L’intégration des principes gériatriques aux soins habituels dans les unités des soins intensifs (USI) devrait faire partie des soins globaux pour toutes les personnes âgées.
La fragilité est associée de manière indépendante à un risque plus élevé de décès à l’USI et doit être analysée dès l’admission à l’aide de l’échelle de fragilité clinique en fonction de l’état clinique du patient au moins 2 semaines avant l’épisode de maladie aiguë.
Les mesures d’intervention groupées ABCDEF devraient être utilisés pour aider à prévenir et traiter le délirium chez les personnes âgées hospitalisées dans une USI.
Le syndrome post-soins intensifs s’accompagne notamment de l’apparition ou de l’aggravation de déficits cognitifs, physiques ou mentaux, qui peuvent persister après le congé de l’USI.
Les survivants âgés d’un séjour à l’USI pourraient bénéficier de services de réadaptation physique, d’un carnet de suivi pour l’USI et de l’intégration des principes gériatriques aux soins habituels post-USI.
À mesure que la population mondiale vieillit et que les progrès de la médecine permettent aux gens de maintenir une bonne qualité de vie à 80, 90 ou même 100 ans, on note une augmentation des hospitalisations d’adultes de 65 ans et plus (personnes âgées) dans les unités de soins intensifs (USI). Les personnes âgées représentent maintenant plus de 50 % des patients des USI au Canada1. À ce jour, durant la pandémie de COVID-19, 59,3 % des patients atteints de COVID-19 hospitalisés dans une USI au Canada avaient plus de 60 ans2. Les personnes qui doivent séjourner dans une USI sont jugées « gravement malades ». Les personnes âgées gravement malades constituent une population particulière qui a des besoins de soins distincts en raison des phénomènes physiologiques et pathologiques liés à l’âge. Nous passons ici en revue les pratiques thérapeutiques optimales chez les personnes âgées gravement malades, sur la base des données probantes disponibles (encadré 1). Nous discutons de l’intégration des principes gériatriques fondés sur des données probantes aux soins intensifs, de l’importance de détecter la fragilité préexistante chez les personnes âgées, des mesures pour prévenir et traiter le délirium et de l’optimisation des soins post-USI.
Interrogation de la littérature
Nous avons procédé à une interrogation ciblée et non systématique de la base MEDLINE (1946 à février 2020) à l’aide des mots clés « geriatrics » et « critical care » ou « intensive care ». La recherche a été limitée aux articles de langue anglaise. Il n’y avait aucune limite quant au type d’étude, mais nous avons privilégié les essais randomisés et contrôlés, les revues systématiques et les méta-analyses portant sur le sujet à l’étude. Les études pertinentes ont été sélectionnées et leurs listes bibliographiques ont été traitées manuellement pour recenser d’autres articles. La plupart des études étaient observationnelles.
Pourquoi et comment devrait-on intégrer les principes gériatriques fondés sur des données probantes aux soins habituels des USI?
Étant donné que les personnes âgées sont plus susceptibles de présenter des besoins médicaux et sociaux complexes, il est important d’utiliser une approche thérapeutique holistique et globale, indépendamment du milieu de soins. Le nombre croissant de personnes âgées nécessitant des soins intensifs a mené à la naissance d’un nouveau domaine : les soins intensifs gériatriques. Les gériatres sont des experts des soins aux personnes âgées fragiles, et la communauté intensiviste s’intéresse de plus en plus à l’adoption des principes gériatriques fondés sur des données probantes dans les USI3–11. Les gériatres participent déjà à des modèles de collaboration efficaces avec les orthopédistes, les cardiologues, les chirurgiens vasculaires, les traumatologistes et les oncologues, et on dispose de données probantes sur les bienfaits de ces modèles pour les patients10,12–15. Il y a toutefois un important obstacle aux modèles de soins en collaboration au Canada, soit la relative rareté des gériatres : on en compte moins de 400 au pays. Il est donc plus pratique de recourir à d’autres moyens pour intégrer les principes de l’évaluation gériatrique globale aux soins habituels à l’USI.
