Il y a une dizaine d’années, Barb s’est présentée au service des urgences en raison d’un état de conscience diminué, 2 jours après son premier traitement de chimiothérapie pour un esthésioneuroblastome, une forme rare de cancer s’étant formé dans sa cavité nasale.
Barb, une mère de 52 ans, était mariée à Pete depuis 28 ans et ils avaient 3 enfants. Ils vivaient à Calgary.
Un an auparavant, Barb s’était présentée au service des urgences avec une hémorragie nasale et un antécédent de congestion nasale perdurant depuis 2 mois. Pendant les 10 mois qui ont suivi, elle a été traitée pour une rhinosinusite par des fournisseurs de soins de santé complémentaires et au cours du dixième mois, pour une dépression par son médecin de famille, qui avait orienté Barb vers un chirurgien oto-rhino-laryngologiste. Au cours de cette période, son état s’est détérioré.
Environ 1 mois avant sa dernière consultation au service des urgences, une tomodensitométrie, prise alors qu’elle était dans ce service, a révélé une imposante tumeur dans ses sinus, envahissant les lobes frontaux de son cerveau. Elle a été hospitalisée et après une biopsie, elle a reçu un diagnostic d’esthésioneuroblastome.
À la suite de cette consultation, on a intubé Barb, on l’a traitée avec du mannitol et de la dexaméthasone et on l’a transférée à l’unité de soins intensifs (USI) dans l’espoir que son état s’améliore suffisamment pour recevoir une deuxième série de traitements de chimiothérapie.
Malheureusement, au cours des 6 jours qu’elle a passés à l’unité de soins intensifs, le statut neurologique de Barb s’est détérioré et elle n’a jamais repris conscience. Après une rencontre entre la famille de Barb et l’équipe de soins de santé, la décision a été prise de recadrer ses soins pour assurer son confort et sa dignité à la fin de sa vie, et de mettre en place le Programme de la rose blanche1. Sa famille à ses côtés, Barb est décédée 3 heures après avoir été extubée.
Le point de vue du mari
Tout au long du difficile parcours médical de ma femme, j’ai essayé de comprendre ce qui se passait et quel était mon rôle2.
Malheureusement, pendant 10 mois, personne n’a pris ses symptômes suffisamment au sérieux. Frustrés que les choses ne s’améliorent pas, nous avons consulté le service des urgences où une tomodensitométrie a révélé une large masse intracrânienne, 1 mois avant son décès3.
Se remémorer les 6 jours qu’elle a passés à l’unité de soins intensifs est comme regarder un film au ralenti.
Avant l’admission de Barb à l’USI, l’une des travailleuses sociales a mentionné, « À l’USI, les familles ne règlent pas les problèmes. Vous êtes sur le point de vivre les plus grosses montagnes russes de votre vie. » Cela a aidé, car l’USI m’était complètement étrangère. Lorsque nous lui avons demandé de bien vouloir résumer ce qu’ils faisaient, le Dr Stelfox, médecin de l’USI, a dit « Nous soutenons Barb — nous lui donnons une chance de se réveiller. »
Pendant les examens cliniques, le personnel infirmier répétait très fort dans son oreille « Barbara, Barbara, ouvre les yeux. » Parfois, Barb réagissait, parfois non. Je n’oublierai jamais comment ils utilisaient toujours son prénom ni les montagnes russes d’émotions qui surgissaient selon ses réactions. Tanya, son infirmière, a soutenu Barb en lui faisant jouer de la musique pendant les 2 derniers jours de sa vie; son rythme cardiaque a chuté de 25 % et j’ai senti qu’elle était apaisée.
J’ai continué à espérer que la santé de Barb s’améliore. Je n’ai pas réalisé la gravité de son état jusqu’à la rencontre entre notre famille et l’équipe de soins de santé, où son oncologue a dit « Je suis désolé. »
Nous avions tous les larmes aux yeux. Nous avons discuté de la haute probabilité de dommages au cerveau et nous avons décidé de retirer l’assistance cardiorespiratoire.
Alors que je passais de l’espoir que sa santé s’améliore à la réalisation soudaine qu’elle allait mourir, mon rôle a changé : je suis passé de celui qui essayait de comprendre ce qui se passe à celui qui était présent pour sa famille.
Avec la fin de vie imminente, nous sommes reconnaissants à Sheri d’avoir aidé à amener l’aumônier (aussi un ami) et nos enfants à l’hôpital pour notre rencontre de famille, où je leur ai annoncé que leur mère allait mourir. Nous avons vécu des soins empreints de compassion dans les derniers moments de Barb.
Je réfléchis souvent à l’expérience médicale de Barb et à la façon dont sa tumeur s’est déguisée en sinusite, entraînant un diagnostic tardif, un pronostic sombre et son décès. Une reconnaissance beaucoup plus précoce de ses symptômes et une orientation médicale incluant une tomodensitométrie aurait peut-être aidé3.
