Le racisme envers les Noirs est un type de racisme bien précis, ancré dans l’histoire et l’expérience de l’esclavage, qui vise directement les personnes noires.
Les disparités entre les personnes noires et les autres groupes à l’égard des problèmes médicaux et des facteurs de risque ne s’expliquent pas par des différences biologiques entre les « races ».
Le milieu médical ne peut plus nier ni ignorer l’existence du racisme systémique envers les Noirs au Canada de même que son incidence sur la santé des personnes et des communautés noires.
Il est possible de combattre, de dénoncer et d’enrayer le racisme envers les Noirs en médecine en suivant les conseils d’éminents spécialistes œuvrant ou non au sein de la profession. La base serait de porter attention aux discussions qu’ont les personnes noires dans nos communautés, y compris les patients et les professionnels de la santé.
Le 25 mai 2020, George Floyd, un homme noir non armé, a été tué aux États-Unis par un policier blanc, Derek Chauvin, lors de son arrestation pour l’utilisation présumée d’un faux billet de 20 $. Le policier est resté agenouillé sur le cou de M. Floyd pendant près de 9 minutes alors que celui-ci répétait ne pas pouvoir respirer (www.nytimes.com/2020/05/31/us/george-floyd-investigation.html). Publiée sur les médias sociaux le lendemain, la vidéo de l’événement a marqué le début d’un nouveau chapitre historique : partout dans le monde, des gens sont sortis dans les rues pour réclamer justice et la fin du racisme envers les Noirs. Le conseil de santé de Toronto a réagi en déclarant que ce type de racisme représentait une crise de santé publique (www.cbc.ca/news/canada/toronto/board-of-health-anti-black-racism-1.5603383), et plusieurs unités de santé publique lui ont emboîté le pas en Ontario, reconnaissant que les iniquités raciales en santé affectaient démesurément les communautés noires et racisées. Le présent article traite de l’incidence du racisme envers les Noirs sur la santé et de ce que doit faire le milieu médical pour éliminer le racisme systémique de ses structures et de ses institutions.
Au Canada, les personnes noires constituent 3,5 % de la population, et environ 43 % d’entre elles sont nées au pays1. La Nouvelle-Écosse héberge depuis des siècles de grandes communautés noires, y compris des descendants de personnes réduites à l’esclavage au Canada. Malgré son abolition en 1831 sur le territoire de la future confédération, cette pratique a servi de fondement pour bâtir la nation2,3. Les personnes noires au Canada représentent aussi des communautés diversifiées d’immigrants.
Le racisme systémique (aussi nommé « racisme structurel » ou « racisme institutionnalisé ») renvoie aux « procédés s’inscrivant dans les lois et règlements (locaux, provinciaux et fédéraux), les politiques et les pratiques d’une société et de ses institutions qui avantagent des groupes raciaux considérés supérieurs et discriminent par l’oppression, le désavantage ou toute autre forme de négligence d’autres groupes considérés inférieurs4 ». Le racisme envers les Noirs est un type de racisme bien précis, ancré dans l’histoire et l’expérience de l’esclavage, qui vise directement les personnes noires, celles d’ascendance africaine. Des mythes et des stéréotypes ont été créés et utilisés pour justifier l’esclavage et la torture des esclaves africains, notamment à savoir que les personnes noires étaient différentes sur le plan biologique ou inférieures, avaient un intellect moins développé, toléraient mieux la douleur ou n’étaient pas dignes de confiance2.
Beaucoup s’imaginent que le problème réside au sud de la frontière seulement, mais des personnes noires au Canada dénoncent le racisme envers les Noirs depuis des siècles. En 2017, l’Organisation des Nations Unies s’est dite très inquiète « du racisme structurel qui se trouve au cœur de nombreuses institutions canadiennes et du fait que le racisme systémique envers les Noirs compromette encore le respect des droits des Afro-Canadiens5 ». Son Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine a noté que « d’un bout à l’autre du pays, nombre de personnes d’ascendance africaine vivent toujours dans la pauvreté, sont en mauvaise santé, ont un plus faible niveau de scolarité et sont surreprésentées dans le système de justice pénale », le racisme systémique envers les Noirs étant un facteur aggravant de ces résultats5. Selon une étude de 2011, les personnes noires au Canada gagnent en moyenne 75,6 cents pour chaque dollar gagné par une personne blanche, même en tenant compte de l’âge, du niveau de scolarité et du statut d’immigrant6. Une analyse des données issues des recensements du Canada de 1996 à 2006 indique quant à elle que 13,4 % des personnes noires diplômées aux cycles supérieurs à Montréal étaient sans emploi à l’époque, un taux comparable à celui des personnes non noires n’ayant pas terminé leurs études secondaires (12 %)7.