L’intégration des principes gériatriques aux soins habituels a été bien étudiée dans des unités de soins gériatriques de courte durée (USGCD) spécialisées pour les personnes âgées hospitalisées qui présentent un problème de santé aigu, mais qui n’ont pas besoin d’être admises aux soins intensifs. Dans une revue systématique et méta-analyse de 13 essais regroupant 6839 patients âgés en moyenne de 81 ans, l’application des principes gériatriques dans les USGCD a permis de réduire le déclin fonctionnel iatrogène, les chutes, le délirium, la durée du séjour hospitalier, les coûts et les transferts vers des établissements de soins de longue durée16. Le tableau 1 résume les interventions en plusieurs volets généralement utilisées dans les USGCD. Les modèles de soins en collaboration visant le développement des capacités et l’approfondissement des compétences gériatriques du personnel des USI, de même que les stratégies novatrices comme les évaluations gériatriques brèves à partir des dossiers médicaux électroniques25, sont des domaines prometteurs pour la recherche à venir.
Les soins globaux restent incomplets si l’on ne tient pas compte du milieu de vie des patients. Les gériatres utilisent une approche biopsychosociale pour planifier les soins. Même si les données actuelles sont de qualité très faible à modérée, les lignes directrices sont favorables à une participation plus grande des familles à l’USI (présence, soutien, communication)26. On peut trouver en ligne des ressources sur les soins centrés sur la famille (https://www.sccm.org/Research/Guidelines/Guidelines/Family-Centered-Care-in-the-ICU).
Pourquoi tenir compte de la fragilité préexistante des personnes âgées gravement malades?
La prévalence de la fragilité chez les patients âgés hospitalisés dans les USI est d’environ 30 %, selon les résultats regroupés de 6 études observationnelles prospectives27. La fragilité est un état de déclin des capacités physiologiques, fonctionnelles et cognitives qui aggrave la vulnérabilité à de nouveaux stresseurs médicaux28. On croit qu’elle découle de l’interaction des comorbidités et des facteurs génétiques et environnementaux29, et au stade intermédiaire, elle pourrait être en partie réversible30. La fragilité ne fait pas nécessairement partie du vieillissement, même si l’âge est un facteur de risque à cet égard, en plus d’être un facteur de risque indépendant de complications31.
À l’USI, il convient de vérifier la fragilité dans le cadre d’une évaluation globale pour mieux comprendre le risque de complications chez un patient et guider les discussions sur les objectifs des soins29,32–35. Dans une étude de cohorte multicentrique prospective sur 610 patients de plus de 80 ans au Canada, on a découvert que la fragilité était un prédicteur indépendant de complications à long terme des suites d’un séjour dans une USI plus significatif que l’âge, la gravité de la maladie et les comorbidités36. Une méta-analyse de 2017 regroupant 10 études de cohorte prospectives de qualité modérée (score de Newcastle-Ottawa moyen 6,5) a révélé que la fragilité préhospitalière était associée à une hausse de la mortalité hospitalière (risque relatif [RR] 1,71, intervalle de confiance [IC] à 95 % 1,43–2,05) et de la mortalité à long terme (RR 1,53, IC à 95 % 1,40–1,68), indépendamment de l’âge ou de la gravité de la maladie27. Plusieurs études ont signalé une augmentation de la mortalité à chaque point additionnel à l’échelle de fragilité clinique (EFC)27,33,37,38, particulièrement chez les individus présentant une grande ou une très grande fragilité (EFC ≥ 7)31,38. Comprendre l’incidence de la fragilité sur le pronostic à l’USI fait que l’on s’intéresse moins à l’âge du patient et plus à son état clinique global et à sa trajectoire avant son admission à l’USI.