Lorsque Barb était à l’unité de soins intensifs, je commençais à réaliser de façon subconsciente la possibilité qu’elle meure. Je ne suis pas certain qu’il aurait été mieux pour moi d’avoir eu des conversations franches et précoces avec son équipe d’USI au sujet de sa maladie. Les soins intensifs, y compris les soins en fin de vie, étaient immensément significatifs pour tout le monde, car ils étaient empreints de compassion. Ces soins m’ont aidé à découvrir ma passion, et ce, de façon tout à fait inattendue : être au service des personnes en détresse, au sein du milieu des unités de soins intensifs, dans le chagrin, le cancer et la crise. — Peter R. Oxland
Le point de vue de la travailleuse sociale
Avec le temps, j’ai appris qu’il existe un équilibre fragile dans la rencontre d’une famille en crise et l’établissement rapide d’un rapport de soutien. J’ai tout d’abord rencontré le mari de Barb, Pete, peu après l’admission de cette dernière à l’unité de soins intensifs. Je pouvais ressentir son inquiétude et son besoin d’obtenir des réponses à ses questions. Pour atténuer sa détresse, j’ai commencé par des renseignements simples pour l’aider à se retrouver dans l’unité de soins intensifs. J’en ai appris davantage sur sa famille et sur l’importance de la spiritualité dans leur vie, ce qui a éclairé mon approche afin d’offrir mon soutien de la meilleure façon qui soit.
La famille de Barb n’a eu que peu de temps pour absorber l’annonce dévastatrice d’un diagnostic de cancer avant de faire face à la difficile décision de faire la transition vers les soins palliatifs. Le don du temps, qui se serait vraisemblablement composé de conversations essentielles entre Barb et sa famille, leur a été refusé. La probabilité que sa famille souffre des complications du deuil était très réelle et leur expérience de l’unité de soins intensifs pourrait avoir des répercussions à long terme. Je voulais m’assurer qu’ils se sentent soutenus et impliqués dans les soins de Barb.
Pour des raisons d’horaire, les enfants de Barb ne pouvaient être présents à la première rencontre lorsque Pete et sa belle-mère ont appris le pronostic dévastateur de Barb. Pete a été en mesure de donner une voix à Barb. Pour respecter ses volontés, on a pris la décision de commencer la transition vers les soins de confort.
Faire la transition entre conserver l’espoir et accepter la réalité que Barb allait mourir était incroyablement accablant. Après la rencontre, la priorité de Pete s’est tournée vers ses enfants. Il m’a demandé conseil sur la manière de leur annoncer la nouvelle, à quel moment et en présence de qui. J’ai recommandé une communication transparente dans un milieu de soutien, une fois les enfants arrivés à l’hôpital. Comme le soutien spirituel et familial était important, j’ai suggéré que le pasteur de Pete et la mère de Barb soient aussi présents. J’ai communiqué avec des amis de Pete pour demander leur aide dans le transport des enfants à l’hôpital.
Il était très important que le temps qu’il restait à la famille auprès de Barb soit significatif et en harmonie avec ses volontés et leurs désirs. Les membres du personnel de l’unité de soins intensifs a fait en sorte que durant ses derniers moments, Barb soit entourée de l’amour et du réconfort de sa famille alors que sa musique préférée les enveloppait. Après avoir été témoin du lien incroyable entre les membres de la famille de Barb et leur communauté, j’étais rassurée de savoir que sa famille serait bien soutenue sur le chemin de son deuil à la sortie de l’USI. — Sheri L. Barnes
Le point de vue de l’infirmière autorisée
Je me suis occupée de plusieurs patients dans mes 15 années de carrière comme infirmière, mais mon expérience avec Barb et sa famille se démarque définitivement.
L’expérience était tellement mémorable en raison de la sérénité du départ de Barb. Aussi dévastatrice qu’ait pu être sa mort, elle s’est déroulée de la façon la plus idéale qu’elle puisse l’être. Je me souviens de la musique de yoga qui jouait en arrière-plan, Barb entourée des personnes qu’elle aimait le plus : Pete, son mari dévoué; leurs 3 enfants; sa mère; l’aumônier.
Avant que la décision soit prise de procéder à la transition vers les soins palliatifs, j’ai soutenu Pete en écoutant les nouvelles dévastatrices qu’il recevait — l’examen des images de tomodensitométrie, les affirmations que cette femme, son épouse et sa partenaire de vie, ne s’éveillerait plus jamais.
J’ai toujours souhaité que, comme équipe médicale, nous puissions en faire davantage. Que des miracles puissent se produire. Pourquoi des choses aussi affreuses peuvent-elles arriver à de bonnes personnes à un si jeune âge? Parfois, cela ne fait aucun sens; ce n’est pas juste. Des expériences comme celles-là ont influencé ma décision de voyager quand j’étais jeune, car je ne savais pas si j’en aurais l’occasion plus tard.
