Points clés
La récente approbation de l’aducanumab par la Food and Drug Administration des États-Unis a été controversée.
Les 2 essais de phase 3 sur l’aducanumab ont été cessés après une analyse intérimaire de futilité préspécifiée, et la portée clinique de leurs résultats demeure incertaine.
Les patients et les médecins s’inquiètent du caractère incertain des bienfaits de l’aducanumab, du fardeau du traitement (perfusion intraveineuse toutes les 4 semaines), de son innocuité et de son coût.
À l’heure actuelle, l’aducanumab n’est pas approuvé au Canada, mais une demande à cet effet a été adressée à Santé Canada.
Au Canada, 190 000 personnes ont une démence légère de type Alzheimer, et entre 532 000 et 799 000 vivent avec une atteinte cognitive amnésique légère1–4. La mise au point de traitements pour la maladie d’Alzheimer est complexe et les quelques agents efficaces existants ne ciblent que les symptômes. Le 7 juin 2021, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a approuvé l’aducanumab, premier nouveau traitement pour la maladie d’Alzheimer depuis 2003, une décision qui a soulevé la controverse5.
L’aducanumab est un anticorps monoclonal humain antiimmunoglobuline G1 (IgG1) qui cible sélectivement les agrégats β-amyloïdes (dont les oligomères solubles et les fibrilles insolubles) et élimine les plaques amyloïdes du cerveau par un processus phagocytaire médié par la microglie6. Biogen a commandité 2 essais randomisés de phase 3, avec témoins sous placebo et groupes parallèles, sur l’aducanumab: ENGAGE (NCT02477800) et EMERGE (NCT02484547). Les 2 essais ont recruté des patients de 50–85 ans atteints d’un trouble cognitif léger ou d’une démence légère de type Alzheimer et dont la tomographie par émission de positrons (TEP) montrait une pathologie amyloïde au cerveau. Les patients ont reçu aléatoirement une faible dose d’aducanumab, une dose élevée d’aducanumab ou un placebo pendant 18 mois. Comme on craignait que les porteurs de l’apolipoprotéine E (ApoE) epsilon 4 soient plus exposés à un risque d’anomalies amyloïdes à l’imagerie (AAI) que les non-porteurs, Biogen a stratifié les patients selon leur statut à l’égard de l’ApoE epsilon 47. Par exemple, après une période d’ajustement de 24 semaines, les porteurs de l’ApoE epsilon 4 qui ont été assignés à la dose élevée d’aducanumab recevaient 6 mg/kg et les non-porteurs, 10 mg/kg8. Toutefois, le protocole a été amendé après qu’un essai randomisé de phase 1b (terminé après le début des essais de phase 3) a établi qu’il était sécuritaire d’administrer la dose de 10 mg/kg aux porteurs de l’ApoE epsilon 4 assignés à la dose élevée d’aducanumab8.
Les études ENGAGE et EMERGE ont toutes deux été interrompues prématurément le 21 mars 2019, à la suite d’une analyse intérimaire de futilité préspécifiée, mais Biogen a réussi à convaincre les autorités en place de l’efficacité potentielle de l’aducanumab comme traitement modifiant la maladie selon des analyses post hoc, et la FDA a approuvé l’aducanumab pour les personnes atteintes d’un trouble cognitif léger ou d’une démence légère de type Alzheimer5,8. Cette approbation de l’aducanumab par la FDA allait à l’encontre de la recommandation de son propre comité consultatif indépendant sur les médicaments pour les systèmes nerveux périphérique et central, qui lui recommandait de ne pas approuver l’aducanumab en raison de l’absence d’efficacité. Certaines analyses des essais ont été réalisées en étroite collaboration avec la FDA, ce qui pourrait donner l’impression d’avoir influé sur la décision5,8.
L’approbation de l’aducanumab par la FDA a aussi été atypique en ce sens qu’elle a emprunté la voie d’approbation accélérée, réservée aux médicaments destinés à traiter des « maladies graves ou potentiellement mortelles susceptibles d’offrir un avantage thérapeutique significatif par rapport aux traitements existants quand on a démontré que l’agent en question exerce un effet sur un paramètre substitut et permet raisonnablement de prédire un bienfait clinique pour les patients alors qu’il reste une certaine incertitude à cet égard »5. Même si l’aducanumab a donné lieu à des réductions statistiquement significatives des plaques amyloïdes au cerveau en fonction du temps et de la dose comparativement au placebo lors des études EMERGE et ENGAGE, TEP et autres biomarqueurs à l’appui, le lien entre la réduction des dépôts amyloïdes et l’amélioration des paramètres cognitifs demeure incertain8,9. En outre, l’accumulation de protéines β-amyloïdes (hypothèse amyloïde) pourrait ne pas être la seule cause de la maladie d’Alzheimer, ce qui fait douter de sa pertinence comme paramètre substitut8,9.
