« Admissions pour manque de soutien social » dans les hôpitaux : un échec des politiques, et non des personnes ================================================================================================================== * Catherine Varner * Andrew Boozary * Andreas Laupacis [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.240577](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E597); [voir la recherche connexe (en anglais) ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231430](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E580) Dans leur recherche publiée dans le *JAMC*, Mah et ses collègues résument l’expérience des professionnels et professionnelles de la santé qui prodiguent des soins à une patientèle dont la maladie n’est pas aiguë et qui n’a pas besoin d’être hospitalisée, mais pour qui le congé ne serait pas sécuritaire en raison de besoins de santé complexes et d’un manque de soutien social1. Les auteurs de l’article utilisent le terme « admission pour manque de soutien social » (social admission). Or, on entend souvent plutôt le terme « patient inapte », qui a une connotation très péjorative et qui rend implicitement la personne responsable de la situation dans laquelle elle se trouve. À une époque où les hôpitaux ont régulièrement un taux d’occupation supérieur à 100 %, les professionnels et professionnelles de la santé, les hôpitaux et les gouvernements considèrent les « admissions pour manque de soutien social » comme un problème1. Les prestataires de soins de santé sont d’avis que ces patients et patientes reçoivent des soins sous-optimaux; cela dit, le fait que les hôpitaux soient devenus l’endroit où aboutissent de plus en plus de personnes qui ne parviennent plus à se débrouiller dans la communauté les contrarie. Ce n’est toutefois pas la faute de la patientèle si les soins à domicile sont insuffisants, si les soins de longue durée ne sont pas accessibles aux personnes qui en ont réellement besoin ou s’il est impossible de prendre en charge une maladie chronique dans la communauté sans accès à un logement stable. Nous examinons comment la perception de ce problème comme un échec des politiques et les investissements en amont dans des politiques fondées sur des données probantes pourraient contribuer à remédier à la situation. En milieu hospitalier, nombre de comités chargés de la qualité utilisent comme indicateur de qualité le pourcentage des personnes hospitalisées qui n’ont plus besoin de soins de courte durée (celles-ci occupent 10 %–20 % des lits d’hôpital dans de nombreuses régions du pays). De plus, le « ratio de prise en charge des autres niveaux de soins » constitue maintenant un indicateur prioritaire pour le plan d’amélioration de la qualité 2024–2025 de Santé Ontario2,3. En raison de l’urgente nécessité de libérer des lits d’hôpital et d’atténuer l’engorgement des services d’urgence, certains gouvernements ont commencé à dire aux patients et patientes bénéficiant d’autres niveaux de soins qu’ils seront transférés vers un établissement de soins de longue durée situé à des kilomètres de chez eux et que, en cas de refus, on leur facturera l’occupation du lit d’hôpital4. En outre, compte tenu de l’achalandage sans précédent, les prestataires des services d’urgence n’ont d’autre choix que de donner leur congé à des patients et patientes qui, ils le savent, retourneront vivre dans des conditions potentiellement dangereuses. Dans presque tous les cas, ce sont les professionnels et professionnelles de la santé, et non les responsables des orientations politiques, qui ont la responsabilité de dire aux patients et aux patientes qu’ils doivent retourner dans un milieu non sécuritaire ou peu souhaitable. Les politiques punitives comme celle-ci causent de la détresse à la patientèle, aux familles et aux prestataires de soins de santé, tout en échouant à ramener les taux d’occupation des lits d’hôpital à des niveaux raisonnables. Ces politiques vont également à l’encontre de l’engagement indéfectible des travailleurs et des travailleuses de la santé désireux de mieux servir la patientèle qui, sans eux et elles, serait abandonnée par les systèmes de santé et de services sociaux plus généraux1. En plus d’être plus bénéfiques pour la patientèle, les stratégies non punitives réduisent le nombre et les coûts des hospitalisations5. L’une d’entre elles consiste à intégrer dans les services d’urgence du personnel et des programmes qui savent répondre aux besoins de santé complexes des personnes susceptibles d’être « admises pour manque de soutien social ». Des programmes pilotes de pair-aidance sont en cours dans les services d’urgence, permettant à des personnes vivant ou ayant vécu une forme de marginalisation, comme l’itinérance, un problème de santé mentale ou la consommation de substances psychoactives, d’aider la patientèle ayant des expériences comparables à établir un lien de confiance avec l’équipe clinique, à explorer le soutien social offert dans la communauté et à éviter l’hospitalisation. La littérature récente portant sur les personnes en pair-aidance en milieu hospitalier montre qu’elles offrent un appui essentiel aux patientes et patients qui ont accès au soutien social et aux services de réduction des méfaits6. Le personnel infirmier en gériatrie d’urgence et les équipes multidisciplinaires en gériatrie sont de plus en plus intégrés dans les services d’urgence canadiens et aident à la gestion et à la coordination des soins aux personnes âgées fragiles dont les capacités fonctionnelles ou la cognition sont en déclin. Bien que ces initiatives diminuent le nombre d’admissions et les visites