Au Canada, de nombreux médicaments prescrits aux enfants sont administrés selon un emploi non conforme et ne sont pas offerts sous forme de préparation adaptée selon l’âge.
Aux États-Unis et au sein de l’Union européenne, on a mis en place depuis plus d’une décennie des politiques centrées sur les enjeux pédiatriques afin d’améliorer l’étiquetage des médicaments destinés à cette clientèle et la commercialisation de préparations adaptées aux enfants.
Le Canada a besoin d’un cadre centré sur la pédiatrie, avec l’obligation de soumettre les données et les préparations propres à la clientèle pédiatrique lorsqu’on anticipe l’usage d’un médicament chez les enfants ainsi que l’emploi de mesures incitatives pour les fabricants de nouveaux médicaments et de médicaments existants (protégés ou non par un brevet).
Comme Santé Canada entreprend actuellement une réforme réglementaire, il serait opportun d’intégrer à la législation canadienne les exigences et les mesures incitatives liées spécifiquement au domaine pédiatrique pour faire en sorte que les enfants bénéficient des mêmes normes réglementaires que les adultes.
Les enfants sont insuffisamment desservis par les réglementations d’approbation des médicaments au Canada. Ils ont besoin de médicaments qui s’avalent facilement, qui sont étudiés de façon adéquate pour leur groupe d’âge, qui sont sécuritaires et efficaces, qui offrent une certaine flexibilité de dosage et qui sont composés d’ingrédients non médicinaux dont l’innocuité a été démontrée. Pour le moment, ces exigences ne sont pas entièrement respectées. Nous abordons la manière dont la réforme réglementaire de Santé Canada devrait répondre aux enjeux liés à la prescription pédiatrique.
On estime que 50 %–80 % de tous les médicaments prescripts aux enfants sont administrés selon un emploi non conforme puisque leur utilisation s’écarte de la dose, de l’âge, de la voie d’administration, de la préparation ou de l’indication décrite dans la monographie du produit1–3. Pour les jeunes enfants, on doit souvent modifier la préparation commerciale (souvent un comprimé destiné aux adultes) avant de l’administrer, une pratique nommée préparation magistrale. Ces préparations, réalisées à la pharmacie ou à domicile, ne sont pas en accord avec les normes de fabrication pharmaceutiques et peuvent potentiellement être préjudiciables pour le patient4,5. Une étude récente a démontré que seulement 47 % et 28 % des monographies de produits de médicaments nouvellement approuvés au Canada comprenaient respectivement des renseignements et des indications, spécifiques à la clientèle pédiatrique6. Une autre étude canadienne, réalisée dans un centre hospitalier pédiatrique tertiaire, a révélé que 48 % des médicaments faisant couramment l’objet de préparations magistrales étaient disponibles sur le marché sous forme de préparations adaptées aux enfants aux États-Unis ou au sein de l’Union européenne7.
Au cours des 2 dernières décennies, les États-Unis et l’Union européenne ont mis en œuvre des politiques pédiatriques ciblées afin de promouvoir la recherche clinique sur les médicaments administrés aux enfants afin d’assurer un étiquetage sécuritaire et fondé sur des données probantes en plus d’encourager l’élaboration de préparations pédiatriques. Lorsqu’on prévoit l’emploi d’un produit en pédiatrie, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis exige un plan d’étude pédiatrique comme prérequis à l’utilisation du nouveau médicament. De même, l’Agence européenne des médicaments (EMA) exige que les promoteurs exécutent un plan d’investigation pédiatrique avant de déposer une demande d’autorisation de mise en marché. La FDA et l’EMA offrent aussi des mesures incitatives afin de promouvoir l’élaboration de médicaments et de préparations à usage pédiatrique8,9. Entre 2007 et 2015, l’Union européenne et les États-Unis ont approuvé 2 fois plus de nouveaux médicaments à usage pédiatrique et 32 % et 62 % plus d’indications pédiatriques, respectivement, que le Canada10. Les mesures incitatives et les obligations légales ont fortement influencé le dépôt de données pédiatriques pour un étiquetage adéquat8,10. Par exemple, entre 1998 et le mois de décembre 2021 aux États-Unis, on a procédé à une mise à jour de l’étiquetage de 967 médicaments afin d’intégrer des renseignements en matière d’usage pédiatrique, principalement pour se conformer aux exigences légales11.
