L'accès à la santé génésique est essentiel pour la santé des femmes et pour certaines, l'avortement en constitue un élément clé. Les femmes du Canada n'ont cependant pas toutes également accès à l'avortement et certaines n'y ont même pas accès du tout1. Il importe que les médecins du Canada connaissent les faits sur l'accès à l'avortement afin de pouvoir mieux protéger et promouvoir la santé de leurs patientes.
Nous supposons souvent qu'au Canada, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, l'accès à l'avortement est enchâssé dans la loi et garanti par notre système de santé. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Une brève rétrospective s'impose ici.
Au cours des années 1960, les médecins et le mouvement des femmes au Canada ont lutté contre l'interdiction de l'avortement dans le Code criminel. Leurs efforts ont porté fruit et le Parlement a modifié la loi afin de permettre l'avortement approuvé par un comité d'avortement thérapeutique. En 1988, dans l'affaire Morgentaler, la Cour suprême du Canada a reconnu que la Charte canadienne des droits et libertés protège le droit d'une femme de poursuivre une grossesse ou d'y mettre fin, et a radié la loi. Ces succès signifiaient que l'avortement n'était plus frappé de restriction et qu'il était réglementé comme toute autre intervention médicale.
Depuis les victoires des années 1960 et 1980, l'accès s'est toutefois très peu amélioré et seulement certaines femmes ont bénéficié de cette faible amélioration2,3. Pour beaucoup d'entre elles, et en particulier les jeunes filles et les femmes qui sont pauvres, vivent en milieu rural, sont plus jeunes, racialisées, handicapées, autochtones ou immigrantes, ou encore ne parlent pas l'anglais ou le français — autrement dit les plus vulnérables — l'accès à l'avortement est sérieusement limité. Dans certaines provinces, l'avortement n'est pas disponible du tout. Seulement 17,8 % de tous les hôpitaux généraux fournissent des services d'avortement3 — comparativement à 20,1 % en 19774. Certains hôpitaux exigent des références d'un médecin, imposent des périodes d'attente pouvant atteindre six semaines, limitent le nombre de semaines de gestation ou permettent l'avortement seulement en «dernier recours». Les provinces n'ont pas toutes des cliniques d'avortement. Même là où il y en a, certaines demandent aux femmes de 500 $ à 750 $ pour leurs services. Certains médecins refusent de fournir aux femmes des services d'avortement et les renseignements ou les références dont elles auraient besoin pour trouver de l'aide ailleurs. Beaucoup de femmes n'arrivent pas à trouver d'information sur la façon d'avoir accès aux services d'avortement et certaines reçoivent des conseils anti-choix non sollicités. Même si le contraceptif d'urgence Plan B est maintenant disponible sans ordonnance, celles qui cherchent à l'obtenir ont toujours des obstacles à surmonter.
Les médecins ne sont pas tenus de pratiquer d'avortements (sauf en cas d'urgence), quelles que soient leurs croyances personnelles, ne devraient pas empêcher les femmes d'avoir accès à l'avortement. Les professionnels de la santé qui ne communiquent pas un diagnostic, ne fournissent pas une référence appropriée, retardent l'accès, orientent mal les femmes ou fournissent des traitements punitifs commettent une faute professionnelle et s'exposent à des poursuites en justice et à des sanctions disciplinaires. Les médecins qui empêchent les femmes d'avoir accès à l'avortement enfreignent aussi le Code de déontologie de l'AMC, qui interdit la discrimination fondée sur le sexe, l'état civil et l'état de santé. Ils enfreignent de plus la politique de l'AMC et les positions adoptées par l'Association au sujet de l'avortement, y compris, par exemple, au sujet du counselling complet et immédiat et de l'accès sans retard.
Les médecins ne doivent pas faire preuve de complaisance face à l'accès aux services de santé génésique pour les femmes du Canada ou au maintien des droits obtenus antérieurement. Ils et elles ne devraient pas se croiser les bras alors que les services d'avortement sont disponibles seulement pour les femmes qui ont les moyens de payer. Même s'ils ne sont pas prêts à fournir des services d'avortement eux-mêmes, tous les médecins devraient veiller à ce que les patientes reçoivent les références voulues, en temps opportun. Il faudrait exercer sur les gouvernements, tant fédéral que provinciaux et territoriaux, des pressions pour que des soins de santé génésique financés par le secteur public, y compris le droit des femmes à l'avortement protégé par la Constitution, soient disponibles et accessibles aussi bien dans des cliniques que dans les hôpitaux. Les médecins devraient conjuguer leurs efforts avec ceux des gouvernements provinciaux et territoriaux, des pharmaciens et des pharmacies pour assurer que les femmes du Canada ont un accès protégé, sécuritaire et abordable au Plan B. Ils devraient exhorter Santé Canada à envisager d'autoriser l'utilisation de la mifépristone pour l'avortement médical.
Les médecins du Canada devraient chercher à faire en sorte que l'avortement soit disponible pour toutes les femmes qui le demandent, que la promesse de choix en matière de reproduction soit respectée et que l'on résiste aux initiatives visant à compromettre l'accès.