En ce qui concerne la morbidité post-USI, les patients fragiles qui survivent à un épisode de maladie aiguë présentent un déclin du fonctionnement physique et un taux de placement en établissement de soins de longue durée plus importants que les personnes âgées qui ne sont pas fragiles27,37,39,40. Une étude longitudinale prospective de 15 ans sur 754 adultes de plus de 70 ans vivant dans la communauté a révélé que les patients en état de préfragilité (présence de 1 ou 2 critères de fragilité selon le modèle phénotypique de Fried) ou de fragilité (3 critères ou plus) n’avaient pas retrouvé leur fonctionnement physique de départ après 6 mois39. Par contre, ils présentaient une amélioration par rapport à leur fonctionnement 1 mois après leur congé de l’USI, alors que l’atteinte était à son maximum39. En comparaison, les personnes âgées jugées non fragiles à leur admission à l’USI avaient pratiquement retrouvé leur fonctionnement physique de départ en l’espace de 6 mois39. Les patients jugés fragiles avaient un taux de placement en établissement de soins de longue durée de 58,8 % après 6 mois39. Cette observation concorde avec celles d’une méta-analyse de 2017 selon laquelle ces patients étaient moins susceptibles de pouvoir retourner à la maison27 (RR 0,59, IC à 95 % 0,49–0,71). Lors des discussions avec les patients et les familles de leurs attentes post-USI, le fait de mentionner explicitement la fragilité les empêche de surestimer l’atteinte fonctionnelle chez ceux qui ne sont pas fragiles, ou de la sous-estimer chez ceux qui sont fragiles (figure 1). On ignore par contre si les complications post-USI sont inévitables chez les patients fragiles puisqu’aucune étude n’a vérifié en quoi les changements de prise en charge durant ou après le séjour à l’USI permettent de réduire l’incidence ou de prévenir l’aggravation des complications associées à la fragilité. Il s’agit d’un domaine important pour la recherche future.
Les 2 principaux cadres conceptuels d’évaluation de la fragilité sont le modèle physiologique, ou phénotypique41, et le modèle (d’accumulation) des déficits, ou indice de fragilité28. On peut utiliser plusieurs outils inspirés de ces cadres pour mesurer la fragilité42. Chez les personnes âgées admises dans une USI, nous favorisons l’échelle de fragilité clinique présentée à la figure 2. L’EFC est en étroite corrélation avec l’indice de fragilité28 et sa validité repose sur une bonne fiabilité inter-examinateurs (κ 0,74) dans le contexte des USI43–46. Son utilisation est plus pratique chez les patients gravement malades que celle d’autres outils d’usage courant qui requièrent une évaluation de la force préhensile ou de la mobilité, par exemple41,47. Pour éviter de surévaluer le score à l’EFC en se fiant à l’état d’un patient gravement malade à l’USI, l’examen devrait se fonder sur l’état clinique au moins 2 semaines avant l’admission48. Si on dispose de renseignements insuffisants de la part du patient ou de ses proches pour effectuer cette évaluation, on peut trouver des informations collatérales auprès d’intervenants communautaires, comme les préposés aux services de soutien, les pharmaciens, les médecins de famille et les coordonnateurs de soins communautaires locaux. On encourage les médecins qui connaissent peu l’EFC à se renseigner sur son utilisation appropriée pour assurer la fiabilité des résultats48,49.
Pourquoi est-il important de reconnaître le délirium?
Le délirium est un trouble fréquent, mais sous diagnostiqué, dans les USI, avec une prévalence allant de 20 % à 84 % selon la gravité de la maladie et la méthode diagnostique utilisée50–55. Il se définit par une altération abrupte et variable de l’attention et de l’état de conscience, et il s’accompagne de dysfonctions cognitives (perte de mémoire, désorientation, propos décousus, dérèglement des aptitudes ou de la perception visuospatiales)56.
