Gestion des risques associés aux antidépresseurs chez les personnes ayant un trouble d’utilisation de l’alcool ==================================================================================================================== * Evan Wood * Jürgen Rehm [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.150095-l](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E349) Nous remercions Bahji et ses collègues1 ainsi qu’Elefante et ses collègues2 de leur intérêt pour la ligne directrice sur la prise en charge du trouble d’utilisation de l’alcool (TUA)3. Nous aimerions profiter de l’occasion pour expliquer que la mise en garde de la ligne directrice contre la prescription de certains antidépresseurs était basée non seulement sur des données probantes indiquant que certains antidépresseurs semblent largement inefficaces chez les personnes présentant à la fois un TUA et une dépression ou de l’anxiété4,5, mais aussi sur la littérature démontrant les risques d’augmentation de la consommation d’alcool associés à certains antidépresseurs. Bahji et ses collègues ont cité plusieurs études individuelles permettant de croire à des bienfaits des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS), mais la majorité d’entre elles n’étaient pas des essais contrôlés par placebo. À l’inverse, selon diverses méta-analyses, les ISRS n’ont aucun effet sur les symptômes de dépression chez les personnes ayant un TUA4–6. Plus particulièrement, dans une revue systématique Cochrane, Agabio et ses collègues5 ont remarqué que les ISRS n’avaient eu aucun effet sur les scores de dépression finaux, la variation des scores, le nombre de sujets présentant une réponse ou le nombre de rémissions, par rapport au placebo. En outre, en réponse aux commentaires d’Elefante et de ses collègues, nous aimerions préciser que cette revue n’a décelé aucun avantage des ISRS sur le placebo, pour ce qui est des journées d’abstinence ou de forte consommation5. En parallèle, la revue systématique Cochrane pertinente au contexte, réalisée par Ipser et ses collègues6, a conclu que l’efficacité de la médication pour traiter les troubles anxieux et les troubles d’utilisation de l’alcool concomitants ne peut être établie avec certitude. Bahji et ses collègues ont aussi cité une étude faisant état de l’efficacité des ISRS administrés en association avec la naltrexone pour traiter la patientèle ayant un TUA et un trouble dépressif majeur, mais une méta-analyse subséquente incluant cette étude a permis de conclure que les ISRS, utilisés seuls ou en association avec des médicaments de prévention des rechutes comme la naltrexone, n’avaient aucun effet significatif sur les symptômes de dépression4. De plus, la ligne directrice a résumé une publication sous-estimée démontrant que certains antidépresseurs semblent faire augmenter la consommation d’alcool chez une portion de la patientèle. Alors qu’Elefante et ses collègues ont décrit un seul essai7, au moins 6 essais contrôlés par placebo à double insu ont montré que les ISRS sont associés à un risque d’augmentation de la consommation d’alcool7–12. Elefante et ses collègues ont raison lorsqu’ils mentionnent, comme on l’explique dans la ligne directrice, que certaines études soulignent que cette préoccupation est particulièrement pertinente chez les personnes présentant un TUA plus grave et d’apparition plus précoce que les autres. En outre, un polymorphisme fonctionnel (5-HTTLPR) touchant le gène transporteur de la sérotonine peut prédisposer les personnes ayant un TUA traitées par ISRS à des résultats soit positifs (diminution de la consommation d’alcool), soit négatifs (augmentation de la consommation d’alcool)6. Selon un essai clinique randomisé (ECR) effectué afin d’examiner cette question de façon critique, puisque le génotype en cause dans l’augmentation de la consommation d’alcool induite par des ISRS est plus courant que le génotype engendrant des bienfaits, on estime que 2 fois plus de patients et patientes se faisant prescrire des ISRS subissent des répercussions négatives, et que l’utilisation généralisée des antidépresseurs porte à croire que les résultats indiqués ici sont pertinents chez une proportion substantielle de la population américaine7. En ce qui a trait aux commentaires sur la trazodone, un antagoniste des récepteurs de la sérotonine et inhibiteur de la recapture de ce neurotransmetteur, nous nous appuyons sur cet ECR pour démontrer plus précisément les risques d’accroissement de la consommation d’alcool liés à l’administration d’un autre agent sérotoninergique couramment utilisé dans le traitement du