En 2000, les sociétés pharmaceutiques des États-Unis ont consacré 2,5 milliards de dollars US à la publicité directe au consommateur (PDC) – soit trois fois plus qu'en 1996 et 35 % de plus qu'au cours de l'année précédente1. Du point de vue des entreprises, cet argent a été bien dépensé : on a affirmé, par exemple, que chaque dollar consacré à la publicité directe au consommateur sur l'anti-allergène Claritin a augmenté les ventes de 3,50 $2. Dans ce numéro, Barbara Mintzes et ses collaborateurs résument les effets de la PDC sur les patients et les médecins3 (voir pages 405 et 425). La PDC semble avoir un effet primaire et un effet secondaire : les patients sont vulnérables aux affirmations des annonceurs et les médecins sont vulnérables aux patients qui demandent les médicaments annoncés.
Est-ce nécessairement mauvais? Certaines maladies courantes comme l'asthme et le diabète sont insuffisamment traitées, soit à cause d'un diagnostic insuffisant ou d'une observation médiocre du traitement, et un pourcentage important de la population adulte générale présente des facteurs de risque traitables par des médicaments, par exemple l'hypertension et l'hyperlipidémie. On peut soutenir que prescrire insuffisamment constitue une erreur médicale (d'omission)4.
Lorsqu'on défend la PDC, on parle aussi de «responsabiliser» le patient en lui fournissant de l'information sur les traitements disponibles. Ces annonces de «rappel» et incitant à «demander de l'aide», dont le caractère sibyllin est remarquable, que l'on voit à la télévision actuellement (elles se glissent sous le radar réglementaire au Canada en désignant nommément un état ou un traitement, mais non les deux ensemble dans ce que l'on pourrait considérer comme une «annonce faisant état de propriétés attribuées au produit» – voir page 421) peuvent faire mieux connaÎtre certains problèmes de santé et réduire le stigmate, et aider ainsi à abattre la résistance à la recherche d'information, au diagnostic et au traitement. Dans la mesure où la PDC est informative, comment les médecins et les organismes de réglementation peuvent-ils affirmer que ce n'est pas bon pour les patients?
Le problème avec la PDC, ce n'est pas qu'elle s'adresse directement aux patients, qui ont tous les droits d'être informés au sujet des produits thérapeutiques qui pourraient être mis à leur disposition. Le problème, c'est simplement qu'il s'agit d'une publicité qui vise avant tout à faire passer des messages et non de l'information. Ces messages cherchent à promouvoir l'utilisation de médicaments nouveaux et plus coûteux (même si des médicaments plus anciens et moins coûteux donnent aussi des résultats) et à accroÎtre la reconnaissance de la marque (mais non la connaissance des effets secondaires ni des moyens non pharmacologiques de traitement et de prévention). Ils existent pour attiser la demande en faisant passer un double message d'anxiété et d'espoir, en faisant croire qu'un problème — perte des cheveux, acné, timidité, allergie ou ostéoporose — est non seulement «généralisé [et] sérieux», mais aussi «traitable»5. Certes, ils sensibilisent davantage les consommateurs, mais ils créent aussi des créneaux nouveaux et parfois douteux (p. ex., campagne publicitaire sur le Viagra qui vise des hommes plus jeunes)1. Le fait que la PDC soit assujettie à la réglementation gouvernementale et à des normes volontaires rassure un peu, mais pas beaucoup. Les normes publicitaires sont délicates à interpréter et à appliquer, car les gourous du marketing font preuve de créativité. De plus, le fait même que la PDC soit assujettie à la réglementation gouvernementale et à l'approbation de conseils consultatifs a l'effet paradoxal de lui donner plus de crédibilité1.
Ce qu'il convient peut-être de signaler le plus au sujet de la PDC, c'est toutefois le mot «consommateur». Comme on les commercialise dans des médias habituellement réservés aux automobiles, à la camelote alimentaire et au shampooing, les médicaments d'ordonnance sont devenus des produits de marque qui baignent dans les mêmes fantasmes et désirs que les produits liés aux habitudes de vie. Par ailleurs, le martelage constant de la PDC contribue à la «médicalisation» de l'expérience humaine normale, médicalisation résultant du pouvoir de la médecine et de notre incapacité moderne à accepter la normalité de la maladie et de la mort et qui nous a transformés en «diagnostics ambulants»6. De plus, ce qu'Ivan Illich décrivait avec tant de force en 19767 comme un phénomène iatrogène s'est maintenant généralisé : «Le concept social de la maladie est remplacé par le concept corporatif»5.
Les auteurs de telles critiques risquent de passer pour des hystériques. Nous retenons dont l'élan alarmiste qui nous ferait affirmer que nul patient n'est capable de se montrer sceptique face aux annonces commerciales. Or, attention : si la PDC à l'américaine présentant les avantages qu'un produit prétend offrir était autorisée au Canada (La Nouvelle-Zélande est le seul autre pays à l'autoriser), les sociétés pharmaceutiques pourraient dépenser à peu près 360 million $ Can. par année et s'attendre à une hausse des ventes de l'ordre de 1,2 milliard $. Ces coûts additionnels seraient portés presque entièrement par l'assurance-maladie. En savons-nous assez au sujet des avantages démontrés par étude contrôlée randomisée des médicaments annoncés pour décider s'il s'agit d'une façon judicieuse d'utiliser nos ressources? Ne serait-il pas préférable de les consacrer à la diffusion au «consommateur» d'information impartiale sur les médicaments et d'autres moyens non pharmaceutiques de traitement et de prévention? — JAMC