Une méta-analyse de 2015 a révélé que le délirium à l’USI est associé à une mortalité accrue (RR 2,19, IC à 95 % 1,78–2,70) — une observation qui persistait même après une métarégression pour tenir compte de l’âge, de la proportion de participants de sexe féminin et des scores APACHE II (Acute Physiology and Chronic Health Evaluation II) —, de même qu’à une durée prolongée de la ventilation mécanique (différence moyenne [DM] 1,79 jour de plus), du séjour à l’USI (DM 33 heures de plus) et du séjour hospitalier (DM 23,3 heures de plus) et à une atteinte cognitive persistant 3 et 12 mois après le congé, comparativement aux patients qui ne présentaient pas de délirium51.
Les facteurs de risque de délirium à l’USI sont multiples : utilisation de benzodiazépines, transfusions sanguines, âge avancé, antécédents de démence, antécédents de coma, scores APACHE II et de l’American Society of Anesthesiology élevés et chirurgie urgente ou traumatisme avant le séjour à l’USI57. Parmi ces éléments, les benzodiazépines sont un facteur potentiellement modifiable58,59; cette classe de médicaments est à éviter à moins d’indications précises pour un problème de santé précis, comme un sevrage aigu d’alcool.
Comment peut-on prévenir et gérer le délirium?
Étant donné que le délirium passe souvent inaperçu, il est important de savoir mieux le reconnaître. Les lignes directrices de pratique clinique PADIS (Pain, Agitation/Sedation, Delirium, Immobility and Sleep Disruption) de 2018 recommandent le dépistage du délirium au moyen d’un outil valide57, comme les outils CAMICU (Confusion Assessment method for the ICU)60 et ICDSC (Intensive Care Delirium Screening Checklist)61. L’ICDSC a une sensibilité de 99 % et une spécificité de 64 %61, et la CAM-ICU a une sensibilité de 75,5 % et une spécificité de 95,8 %60.
Les interventions non pharmacologiques forment la base de la prévention du délirium à l’USI. Une méta-analyse de 9 études a révélé que les bouchons d’oreille réduisaient l’incidence du délirium (RR 0,59, IC à 95 % 0,44–0,78)62, ce qui en fait une intervention envisageable, inoffensive et peu coûteuse. Plusieurs petits essais randomisés et contrôlés (ERC) d’une généralisabilité limitée se sont penchés sur d’autres interventions uniques et ont obtenu des résultats négatifs; ces interventions comprenaient la thérapie cognitive63, la réorientation induite par une voix familière64 et la luminothérapie65.
Les données sont plus solides avec les interventions multiples24,66–68, ce qui indique que le délirium est un problème multifactoriel. Les lignes directrices PADIS font état d’un rapport de cotes (RC) de 0,59 (IC à 95 % 0,39–0,88) pour la baisse de l’incidence du délirium lors de l’utilisation de mesures d’intervention groupées57. Les mesures groupées ABCDEF constituent un cadre opérationnalisé de ces lignes directrices; leurs éléments incluent : gestion de la douleur, essai d’éveil spontané, choix d’analgésie et de sédation, surveillance et gestion des épisodes de délirium, mobilisation hâtive et implication de la famille24. Les principes qui sous-tendent les mesures ABCDEF recoupent la démédicalisation et les principes centrés sur le patient de multiples interventions déjà utilisées dans les USGCD (résumées au tableau 1). Dans une volumineuse étude de cohorte multicentrique prospective sur plus de 15 000 patients, l’utilisation des interventions groupées a donné lieu à une réduction proportionnelle à la dose de l’incidence du délirium (RC 0,60, IC à 95 % 0,49–0,72), du coma, du recours aux contentions, des réadmissions à l’USI et des réadmissions et de la mortalité à l’hôpital24. Les futures études devraient s’attarder à des stratégies de mise en œuvre et d’application des connaissances; des ressources pour la mise en œuvre sont disponibles en ligne (www.icudelirium.org/medical-professionals/overview).