Je suis partie cette journée-là et je suis allée directement à un cours de yoga. Je me suis mise à pleurer au milieu du cours parce que j’étais capable de faire quelque chose que Barb ne serait plus jamais en mesure de faire — quelque chose dont j’étais certaine qu’elle et sa famille souhaiteraient qu’elle puisse faire de nouveau.
Mes expériences avec des patients comme Barb font de moi une personne plus reconnaissante et consciente de ce que je possède et de ce que je peux faire. À la fin de chaque journée à l’unité de soins intensifs, mon objectif est d’essayer de faire le mieux de ce qui est habituellement l’un des pires moments dans la vie de quelqu’un. C’est un privilège d’en faire partie. — Tanya L. Cottrell
Le point de vue du médecin
Je me souviens encore du jour où j’ai rencontré Pete Oxland. Des années plus tard, je reviens sur la manière dont cette rencontre a changé ma façon de pratiquer la médecine et de poursuivre mes recherches.
Pete, les yeux brillants et énergique, attendait à l’extérieur de la chambre de sa femme. Barb avait été admise à l’unité de soins intensifs au cours de la nuit. La fin de ses jours approchait. Sheri, notre travailleuse sociale, m’a parlé de ses enfants adolescents. Tanya, son infirmière soignante, m’a présenté à Pete. Je savais que ce serait difficile.
Pete s’est joint à nos réévaluations quotidiennes. Il écoutait, prenait des notes, posait des questions réfléchies et exprimait son espoir que Barb prenne du mieux. J’ai essayé d’être franc et bienveillant. Je savais que Barb allait mourir, mais je ne savais pas quand. Nos interactions ressemblaient à une danse prudente entre 2 nouveaux partenaires, chacun sondant, évoluant l’autre, et y réagissant avec précaution. Nous avons dansé autour de l’enjeu de la fin de vie.
Je me demande ce que j’aurais pu faire différemment. Auraisje pu poser de meilleures questions sur les volontés de Barb? Aurais-je pu être plus franc sur le pronostic de Barb? Barb ne s’est jamais réveillée. J’étais reconnaissant que son neurochirurgien et son oncologue puissent aider notre équipe de soins intensifs à porter notre attention sur les soins palliatifs. Je me rappelle offrir mes condoléances à Pete, à ses enfants et à sa belle-mère.
Ce que je n’ai pas réalisé à ce moment-là, c’est qu’il ne s’agissait que du début de mon parcours avec Pete. Nous nous sommes rencontrés plusieurs mois plus tard pour examiner les résultats de l’autopsie. Pete était frustré que le diagnostic de Barb soit survenu trop tard pour permettre un traitement efficace. À la fin de notre rencontre, il m’a demandé comment il pourrait contribuer à l’amélioration des soins de fin de vie. J’étais stupéfait. Des pratiques axées sur les patients et les familles commençaient à être mises en place dans les unités de soins intensifs. Cependant, le concept de l’engagement citoyen en soins cliniques ou en recherche était nouveau — je n’en avais jamais fait l’expérience. Pete était déterminé à apporter sa contribution et après quelques rencontres, il est devenu un conseiller du système de soins de santé.
La décennie qui a suivi a été remplie d’apprentissages. Ensemble, nous avons réfléchi et appris sur les rôles que les conseillers des patients et des familles pouvaient jouer dans les soins et la recherche en santé. De quelle façon et à quel moment ils devraient participer. Quand leur travail devrait être bénévole et quand ils devraient être rémunérés. Pour moi, ce qui a commencé comme un apprentissage de la façon d’améliorer la prestation pleine de compassion des soins de fin de vie s’est transformé en la manière dont je pratique la médecine et conduis mes recherches. J’ai appris la valeur d’être à l’écoute des expériences vécues et de quelle façon entrer en partenariat avec le patient, la famille et les conseillers citoyens peut améliorer les soins. Merci, Barb et Pete. — Henry T. Stelfox
Consultation-360° est un nouveau type d’article à la section « Pratique » qui met en lumière certains aspects interpersonnels et systémiques des soins de santé rarement abordés dans les autres articles de cette section du JAMC. Chaque article comporte un résumé des antécédents médicaux et les réflexions personnelles de 2–4 personnes impliquées dans une même consultation clinique. Un des auteurs est toujours un patient, un membre de la famille ou un proche aidant. Les réflexions des autres auteurs (p. ex., médecins, personnel infirmier, travailleurs sociaux, diététiciennes, etc.) mettent en évidence divers points de vue représentés au cours de la consultation. Pour plus d’information, veuillez consulter https://www.cmaj.ca/submission-guidelines ou communiquer avec Victoria Saigle à l’adresse Victoria.saigle{at}cmaj.ca.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210463
Intérêts concurrents: Henry T. Stelfox déclare avoir reçu une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada et un soutien financier pour participer à une rencontre du Forum canadien des soins intensifs. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
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