TUA, en comparaison avec un placebo13. Bien qu’on ne s’attende généralement pas à ce que l’augmentation de la dose d’un médicament en réduise les effets indésirables, il faudrait mener d’autres études pour analyser la suggestion selon laquelle l’augmentation de la dose de trazodone ou l’association de trazodone et de médicaments contre l’envie irrépressible de boire limiterait les effets indésirables potentiels associés à une hausse de la consommation13. En somme, les données probantes actuelles justifient les recommandations actuelles de la ligne directrice. ## Footnotes * Intérêts concurrents: Evan Wood est médecin; il travaille à l’Autorité de la santé du littoral de Vancouver dans le domaine de la prise en charge du sevrage et entreprend des travaux sur la médecine des toxicomanies en milieu professionnel. Il est également professeur de médecine à l’Université de la Colombie-Britannique, un poste appuyé par une chaire de recherche du Canada de niveau 1 des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), et a reçu une subvention pour un projet R01 de l’Institut national des États-Unis sur l’abus de drogues, versée à l’Université de la Colombie-Britannique. Le laboratoire de recherche du Dr Wood est en outre financé par des subventions des IRSC versées à l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances. Le Dr Wood a également entrepris des travaux de consultation sur les enjeux juridiques relatifs aux troubles liés à l’usage de substances psychoactives et pour Numinus Wellness, une société qui se consacre à la santé mentale et dont il a été médecin-chef. Il a aussi reçu une rémunération sous forme d’actions ordinaires de Numinus. Il déclare avoir reçu des honoraires pour des conférences et des présentations non liées à l’industrie (p. ex., conférences universitaires ou éducatives), y compris une allocution pour La société médicale canadienne sur l’addiction (SMCA), rémunérée à même le budget de la conférence de la SMCA; une série de séances scientifiques à l’Université Dalhousie (payée par l’université); et une conférence pour la plateforme d’éducation des équipes soignantes Executive Links (indépendamment des travaux soumis). Le Dr Wood a aussi reçu une rémunération pour des rapports et témoignages d’expert sur des questions juridiques ayant trait au trouble lié à l’usage de substances psychoactives, y compris de l’Association canadienne de protection médicale et de syndicats représentant des travailleurs et travailleuses souffrant potentiellement de ce trouble. Il a reçu des bourses de déplacement des IRSC. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré. * Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Bahji A, Danilewitz M, Sloan M, et al. Concerns regarding the recommendation against prescribing selective serotonin reuptake inhibitors in the Canadian guideline for the clinical management of high-risk drinking and alcohol use disorder [lettre]. CMAJ 2024;196:E346–7. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTk2LzEwL0UzNDYiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMjoiL2NtYWovMTk2LzE5L0U2ODkuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 2. Elefante RJO, Lu C, Bach PJ. Navigating the nuances of the Canadian guideline’s stance on selective serotonin reuptake inhibitors in concurrent alcohol use disorder and mood or anxiety disorders [lettre]. CMAJ 2024;196:E348. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTk2LzEwL0UzNDgiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMjoiL2NtYWovMTk2LzE5L0U2ODkuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 3. Wood E, Bright J, Hsu K, et al.; Canadian Alcohol Use Disorder Guideline Committee. Canadian guideline for the clinical management of high-risk drinking and alcohol use disorder. CMAJ 2023;195:E1364–79. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTk1LzQwL0UxMzY0IjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjI6Ii9jbWFqLzE5Ni8xOS9FNjg5LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 4. Stokes PRA, Jokinen T, Amawi S, et al. Pharmacological treatment of mood disorders and comorbid addictions: a systematic review and meta-analysis: traitement pharmacologique des troubles de l’humeur et des dépendances comorbides: une revue systématique et une méta-analyse. Can J Psychiatry 2020;65:749–69. [CrossRef](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=10.1177/0706743720915420&link_type=DOI) [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=32302221&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F196%2F19%2FE689.atom) 5. 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