Les antipsychotiques sont déconseillés pour prévenir les épisodes de délirium57, une méta-analyse Cochrane50 et un vaste ERC subséquent sur plus de 1700 patients n’ayant montré aucun avantage par rapport au placebo69. Chez les patients qui ont besoin d’une sédation pour d’autres indications et qui présentent un risque élevé de délirium, on peut envisager plutôt la dexmédétomidine. Même si les lignes directrices PADIS déconseillent l’utilisation de la dexmédétomidine pour la prévention du délirium57, 2 revues systématiques et métaanalyses récentes suggèrent qu’elle est associée à une baisse de l’incidence de ce trouble70,71.
La plupart des données appuyant l’utilisation de mesures groupées concernent la prévention du délirium, mais ces mesures sont aussi recommandées pour le traitement étant donné que leurs avantages potentiels en surclassent les risques24,57. Les antipsychotiques ne sont pas efficaces, comme l’a montré l’ERC multicentrique MIND USA (Modifying the Impact of ICU-Associated Neurological Dysfunction-USA) mené sur 1789 patients : il n’y a eu aucune différence d’effet entre l’halopéridol, la ziprasidone et le placebo pour ce qui est de la durée des épisodes de délirium54. Les lignes directrices PADIS appuient l’utilisation de la dexmédétomidine lorsque l’agitation associée au délirium empêche le sevrage ou l’extubation57, selon un seul ERC de faible qualité72. L’efficacité de la dexmédétomidine pour le délirium sans agitation reste incertaine, et on suggère une réduction des doses chez les sujets de plus de 65 ans, en raison des taux élevés de bradycardie et d’hypotension73.
Lorsque les symptômes de délirium, comme les hallucinations, l’anxiété ou l’agitation, nuisent à la santé psychologique ou physique des patients ou posent un risque pour la santé des travailleurs de la santé, un antipsychotique pourrait être nécessaire. Le cas échéant, il est préférable de suivre le principe gériatrique qui consiste à « y aller petit à petit » et à en prescrire un à court terme et au besoin pour éviter son utilisation involontaire après le départ de l’USI ou de l’hôpital. Une étude de cohorte observationnelle prospective a révélé que 24 % des patients traités pour délirium au moyen d’un antipsychotique atypique avaient reçu leur congé de l’hôpital avec ce médicament74. La remise d’une telle ordonnance au moment du congé résulte probablement de l’inertie et peut entraîner l’utilisation prolongée du médicament.
Quelles complications post-USI les médecins devraient-ils prévoir chez les personnes âgées qui survivent à un épisode de maladie grave?
Grâce aux progrès médicaux et technologiques, la mortalité associée aux séjours à l’USI a diminué et la plupart des personnes âgées survivent désormais à une maladie grave. Parmi les survivants d’un séjour à l’USI âgés de plus de 80 ans, les taux de mortalité à long terme à 1, 2 et 3 ans après le congé hospitalier sont comparables à ceux de la population générale assortie selon l’âge et le sexe75. Une étude prospective sur 3920 patients âgés en moyenne de 84 ans provenant de 22 pays a révélé un taux de survie de 72,5 % après un séjour à l’USI, et un taux de survie de 61,2 % à 30 jours34. Par contre, survivre à un épisode de maladie grave peut s’accompagner d’une morbidité et d’un déclin fonctionnel à long terme associés au séjour à l’USI, 2 issues importantes à prévoir et à gérer de manière proactive après le séjour.
On ne connaît pas bien la prévalence du syndrome post-soins intensifs (SPSI) chez les adultes, mais il affecterait de 25 % à 55 % ou plus des survivants d’un séjour à l’USI76,77. Le syndrome englobe un groupe hétérogène d’atteintes cognitives, physiques ou mentales nouvelles ou exacerbées78 (figure 3), qui peuvent inclure le trouble de stress post-traumatique (TSPT) (44 % à 6 mois)79, un déclin des activités instrumentales de la vie quotidienne80, la dépression (34 % à 6 mois81) et une atteinte cognitive (34 % à 12 mois82). Étant donné l’éventail des atteintes, les patients qui présentent un SPSI pourraient avoir besoin d’un niveau supérieur de soins ou de soutien par un aidant naturel après le congé hospitalier. Le SPSI — famille, un groupe similaire de complications observées chez les proches de survivants d’un séjour à l’USI, inclut le TSPT, nouveau ou exacerbé, la dépression et une situation de deuil ou d’anxiété compliquée83.
