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Dans sa poursuite inébranlable de la «santé pour tous», l'Organisation mondiale de la santé s'attaque maintenant à deux des plus grands dangers pour la santé qui existent sur la planète : la mauvaise alimentation et le manque d'exercice physique. En mai 2002, l'Assemblée mondiale de la santé donnait à la Stratégie mondiale pour l'alimentation, l'exercice physique et la santé le mandat de réduire le fardeau mondial des maladies non transmissibles, qui comptent à l'heure actuelle pour quelque 60 % des décès et 47 % des maladies dans le monde. Selon l'OMS, «les régimes nuisibles pour la santé et l'inactivité physique sont […] les principales causes des grandes maladies non transmissibles, dont les cardiopathies, le diabète de type 2 et certains types de cancer»1. Ces problèmes ne sont pas l'apanage des pays riches, mais gagnent rapidement du terrain dans les pays en développement, surtout chez les jeunes. En Thaïlande, 15,6 % des jeunes de 5 à 12 ans sont obèses. Des 177 millions de personnes dans le monde aux prises avec le diabète, les deux tiers vivent dans des pays en développement.
L'OMS demande à tous les gouvernements de la planète de mettre en œuvre, par leur ministère de la Santé, de l'Alimentation et de l'Agriculture, des politiques favorisant une alimentation saine et l'exercice physique approprié. Parmi les moyens proposés, notons l'éducation publique, les stimulants de marché, une stratégie plus judicieuse d'urbanisme et une réglementation de la fabrication, de l'étiquetage et de la publicité des aliments. Après consultation avec les gouvernements, les organismes et le secteur privé, l'OMS a publié en décembre un projet de document avec l'espoir de le faire adopter à l'Assemblée mondiale de la santé en mai 2004.
Mais non sans peine. Le Conseil exécutif de l'OMS a accepté des demandes de révision et de report de la part d'intervenants aussi valables que la World Sugar Research Organization et l'Association européenne de la distribution automatique (voir leurs présentations à www.who.int/hpr/gs_comments.shtml). La première allègue que l'OMS n'a pas réussi à prouver que «la commercialisation et la consommation de grignotines sucrées […] exacerbent le problème des maladies chroniques liées à l'embonpoint et à l'obésité». La seconde est d'avis que l'interdiction des distributeurs automatiques dans les écoles aura pour conséquence d'obliger les élèves à grignoter en-dehors de l'école. L'Institut du Sel prétend que l'hypertension est simplement un facteur de risque et donc non un objectif légitime dans la prévention des maladies. Toutefois, la présentation la plus fascinante provient du Département de la santé et des services humains des États-Unis (DHHS)2. Le document commence par un exposé de six pages de la recherche fondée sur les données probantes avant de passer à une liste détaillée de menues corrections, prétextant s'opposer à la base scientifique de la stratégie de l'OMS. Le DHHS ne trouve pas suffisamment de preuves permettant de croire que la forte commercialisation des «aliments énergétiques et des restaurants minute et la consommation élevée de boissons gazeuses sucrées» accroissent le risque d'obésité, et aucune donnée indiquant une association entre les annonces télévisées et les mauvaises habitudes alimentaires des enfants.
Toute tentative visant à utiliser les lacunes et autres manques de la science pour discréditer le bon sens soulève des questions sur le rôle que jouent les données probantes dans la stratégie de santé publique. Les données probantes ont été décrites comme un outil critique qui aide les législateurs et les décideurs à relier entre eux les éléments de la stratégie publique3. C'est peut-être vrai, mais clarifions-en les limites. Les choix stratégiques en matière de santé publique sont autant de nature politique et morale que pragmatique; lorsque de tels choix sont justifiés par l'absence de preuves, leur valeur sous-jacente devient alors plus évidente. Il est clair que la critique du DHHS repose sur une approche libertaire de la stratégie publique — une approche qui exagère «la responsabilité personnelle et le rôle de la personne» dans l'exercice des choix2 et qui accorde une trop grande foi aux forces débridées du marché pour favoriser la santé et le bien-être collectifs.
La stratégie de l'OMS est courageuse et nous espérons qu'elle résistera à la critique intéressée de l'industrie. Cette stratégie nous incite fortement à revoir notre approche préventive axée sur la maladie individuelle en nous attachant davantage aux déterminants communs de la santé. Pour ce faire, nous devrons aussi revoir quelques-unes de nos habitudes pharmacocentriques. Voici un exemple : les lignes directrices récemment publiées pour la prévention et le traitement du diabète (un document de 140 pages parrainé par un fabricant de médicaments) s'attaquent en longueur au problème du dépistage hâtif mais ne consacrent que 500 mots à la prévention, dont la moitié portent sur un essai unique de prévention à l'aide d'un médicament, la metformine4.
La stratégie de l'OMS est un appel indispensable à examiner la prévention globale des maladies et la santé, et nous convenons que sa mise en œuvre «est susceptible de déboucher sur une des améliorations les plus importantes et les plus viables jamais vues au niveau de la santé des population»1. — JAMC