L’écart de rémunération entre les sexes en médecine englobe les inégalités à l’intérieur d’une spécialité, entre les spécialités et propre à la patientèle.
Les femmes médecins et les médecins travaillant dans des spécialités majoritairement féminines sont moins bien payées que leurs confrères; cette inégalité est aggravée par les différences dans la rémunération pour les services fournis aux femmes par rapport aux services aux hommes.
Il faut une approche pancanadienne normalisée et transparente de rémunération à l’acte sous un angle d’égalité pour éliminer les inégalités structurelles dans la rémunération inhérentes à la grille tarifaire des services médicaux.
L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes médecins au Canada est bien documenté. Les premiers reçoivent une rémunération plus élevée que leurs consœurs pour une même spécialité, un même mode de rémunération et un même milieu de pratique, dans l’ensemble et même après avoir pris en compte les heures travaillées et le nombre de patientes et patients vus1. Nous discutons de la nature multifactorielle de cet écart et de l’éventail d’interventions requises pour régler pleinement ce problème.
L’écart salarial entre les sexes en médecine peut être considéré comme une combinaison de 3 inégalités — à l’intérieur d’une spécialité, entre les spécialités et propre à la patientèle —, chacune ayant ses facteurs uniques (figure 1 et annexe 1, accessibles au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231518/tab-related-content). L’inégalité dans à l’intérieur d’une spécialité désigne les différences en ce qui a trait à la paie à l’heure et par patient pour les hommes et les femmes médecins qui offrent les mêmes services. Des données observationnelles semblent indiquer que cette disparité est au moins en partie causée par des différences liées au sexe dans la composition de la patientèle2, les demandes de consultation non interventionnelle3, le temps consacré à chaque patient ou patiente4, les styles de négociation5 et les tâches administratives non facturables6. L’inégalité entre les spécialités désigne les différences concernant la rémunération entre les spécialités majoritairement masculines et majoritairement féminines pour un travail semblable1. Cette inégalité pourrait être associée à la dévalorisation d’une spécialité lorsque la proportion de femmes dans cette spécialité augmente, comme on l’a vu dans d’autres domaines7, et à des facteurs de genre influençant le choix de spécialité des étudiantes en médecine8.
Conceptualisation de l’inégalité de rémunération fondée sur le sexe, avec des exemples des manières dont les inégalités à l’intérieur d’une spécialité, entre les spécialités et propres à la patientèle peuvent y contribuer.
Ces 2 inégalités de rémunération pourraient être accrues par l’inégalité propre à la patientèle, qui désigne les différences dans la rémunération des services fournis à des femmes par rapport à ceux fournis à des hommes. Un exemple évident de la contribution de cette inégalité à l’écart entre les spécialités est le fait que les interventions faites sur l’anatomie féminine (la plupart du temps par des gynécologues, la gynécologie étant une spécialité majoritairement féminine) sont rémunérées à un tarif inférieur à celui des interventions faites sur l’anatomie masculine (la plupart du temps par des urologues, l’urologie étant une spécialité majoritairement masculine)9. Cependant, l’inégalité propre à la patientèle élargit aussi l’écart au sein même des spécialités chirurgicales; par exemple, les femmes urologues voient une plus grande proportion de patientes que leurs confrères et, par rapport aux hommes, les patientes en urologie ont plus souvent besoin d’interventions urodynamiques, qui sont rémunérées à un tarif inférieur comparativement à d’autres interventions urologiques10.
Environ 70 % de la rémunération des médecins au Canada suit un modèle de rémunération à l’acte, où les médecins reçoivent un montant prédéterminé pour chaque consultation médicale et chaque intervention. Une grille de codes de facturation est négociée entre les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé et leurs associations médicales respectives. On croit souvent à tort qu’il n’y a aucune discrimination liée au sexe dans le modèle de rémunération à l’acte, puisque le sexe des médecins n’influence pas les codes de facturation. Cependant, comme les patientes sont plus susceptibles d’être traitées par des femmes médecins, quelle que soit la spécialité2, l’interaction de l’inégalité entre les spécialités et de l’inégalité propre à la patientèle est particulièrement importante pour comprendre l’écart de rémunération. Cette interaction a été nommée « double discrimination » et peut être constatée en comparant le paiement des interventions faites sur l’appareil reproducteur masculin (p. ex., interventions urologiques) et l’appareil reproducteur féminin (p. ex., interventions gynécologiques) dans des spécialités majoritairement masculines (urologie) et majoritairement féminines (gynécologie). Une comparaison rigoureuse des codes d’actes semblables en urologie et en gynécologie au Canada réalisée par Chaikof et ses collègues9 a montré que les interventions gynécologiques étaient payées, en moyenne, 28 % moins cher que les interventions urologiques équivalentes, cette différence variant grandement entre les provinces. Bien que la discrimination structurelle dans la grille tarifaire des services médicaux ne soit pas le seul facteur contribuant à l’écart de rémunération, l’étude laisse penser que la grille provinciale et territoriale contribue aux inégalités entre les spécialités et propre à la patientèle9.