La gestion du SPSI après le congé est un domaine où les connaissances progressent. Pour la plupart des patients qui reçoivent leur congé de l’hôpital, le suivi et la réadaptation par des spécialistes font défaut, la polypharmacie est courante et les soins sont fragmentés84. Plusieurs revues systématiques se sont penchées sur diverses interventions de suivi post-USI85–88, mais leurs résultats sont difficiles à interpréter étant donné la faible certitude des données et l’hétérogénéité des populations, des interventions, des contextes (hospitalier et extra-hospitalier) et des paramètres mesurés. Nous avons trouvé 5 études contrôlées au cours desquelles le groupe soumis à l’intervention était en moyenne âgé de plus de 65 ans89–93. Aucune étude n’a fourni d’analyses de sous-groupes selon le degré de fragilité, une limite majeure compte tenu que la fragilité préexistante influence substantiellement l’issue. D’autres études sur la gestion, après le congé, des personnes âgées ayant survécu à un séjour à l’USI sont requises, avec une stratification a priori des sous-groupes selon le degré de fragilité. Malgré ces limites, certaines observations peuvent s’appliquer à ces personnes.
Une grande étude de cohorte basée dans la population à Taiwan regroupant plus de 15 000 survivants d’une septicémie âgés en moyenne de 69,4 ans a révélé que la réadaptation physique dans les 90 jours suivant le congé de l’USI a donné lieu à une baisse de 8 % de la mortalité à un an (risque relatif [RR] 0,92, IC à 95 % 0,88–0,96) et à une réduction de 5,6 % de la mortalité à 10 ans (RR 0,94, IC à 95 % 0,92–0,97)90. La mortalité a diminué proportionnellement au nombre de séances de réadaptation dont les participants ont bénéficié90. Une récente revue systématique de 16 ERC et de 10 études observationnelles sur des adultes ayant survécu à un séjour à l’USI a également révélé le bienfait de la physiothérapie. On y a observé que les interventions axées sur les capacités physiques amélioraient la dépression et la qualité de vie liée à la santé mentale85. À noter qu’il semble que les avantages soient moindres si la population n’est pas correctement ciblée, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi certaines études sur la réadaptation n’ont pas conclu aux mêmes bienfaits dans d’autres populations94–96. Par exemple, l’étude de Taiwan a montré qu’il n’y avait aucun avantage sur la survie chez les patients dont le séjour à l’USI ou la durée de la ventilation mécanique était de moins de 7 jours, ou chez ceux qui présentaient moins de comorbidités (indice de comorbidité de Charlson ≤ 2)90. Cela laisse entendre que les patients les plus susceptibles de bénéficier d’une réadaptation physique sont ceux qui sont moins bien au départ ou qui ont une maladie grave prolongée et qui, par conséquent, courent un risque accru de fonte musculaire et de déconditionnement. Déterminer quelles interventions fonctionnent, pour qui, et dans quelles conditions aidera les équipes soignantes à éviter la sur- et la sous-utilisation des ressources pour les soins post-USI centrés sur le patient. Une synthèse réaliste (qui utilise une approche systématique pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent les résultats d’une intervention) des mesures post-USI est en cours et orientera, nous l’espérons, la voie à suivre en matière de soins post-USI97.