L’utilisation d’un paramètre substitut, par opposition à des paramètres cliniques primaires et secondaires, a aussi été importante en raison de la portée clinique incertaine des paramètres mesurés dans l’essai EMERGE. Dans l’essai ENGAGE, le traitement n’a semblé donner lieu à aucune différence statistiquement ou cliniquement significative sur le plan des paramètres primaires ou secondaires. Par exemple, la différence minimale cliniquement importante (c.-à-d., le seuil à partir duquel les médecins, les patients et les chercheurs perçoivent une différence sur une échelle paramétrique) sur l’échelle d’évaluation clinique de la démence — somme des cases [Clinical Dementia Rating Scale Sum of Boxes] (paramètre principal) est de 1 à 2 points10; or, la différence des scores entre les groupes sous aducanumab à dose élevée et sous placebo était de −0,39 point (p = 0,0120) dans l’étude EMERGE8. Également, la différence minimale cliniquement importante au mini-examen de l’état mental [Mini-Mental State Exam] est de 1 à 3 points10, mais dans l’essai EMERGE, la différence entre les groupes sous aducanumab à dose élevée et sous placebo pour ce paramètre secondaire n’était que de 0,6 point (p = 0,0493)8.
Les patients canadiens aux prises avec un trouble cognitif léger ou une légère démence de type Alzheimer attendent impatiemment un médicament qui pourrait leur procurer un bienfait cliniquement significatif, mais il n’est pas certain que l’aducanumab soit ce médicament. Ils s’inquiètent à juste titre du fardeau du traitement (l’aducanumab est administré par perfusion intraveineuse toutes les 4 semaines et requiert un examen par résonnance magnétique du cerveau pour surveiller les AAI) et se questionnent sur ses possibles effets indésirables8. Les données d’innocuité regroupées des études EMERGE et ENGAGE ont montré que, comparativement au groupe sous placebo, le groupe sous aducanumab à 10 mg/kg présentait des taux plus élevés d’AAI tels œdème et épanchements (35,0 % c. 2,7 %) ou microhémorragies et dépôts d’hémosidérine (20,5 % c. 6,5 %), de céphalées (20 % c. 15 %) et de chutes (15 % c. 12 %); 10 % des patients du groupe sous aducanumab à 10 mg/kg ont présenté des AAI symptomatiques8. En outre, un plus grand nombre de patients sous aducanumab à 10 mg/kg que de patients sous placebo ont cessé leur traitement en raison d’un effet indésirable (8,8 % c. 4,1 %) découlant d’une incidence accrue d’AAI dans le groupe sous aducanumab8. Cette forte incidence d’AAI a été observée même si l’admissibilité aux essais se limitait à des patients qui prenaient 325 mg ou moins d’acide acétylsalicylique par jour (les patients qui utilisaient d’autres antiplaquettaires ou anticoagulants étaient donc exclus) et malgré l’existence d’un biais potentiel lié à la bonne santé des utilisateurs, qui fait en sorte que les participants aux essais cliniques sont en meilleure santé et, par conséquent, moins à risque d’effets indésirables que les patients candidats au traitement dans la réalité. Les patients se méfient également du coût éventuel du traitement et se demandent si l’aducanumab sera accessible à tous ceux chez qui il pourrait être indiqué. Aux États-Unis, Biogen a fixé le prix de l’aducanumab à 56 000 $ par année, mais le prix annuel équitable serait de 2500 à 8300 $11.
Les résultats des essais EMERGE et ENGAGE n’ont pas encore été publiés dans une revue révisée par des pairs. Biogen a récemment retiré un manuscrit destiné au Journal of the American Medical Association sur ses essais cliniques de phase 3 pour l’aducanumab12. À l’heure actuelle, l’aducanumab n’est pas approuvé au Canada, mais une demande à cet effet a été adressée à Santé Canada13. Sur la base des données disponibles, nous (J.A.W., B.H., S.E.S.) ne recommanderions pas, en tant que médecins et chercheurs, son approbation au Canada; R.M., un patient partenaire, se prononcera une fois que Santé Canada aura rendu sa décision.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211134
Intérêts concurrents: Roger Marple déclare avoir participé bénévolement à des comités d’AGE-WELL, de la Société Alzheimer du Canada, de la Société Alzheimer de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest, de l’Organisation mondiale de la Santé et de Dementia Advocacy Canada. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude. Jennifer Watt a rédigé la première version du manuscrit. Tous les auteurs ont fourni leurs commentaires, approuvé la version finale du manuscrit et assument l’entière responsabilité de tous les aspects de ce travail.
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