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjI6Ii9jbWFqLzE5Ni8xOS9FNjg1LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 2. Charney DA, Heath LM, Zikos E, et al. Poorer drinking outcomes with citalopram treatment for alcohol dependence: a randomized, double-blind, placebo-controlled Trial. Alcohol Clin Exp Res 2015;39:1756–65. 3. Friedmann PD, Rose JS, Swift R, et al. Trazodone for sleep disturbance after alcohol detoxification: a double-blind, placebo-controlled trial. Alcohol Clin Exp Res 2008;32:1652–60. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1111/j.1530-0277.2008.00742.x&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=18616688&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000258726700016&link_type=ISI) 4. Stokes PRA, Jokinen T, Amawi S, et al. Pharmacological treatment of mood disorders and comorbid addictions: a systematic review and meta-analysis. Can J Psychiatry 2020;65:749–69. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1177/0706743720915420&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=32302221&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) 5. Pettinati HM, Volpicelli JR, Kranzler HR, et al. Sertraline treatment for alcohol dependence: interactive effects of medication and alcoholic subtype. Alcohol Clin Exp Res 2000;24:1041–9. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1111/j.1530-0277.2000.tb04648.x&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10924008&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000088212400015&link_type=ISI) 6. Moak DH, Anton RF, Latham PK, et al. Sertraline and cognitive behavioral therapy for depressed alcoholics: results of a placebo-controlled trial. J Clin Psychopharmacol 2003;23:553–62. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1097/01.jcp.0000095346.32154.41&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=14624185&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000186613500005&link_type=ISI) 7. Samokhvalov AV. Theory and practice of treatment of concurrent major depressive and alcohol use disorders: 7 lessons from clinical practice and research. Can J Addict 2021;12:39–46. 8. Agabio R, Trogu E, Pani PP. Antidepressants for the treatment of people with co-occurring depression and alcohol dependence. Cochrane Database Syst Rev 2018;4:CD008581. doi: 10.1002/14651858.CD008581.pub2. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1002/14651858.CD008581.pub2&link_type=DOI) 9. Ipser JC, Wilson D, Akindipe TO, et al. Pharmacotherapy for anxiety and comorbid alcohol use disorders. Cochrane Database Syst Rev 2015; 1:CD007505. doi: 10.1002/14651858.CD007505.pub2. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1002/14651858.CD007505.pub2&link_type=DOI) 10. Cornelius JR, Bukstein OG, Birmaher B, et al. Fluoxetine in adolescents with major depression and an alcohol use disorder: an open-label trial. Addict Behav 2001;26:735–9. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1016/S0306-4603(00)00152-0&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=11676382&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000171105700009&link_type=ISI) 11. Cornelius JR, Salloum IM, Haskett RF, et al. Fluoxetine versus placebo in depressed alcoholics: a 1-year follow-up study. Addict Behav 2000; 25:307–10. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1016/S0306-4603(99)00065-9&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10795957&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000085833900015&link_type=ISI) 12. Cornelius JR, Bukstein OG, Wood DS, et al. Double-blind placebo-controlled trial of fluoxetine in adolescents with comorbid major depression and an alcohol use disorder. Addict Behav 2009;34:905–9. [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=19321268&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) 13. Cornelius JR, Clark DB, Bukstein OG, et al. Fluoxetine in adolescents with comorbid major depression and an alcohol use disorder: a 3-year follow-up study. Addict Behav 2005;30:807–14. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1016/j.addbeh.2004.08.025&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=15833583&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000228757100015&link_type=ISI) 14. Tang VM, Yu D, Weissman CR, et al. Treatment outcomes in major depressive disorder in patients with comorbid alcohol use disorder: a STAR*D analysis. J Affect Disord 2023;339:691–7. 15. Davis LL, Wisniewski SR, Howland RH, et al. Does comorbid substance use disorder impair recovery from major depression with SSRI treatment? An analysis of the STAR*D level one treatment outcomes. Drug Alcohol Depend 2010;107:161–70. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1016/j.drugalcdep.2009.10.003&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=19945804&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) 16. Davis LL, Pilkinton P, Wisniewski SR, et al. The effect of concurrent substance use disorder on the effectiveness of single and combination antidepressant medications for the treatment of major depression: an exploratory analysis of a single-blind randomized trial. Depress Anxiety 2012;29:111–22. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1002/da.20918&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=22495941&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE685.atom) [Web of Science](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=000302618400005&link_type=ISI) 17. Samet S, Fenton MC, Nunes E, et al. Effects of independent and substance-induced major depressive disorder on remission and relapse of alcohol, cocaine and heroin dependence. Addiction 2013;108:115–23.