D’autres interventions potentiellement efficaces chez les personnes âgées comprennent le recours à un carnet de suivi d’USI92 et l’intégration des principes de l’USGCD aux soins post-USI89. Un carnet de suivi permet à la famille et à l’équipe soignante de prendre des notes durant le séjour d’un patient à l’USI afin d’éviter les oublis92. Dans la population générale des USI, selon 2 revues systématiques, un tel carnet a été associé à un risque moindre de dépression et à une meilleure qualité de vie98,99. Les principes des SGCD se sont montrés prometteurs dans un petit ERC en France qui, malgré sa puissance statistique insuffisante, a révélé une tendance à l’amélioration de l’autonomie fonctionnelle lorsque les personnes âgées étaient admises à une unité gériatrique appliquant les principes de l’USGCD après le congé de l’USI, comparativement aux soins habituels d’un service de médecine89. Beaucoup de politiques hospitalières appuient déjà l’intégration des principes gériatriques dans les soins habituels pour tous les patients âgés sous la forme d’initiatives de soins adaptés à l’âge100–103. L’intégration des principes de SGCD résumés au tableau 1 peut être envisagée pour les survivants d’un séjour à l’USI admis dans un service de médecine ou de chirurgie afin de prévenir le déclin iatrogène des capacités. On dispose de plusieurs études sur les innovations systématiques et technologiques qui facilitent l’application des principes de SGCD104–107.
Durant un séjour hospitalier ou peu après le congé, une demande de consultation en gériatrie pour une atteinte cognitive, en psychiatrie gériatrique pour des problèmes de santé mentale et en physiatrie pour l’optimisation du fonctionnement physique pourrait se révéler utile en présence de certains éléments spécifiques du SPSI, même si les stratégies de demandes de consultation n’ont pas été directement étudiées. D’autres stratégies de prise en charge post-congé, telles que des services infirmiers de suivi post-USI seraient inefficaces selon les données actuelles86,87.
Conclusion
Les conseils sur la meilleure façon de soigner les personnes âgées gravement malades sont limités en raison d’un manque d’ERC portant spécifiquement sur cette population et d’études qui stratifient les résultats selon le degré de fragilité. Malgré ces limites, nous avons recensé certaines options pour améliorer les soins, y compris l’évaluation de la fragilité préexistante comme outil pronostique dans les USI, l’utilisation d’interventions non pharmacologiques multiples pour prévenir et traiter les épisodes de délirium, l’intégration des principes gériatriques aux soins de routine à l’USI et la prise en compte de la forte prévalence des atteintes cognitives, physiques et mentales consécutives à un séjour dans une USI. La participation des gériatres, qui sont des experts de la fragilité, de l’atteinte cognitive et des soins aux personnes âgées, pourrait aider les intensivistes et les hospitalistes à se concentrer sur la nature aiguë des soins intensifs et postintensifs, et à répondre aux besoins particuliers des personnes âgées. La recherche future devra porter entre autres sur les modèles de soins gériatriques en collaboration dans les USI, l’application des principes gériatriques pendant la période post-USI et l’évaluation de la fragilité péri-USI afin de créer et d’appliquer des plans de traitement individualisés et adaptés à la trajectoire médicale globale des patients (encadré 2).
Questions sans réponse
Quelles autres interventions durant ou après une admission à l’unité des soins intensifs (USI) permettent de prévenir l’incidence ou l’aggravation de la fragilité?
Comment la fragilité influence-t-elle la réussite des interventions utilisées pour gérer le syndrome post-soins intensifs?
Les modèles de soins en collaboration qui utilisent les principes gériatriques sont-ils efficaces pour la prise en charge des personnes âgées gravement malades durant ou après un séjour à l’USI, et quels éléments sont nécessaires à leur succès?
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210652
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Olivia Geen et Mimi Wang ont contribué à la conception et à la modélisation du travail. Olivia Geen a contribué à l’acquisition des données. Tous les auteurs ont participé à l’analyse et à l’interprétation des données. Olivia Geen a rédigé le manuscrit. Bram Rochwerg et Mimi Wang l’ont révisé de façon critique pour tout contenu intellectuel important. Tous les auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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