À l’opposé des États-Unis et de l’Union européenne, le Canada ne possède pas de cadre de réglementation ciblé pour l’approbation de médicaments à usage pédiatrique. Pour les médicaments existants (protégés ou non par un brevet), le cadre actuel n’autorise pas Santé Canada à exiger des fabricants une mise à jour des monographies de produits lorsque des données portant sur l’efficacité ou l’innocuité dans un contexte pédiatrique sont disponibles; il n’offre pas non plus des mesures incitatives afin d’encourager les fabricants à mettre en marché des préparations pédiatriques déjà existantes dans d’autres pays étrangers dignes de confiance. Pour le dépôt de demandes de nouveaux médicaments, les fabricants ne sont pas tenus d’obtenir les indications dans un contexte pédiatrique ni d’élaborer des préparations adaptées aux enfants lorsqu’un usage pédiatrique est anticipé. Il existe peu de mesures incitatives et elles sont limitées aux nouveaux médicaments, avec une prolongation potentielle d’une durée de 6 mois de la protection des données des fabricants réalisant les études cliniques pédiatriques12. Il en résulte que de nombreux médicaments en attente d’approbation au Canada sont destinés à une population adulte uniquement, même lorsque les mêmes médicaments sont approuvés pour un usage pédiatrique ou sont offerts en préparations adaptées aux enfants dans d’autres pays.
Un grand nombre de cas illustrent les différences importantes dans la disponibilité des renseignements et des préparations à usage pédiatrique au Canada, comparativement aux États-Unis et à l’Union européenne. Au Canada, ce n’est qu’en 2019 qu’on a approuvé le lévétiracétam, un anticonvulsivant ordinairement prescrit aux enfants, pour un usage pédiatrique accompagné d’une préparation adaptée aux enfants, alors qu’aux États-Unis et au sein de l’Union européenne, on avait homologué les indications pédiatriques, accompagnées d’une solution orale commerciale adaptée aux enfants, 14 ans auparavant. Toujours au Canada, on a approuvé l’administration d’abatacept par intraveineuse afin de traiter l’arthrite rhumatoïde chez l’adulte et chez l’enfant, en 2006 et en 2008, respectivement; en 2013, on a approuvé la préparation sous-cutanée pour usage chez l’adulte seulement. Aux États-Unis et au sein de l’Union européenne, on a approuvé chez les enfants l’administration par injection sous-cutanée en 2017 et en 2019, respectivement, mais l’étiquetage canadien mentionne toujours que l’injection sous-cutanée d’abatacept n’a pas été étudiée chez les enfants. En conséquence, de nombreux enfants canadiens doivent subir des perfusions intraveineuses d’abatacept sur une base mensuelle en raison de l’absence d’approbation de l’usage pédiatrique qui empêche le remboursement de la voie sous-cutanée par l’État. De même, les comprimés de sofosbuvir employés dans le traitement de l’hépatite C demeurent indiqués uniquement pour l’usage chez l’adulte au Canada, en retard sur les États-Unis et l’Union européenne où on a approuvé ce médicament pour un usage chez les enfants de 12 ans et plus en 2017 et pour ceux de 3 ans et plus en 2020, selon des études réalisées sur ces populations. Une préparation pédiatrique composée de comprimés oraux et destinée aux jeunes enfants est aussi disponible sur ces deux territoires de compétences. Malgré cet état de fait, la section réservée aux usages pédiatriques sur l’étiquette canadienne mentionne que l’innocuité et l’efficacité du sofosbuvir n’ont pas été établies chez les patients pédiatriques.
Santé Canada élabore actuellement une innovation en matière de réglementation pour les produits de santé afin de permettre l’attribution agile de l’homologation de médicaments13 qui a le potentiel de résoudre certains de ces problèmes. En général, ces nouvelles réglementations ont pour but de mieux soutenir le contrôle des médicaments, avant comme après la vente, et de favoriser leur innocuité en améliorant la communication de leurs risques et de leurs avantages, accordant aussi à Santé Canada des pouvoirs accrus en lien avec la mise en application et l’élaboration d’outils pour une prise en charge des risques et des incertitudes. Ces réglementations accroisseront l’harmonisation des exigences en matière de données entre les territoires de compétence et, dans certaines situations, permettront une mise en marché au Canada une fois que l’approbation est obtenue d’un régulateur de confiance, encadré par un examen limité de Santé Canada. Dans le but d’alléger l’approbation par Santé Canada d’indications et de préparations destinées à une clientèle pédiatrique, l’emploi de processus d’examen et de décision étrangers et dignes de confiance serait une solution tangible et opportune. Les nouvelles réglementations agiles sont à large portée et les détails de la manière dont elles soutiendront la pharmacothérapie pédiatrique à l’aide de nouveaux médicaments et de médicaments existants, et dans quelle mesure, demeure à voir. Les facteurs de réussite clés doivent comprendre des considérations particulières (p. ex., des trajectoires, des structures de coûts) pour les candidatures pédiatriques, y compris les préparations et les indications réservées aux enfants.