Le stress engendré par le racisme contribue à de multiples facteurs sociaux en amont qui perpétuent les iniquités raciales en santé chez les groupes raciaux non dominants à l’échelle mondiale; c’est le cas en ce qui a trait aux problèmes de santé mentale et de santé physique comme les maladies cardiovasculaires8. La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a affecté de façon disproportionnée les communautés noires et racisées au Canada (www.cbc.ca/news/health/black-covid-antibody-study-1.5737452), aux États-Unis (https://www.nationalgeographic.com/history/2020/04/coronavirus-disproportionately-impacts-african-americans/#) et au Royaume-Uni (www.theguardian.com/world/2020/may/07/black-people-four-times-more-likely-to-die-from-covid-19-ons-finds). Nous savons que les disparités observées à l’égard des problèmes médicaux et des facteurs de risque ne s’expliquent pas par des différences biologiques entre les personnes noires et les autres groupes. La race est une notion sociale fondée sur la nationalité, l’ethnicité et d’autres marqueurs de différence sociale, dont bon nombre reflètent les écarts dans l’accès des personnes noires au pouvoir et aux ressources dans la société. Un plus faible statut socioéconomique, qu’on le mesure selon le revenu, le niveau de scolarité ou la situation professionnelle, a été associé, il y a déjà longtemps, à un moins bon état de santé. De plus en plus de données probantes donnent à penser que le racisme contribue à de multiples facteurs sociaux en amont qui perpétuent les iniquités raciales en santé chez de multiples groupes sociaux non dominants à travers le monde9. Les inégalités structurelles qui affectent démesurément les communautés racisées ont contribué à leur risque accru de contracter le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) et d’être plus gravement atteint. La pauvreté est racisée, comme l’indique l’IRSS dans un rapport de mai 2020 sur les tendances de dépistage en Ontario menant à la conclusion que les personnes racisées résidant dans des quartiers marginalisés obtiennent plus souvent un test positif à la COVID-1910.
Les dénonciations d’actes racistes envers les Noirs dans le système de santé canadien abondent, en particulier sous forme de stéréotypes ou de préjugés chez les fournisseurs de soins9,11. La situation est aggravée par le fait qu’une faible proportion de médecins au Canada appartient à la communauté noire. En Ontario, 2,3 % des médecins en exercice sont noirs, ce qui n’est pas représentatif des 4,5 % dans la population générale12. Les facteurs systémiques, dont le racisme envers les Noirs, sous-tendent la sous-représentation des personnes noires en médecine13. Les médecins noirs, en exercice ou en formation, et les fournisseurs de soins racisés déclarent également subir du racisme dans les établissements de soins de santé canadiens (www.cbc.ca/news/health/racism-canadian-medicine-doctors-1.5615554)14,15,16.
Pour contrer les effets nocifs du racisme systémique envers les Noirs sur la santé, il faut y mettre un terme. D’abord, nous qui œuvrons dans le domaine des soins de santé devons reconnaître l’existence du racisme envers les Noirs dans nos systèmes et nous engager à apporter des changements significatifs et durables. Cela passe par l’écoute des citoyens, des patients et des professionnels de la santé noirs qui se heurtent au racisme depuis des générations, et par la consultation des nombreuses communautés ayant proposé des solutions concrètes pour remédier au problème. Par exemple, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine de l’Organisation des Nations Unies explique la relation entre le racisme envers les Noirs et les déterminants sociaux de la santé chez les personnes noires au Canada, et émet des recommandations générales, notamment de se concentrer sur l’accès à des ressources adaptées sur le plan culturel relatives à la santé mentale et au VIH, d’établir des partenariats avec les communautés noires et de recueillir des données ventilées selon la race auprès de toutes institutions canadiennes5. Le rapport de 2020 du Black Experiences in Healthcare Symposium est une excellente ressource pour les médecins souhaitant se renseigner sur les expériences des patients canadiens noirs11. Comptent parmi les changements recommandés la formation des fournisseurs de soins sur la lutte contre racisme, la lutte contre l’oppression et la décolonisation, ainsi que la collecte systématique de données relatives à la race en partenariat avec les communautés racisées. Enfin, l’Association canadienne des étudiants noirs en médecine fait des recommandations aux facultés de médecine pour les aider à contrer le racisme envers les Noirs dans le cadre des études de médecine et du processus d’admission; elle appelle à une réforme médicale essentielle fondée sur la théorie critique de la race (Critical Race Theory)17. Ses recommandations s’accompagnent d’objectifs à court et à long termes et d’un cadre directeur adapté pour les programmes d’études et la responsabilisation, afin de rendre l’expérience à la faculté de médecine plus représentative des communautés noires et de l’adapter aux étudiants qui en sont membres.
Le milieu médical ne peut plus nier ni ignorer l’existence du racisme systémique envers les Noirs au Canada de même que son incidence sur la santé des personnes et des communautés noires. Il est temps de reconnaître sa présence et de s’engager à l’éliminer de nos établissements de soins et d’enseignement. Suffisamment de données canadiennes indiquent que le racisme envers les Noirs prédispose aux problèmes de santé. Les témoignages de multiples patients victimes de racisme dans le système de santé canadien ont été recueillis, et les groupes d’experts ont émis des recommandations pour nous guider. Que dira l’avenir des mesures prises par notre profession?
Remerciements
Les auteurs remercient les Drs Mark Hanson et Saleem Razack pour leur aide avec ce commentaire.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201579
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les deux auteures ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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