Contrairement aux facteurs socioculturels ou biologiques, la restructuration de la grille tarifaire relève des gouvernements et des associations médicales provinciales. En outre, cette approche est vraisemblablement acceptable pour toutes les parties prenantes, malgré le scepticisme potentiel quant à l’existence de l’écart de rémunération entre les sexes ou à ses facteurs. L’atteinte d’une distribution plus égale de la valeur des codes de facturation pour les interventions anatomiques masculines et féminines selon leur complexité technique ne nécessite pas un consensus sur l’existence d’un tel écart ou sur son origine dans le sexisme systémique et interpersonnel plutôt que dans les choix personnels. Les parties prenantes doivent simplement reconnaître que tous les médecins méritent un salaire égal pour un travail semblable, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit la discrimination salariale fondée sur le sexe ou le genre.
Un obstacle central dans la renégociation de la grille tarifaire des services médicaux est la définition du « travail équivalent ». Le repérage de codes équivalents pour certains types de spécialités est complexe, particulièrement pour les spécialités non interventionnelles ou les opérations chirurgicales hautement spécialisées. De même, les différences anatomiques entre les hommes et les femmes signifient que les interventions propres à un sexe sont difficiles à comparer. Un manque de confiance entre les gouvernements provinciaux et les associations médicales peut nuire aux négociations sur la valeur relative des services.
Malgré tout, il faut une méthode d’évaluation et d’élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans la rémunération à l’acte. Les calculs de valeur relative, où la différence de rémunération entre 2 interventions ou consultations semblables est divisée par la rémunération totale pour les deux, pourraient aider à repérer les codes de facturation nécessitant une attention particulière. L’assurance maladie (Medicare) aux États-Unis et les soins de santé publics en France ont des modèles de rémunération à l’acte normalisée fondés sur des mesures objectives comme la durée des interventions, les compétences techniques et les frais généraux, ce qui démontre la faisabilité et l’acceptabilité de cette modalité11.
Il est clair qu’une approche pancanadienne normalisée et transparente de rémunération à l’acte sous un angle d’égalité est nécessaire. Une façon de faire serait de concevoir et de maintenir un système national qui analyse les codes de facturation équivalents entre les grilles tarifaires provinciales et produit des rapports transparents pour déterminer les valeurs aberrantes nécessitant un examen approfondi. Un tel système permettrait d’alerter les associations médicales et les gouvernements provinciaux et territoriaux lorsque des codes de facturation sont relativement sous-ou surévalués. Les données tirées de publications d’affaires et d’orientation laissent penser que la transparence dans la rémunération peut réduire l’inégalité fondée sur le sexe12. Dans une étude multicentrique aux États-Unis, un processus de rémunération normalisé transparent et non négociable a réduit l’inégalité entre les spécialités13.
Les codes de rémunération à l’acte peuvent perpétuer les inégalités dans la rémunération. Ces inégalités mettent en évidence un problème plus large sur la valeur perçue des patientes et la valeur attribuée au travail fait par des groupes de médecins majoritairement féminins. Il faudra travailler à l’adoption de processus fondés sur des données probantes pour éliminer l’inégalité de rémunération entre les sexes au Canada.
Footnotes
Intérêts concurrents: Shannon Ruzycki déclare avoir reçu des subventions de recherche d’Alberta Innovates, des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Bureau des bourses en formation médicale et en santé de l’Université de Calgary, ainsi que des honoraires de l’Université d’Ottawa et de l’Université de l’Alberta. Natalie Yanchar déclare avoir reçu des subventions de recherche des IRSC; elle est chef de département adjointe au Département de chirurgie de l’Université de Calgary. Oluwatomilayo Daodu déclare avoir reçu des subventions de recherche du fonds de recherche clinique de l’École de médecine Cumming, du Bureau des bourses en formation médicale et en santé, d’une subvention Catalyseur du viceprésident (recherche) de l’Université de Calgary, de l’Institut de recherche de l’Hôpital pour enfants de l’Alberta et du Conseil de recherches en sciences humaines. Aucun autre intérêt n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Saud Sunba, Natalie Yanchar et Oluwatomilayo Daodu ont conceptualisé ce travail. Shannon Ruzycki et Maede Ejaredar ont contribué à l’analyse. Shannon Ruzycki et Oluwatomilayo Daodu ont rédigé le manuscrit. Tous les auteurs et toutes les autrices en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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