Idéalement, la réforme réglementaire de Santé Canada comprendra 3 éléments afin d’assurer un accès optimal aux médicaments à usage pédiatrique brevetés. Elle s’accompagne aussi d’une fabrication de haute qualité pour l’amélioration des soins des enfants. Dans un premier lieu, pour les nouvelles demandes d’homologation de médicaments dont on anticipe un usage pédiatrique, un fabricant devrait soumettre des données de nature pédiatrique accompagnées de préparations adaptées aux enfants (si elles sont disponibles) ou un plan d’étude pédiatrique. Les dossiers pédiatriques soumis aux régulateurs d’autres pays devraient être intégrés puisque ces données sont facilement accessibles aux fabricants. Pour les médicaments approuvés et disponibles sur le marché, le nouveau cadre devrait permettre à Santé Canada d’exiger des modifications aux étiquettes afin de répondre aux préoccupations existantes (ou potentielles) en matière d’innocuité ou d’efficacité associées à un étiquetage incomplet ou afin de résoudre le manque de préparations adaptées aux enfants. Un comité consultatif d’experts en pédiatrie pourrait soutenir Santé Canada dans l’encadrement de ces processus spécifiques. En deuxième lieu, on devrait offrir des mesures incitatives pour encourager les fabricants à soumettre de nouvelles indications et préparations pédiatriques, en plus de l’actuelle prolongation de 6 mois pour la protection des données, qui est insatisfaisante pour les médicaments dont le brevet est échu. En dernier lieu, une structure de coûts présentant des tarifs réduits pour les médicaments à usage pédiatrique devrait inciter les fabricants à soumettre les renseignements et les préparations associées à l’usage pédiatrique de médicaments plus anciens qui ne sont plus protégés par un brevet. D’autres mesures incitatives pour des médicaments plus anciens pourraient comprendre un examen accéléré, le statut de médicament orphelin ou une forme quelconque de protection pour les médicaments ciblés en réponse à un besoin critique.
Dix ans après la requête de Santé Canada pour un examen en profondeur et fondé sur des données probantes des produits thérapeutiques chez les enfants et 7 ans après la publication d’un rapport préparé par un panel d’experts2, le moment est venu de passer à l’action. La réforme en cours à Santé Canada pour créer un système plus agile est une occasion sans précédent de s’assurer que les enfants canadiens ont le même accès aux nouveaux médicaments et aux préparations pédiatriques que ceux résidant dans d’autres pays. C’est aussi l’occasion de faire en sorte que les renseignements les plus à jour en matière de traitement pédiatrique soient intégrés sur l’étiquette des médicaments vendus au Canada. Les enfants méritent les mêmes normes réglementaires que les adultes.
Remerciements
Les auteurs remercient Jenny Walsh pour son examen attentif du manuscrit.
Footnotes
Intérêts concurrents: Catherine Litalien est cofondatrice et directrice médicale et scientifique du Centre de formulations pédiatriques Rosalind et Morris Goodman du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (non rémunérée). Andrea Gilpin était (au moment du dépôt de l’article), et Sophie Bérubé est une employée du Centre de formulations pédiatriques Rosalind et Morris Goodman. Charlotte Moore-Hepburn déclare une participation à la Société canadienne de pédiatrie et à Santé mentale pour enfants Ontario. Michael Rieder détient la Chaire en pharmacologie clinique pédiatrique des Instituts de recherche en santé du Canada et la Chaire GlaxoSmithKline de l’Université Western Ontario. Stuart MacLeod a reçu des honoraires de consultation à titre de membre du comité scientifique consultatif du Groupe Reformulary et un paiement de l’Institut de génomique de l’Ontario pour sa participation au comité de surveillance de la recherche. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Andrea Gilpin, Sophie Bérubé et Catherine Litalien ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail et elles ont produit la première ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Soutien financier: Ce travail a été financé par le Centre de formulations pédiatriques Rosalind et Morris Goodman du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.
Avis de non-responsabilité: La recherche et la rédaction de cet article se sont déroulées avant qu’Andrea Gilpin n’entreprenne son nouvel emploi à Santé Canada. Tous les points de vue, les opinions et les recommandations exprimés dans cet article appartiennent aux auteurs et ne sont pas nécessairement le reflet de la position prise par Santé Canada ou le Gouvernement du Canada.
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