répétées de manière rentable7, elles ne remplacent pas les formes de soutien communautaire, comme des soins à domicile adéquats ou l’accès aux soins de longue durée7. De plus, les hôpitaux élargissent leurs équipes de soins de santé pour inclure des travailleurs et des travailleuses en soins de santé communautaires et ainsi aider les personnes vulnérables à accéder aux services de santé et aux services sociaux. Souvent des profanes vivant dans la même communauté, ces travailleurs et travailleuses adaptent leur soutien selon les besoins de santé physique et mentale de la personne et l’aident à réaliser certaines tâches, comme accéder au soutien au revenu, ou l’accompagnent à ses rendez-vous médicaux. Ce changement correspond aux données probantes qui montrent depuis long-temps que les services de santé et les services sociaux sont modelés par des conditions extérieures aux milieux cliniques8,9. Un examen effectué par l’Organisation mondiale de la Santé a permis de conclure que les travailleurs et les travailleuses en soins de santé communautaires étendent les services de santé aux populations vulnérables, répondent aux besoins de santé d’une manière adaptée sur le plan culturel, améliorent l’accès aux services, luttent contre les iniquités en matière d’état de santé et rehaussent l’efficacité des systèmes de santé10. Toutefois, pour bénéficier de ces avantages, il faut intégrer ces travailleurs et travailleuses au moyen de mesures d’intérêt public liées à la planification des ressources humaines de la santé et du partage des données, et qui comprennent des processus permettant de résoudre les multiples problèmes légaux, financiers et de gouvernance qui se posent lors de la mise en place de programmes solides de travailleurs et travailleuses en soins de santé communautaires10. Les systèmes de santé du Canada sont fragmentés et manquent de coordination et de ressources; les filets de sécurité sociale sont aussi effilochés. Malgré la promesse des programmes décrits ici, ces systèmes ne tiennent pas compte des déterminants sociaux de la santé qui peuvent mener à des consultations aux urgences. Afin de rétablir la dignité humaine dans les soins de santé — autrement dit, pour s’attaquer correctement aux obstacles que doit surmonter la patientèle et à la détresse morale des prestataires de soins de santé — les facteurs structurels causant les disparités en santé doivent être considérés comme des échecs des politiques, et non des personnes. ## Footnotes * Intérêts concurrents: [www.cmaj.ca/staff](http://www.cmaj.ca/staff) (Varner et Laupacis). Andrew Boozary siège au conseil d’administration du groupe Inner City Health Associates. * Traduction et revision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Mah JC, Stilwell C, Kubiseski M, et al. Managing “socially admitted” patients in hospital: a qualitative study of health care providers’ perceptions. CMAJ 2024;196:E580–90. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTk2LzE3L0U1ODAiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMjoiL2NtYWovMTk2LzIzL0U4MDEuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 2. 2024/25 Quality Improvement Plan Indicator Matrix. Toronto: Ontario Health. Accessible ici: [https://hqontario.ca/Portals/0/documents/qi/qip/2024-25-QIP-priorities-en.pdf](https://hqontario.ca/Portals/0/documents/qi/qip/2024-25-QIP-priorities-en.pdf) (consulté le 11 avr. 2024). 3. Patient days in alternate level of care (percentage). Toronto: Canadian Institute for Health Information; 2023. Accessible ici: [https://www.cihi.ca/en/indicators/patient-days-in-alternate-level-of-care-percentage](https://www.cihi.ca/en/indicators/patient-days-in-alternate-level-of-care-percentage) (consulté le 11 avr. 2024). 4. More Beds, Better Care Act, 2022, S.O. 2022, c. 16 — Bill 7. Accessible ici: [https://www.ola.org/en/legislative-business/bills/parliament-43/session-1/bill-7](https://www.ola.org/en/legislative-business/bills/parliament-43/session-1/bill-7) (consulté le 11 avr. 2024). 5. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine; Health and Medicine Division; Board on Health Care Services; Committee on Integrating Social Needs Care into the Delivery of Health Care to Improve the Nation’s Health. Integrating social care into the delivery of health care: moving upstream to improve the nation’s health. Washington (D.C.): National Academies Press; 2019. 6. O’Neill M, Michalski C, Hayman K, et al. “Whatever journey you want to take, I’ll support you through”: a mixed methods evaluation of a peer worker program in the hospital emergency department. BMC Health Serv Res 2024;24:147. 7. Leaker H, Fox L, Holroyd-Leduc J. The impact of geriatric emergency management nurses on the care of frail older patients in the emergency department: a systematic review. Can Geriatr J 2020;23:250–6. 8. Hancock T. Beyond health care: the other determinants of health. CMAJ 2017;189:E1571. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTg5LzUwL0UxNTcxIjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjI6Ii9jbWFqLzE5Ni8yMy9FODAxLmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 9. Boozary A, Laupacis A. The mirage of universality: Canada’s failure to act on social policy and health care. CMAJ 2020;192:E105–6. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTkyLzUvRTEwNSI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIyOiIvY21hai8xOTYvMjMvRTgwMS5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 10. What do we know about community health workers? A systematic review of existing reviews: Human Resources for Health Observer Series No. 19. Geneva: World Health Organization; 2021.