La pneumonie persistante se définit par l’absence d’amélioration clinique, l’aggravation clinique ou l’absence de résolution radiographique dans les 12 semaines qui suivent une antibiothérapie adéquate.
La pneumonie lipoïde exogène est une rare cause de pneumonie persistante, mais doit faire partie du diagnostic différentiel.
Une anamnèse approfondie incluant les expositions possibles, y compris l’inhalation ou l’aspiration de substances huileuses, aide à poser le diagnostic de pneumonie lipoïde exogène.
Le traitement des surinfections bactériennes par antibiothérapie pourrait apporter un soulagement temporaire des symptômes.
Un homme de 30 ans s’est présenté à notre service d’urgence pour une douleur thoracique au côté gauche. Il a rapporté les antécédents médicaux étaient les suivants : un syndrome du côlon irritable, des sinusites à répétition et symptômes persistants de sécheresse de la bouche depuis une amygdalectomie survenue dans le passé. Il a aussi fait mention d’une perte de poids de 5 kg au cours de l’année précédente, qu’il a attribuée à une modification de son alimentation. Le patient est originaire de la Pologne, mais a vécu et étudié à Toronto la majorité des 2 dernières années. Il n’avait jamais fumé, consommait rarement de l’alcool et n’utilisait ni drogues récréatives ni cigarette électronique. Environ 2 semaines avant la consultation, il avait reçu en Pologne un diagnostic de pneumonie sur la base des résultats d’une radiographie et d’une tomodensitométrie (TDM) thoraciques. Il avait alors pris de la clarithromycine pendant 14 jours; un échocardiogramme avait également révélé un léger épanchement péricardique.
Les symptômes persistants de douleur thoracique et de dyspnée du patient ont mené à plusieurs consultations aux urgences et hospitalisations d’août à novembre 2020 (figure 1). À l’origine, compte tenu de l’emplacement et de la nature pleurétique de la douleur thoracique, on avait diagnostiqué une péricardite présumément secondaire à une pneumonie; le patient avait été traité par l’administration d’ibuprofène à dose élevée et de colchicine. En raison de la persistance des symptômes, le patient a subi plusieurs radiographies et TDM thoraciques. Ces examens ont permis d’écarter l’embolie pulmonaire, mais ils ont montré des zones de consolidation, des nodules et des opacités en verre dépoli bilatéraux persistants dans les lobes moyen et inférieur droits et le lobe inférieur gauche, sans évolution dans le temps (figure 2 et figure 3).
Avant sa première admission à notre hôpital, on lui avait prescrit de l’amoxicilline pendant 7 jours pour une pneumonie persistante. Nous avons reçu par la suite les résultats d’une bronchoscopie avec lavage bronchoalvéolaire effectuée en Pologne, qui montrait la présence de Pseudomonas aeruginosa et Serratia marcescens. Nous avons donc élargi la couverture antibiotique par l’administration de ciprofloxacine pendant 14 jours, ce qui a atténué la dyspnée sans modifier la douleur thoracique. Au cours des diverses consultations, la température la plus élevée enregistrée chez le patient était de 39,6 °C; il avait une fréquence respiratoire de 28 respirations/minute et n’a eu besoin d’oxygénothérapie à aucun moment. Sa fièvre et sa tachypnée se sont résorbées avant son congé. Ses analyses sanguines étaient sans particularités, à l’exception d’une légère anémie normocytaire; les tests de détection d’auto-anticorps associés au syndrome de Sjögren et à d’autres maladies du tissu conjonctif se sont avérés négatifs.
Nous avons répété la bronchoscopie avec lavage bronchoalvéolaire, qui a montré des sécrétions mucoïdes jaunes dans le poumon droit. L’examen cytopathologique était normal, et les cultures n’ont révélé qu’une flore commensale, sans signe d’autres bactéries, bacilles acidorésistants, champignons ou virus, y compris le SRAS-CoV-2. Nous avons aussi envisagé la possibilité d’une maladie du tissu conjonctif lors du diagnostic différentiel, mais tous les tests de détection de maladies auto-immunes ont été négatifs. Après discussion de l’équipe multidisciplinaire, le patient a subi une biopsie pulmonaire transthoracique guidée par TDM avant d’obtenir son congé. Une semaine plus tard, il est revenu aux urgences avec une fièvre récurrente et une nouvelle opacité irrégulière au lobe inférieur gauche, que nous avons traitées au moyen d’un cycle d’amoxicilline et d’acide clavulanique de 6 semaines. Des épreuves de fonction pulmonaire effectuées 4 semaines après la biopsie pulmonaire ont montré une légère restriction (capacité pulmonaire totale : 79 % de la valeur prévue; capacité vitale forcée : 58 % de la valeur prévue; capacité de diffusion: 83 % de la valeur prévue).
Les résultats anatomopathologiques de la biopsie pulmonaire ont révélé la présence d’une substance acellulaire amorphe associée à une réaction des cellules géantes à un corps étranger, mais il a été impossible d’approfondir l’identification (figure 4). Des tests de coloration subséquents ont permis d’exclure les dépôts amyloïdes, la mucine, le calcium, les champignons et les bacilles acidorésistants. Cela nous a incités à recueillir des antécédents détaillés sur l’exposition environnementale à des liquides de vapotage, à la silice, à l’amiante, au talc et à de nombreuses autres substances organiques et inorganiques. Le patient a dit n’avoir été exposé à aucune de ces substances. Il a par contre indiqué que depuis 12 ans, il se rince la bouche avec de l’huile de lin (sans l’avaler) pour soulager des symptômes de sécheresse buccale qu’il éprouve depuis son amygdalectomie. Récemment, il a remarqué qu’il toussait après le rinçage; il a aussi dit utiliser depuis 2 ans un décongestionnant intranasal naturel à base d’huile de sésame pour soulager ses sinusites. Compte tenu du type d’exposition et de sa corrélation avec les résultats anatomopathologiques, nous avons diagnostiqué une pneumonie lipoïde exogène et conseillé au patient de cesser la prise d’antibiotiques et l’utilisation des produits à base d’huile. Lorsque nous l’avons réexaminé 3 mois plus tard, il disait se sentir mieux et moins fatigué, mais éprouver encore de la dyspnée à l’effort. Les épreuves de fonction pulmonaire ont montré des améliorations de ses volumes pulmonaires, avec une capacité pulmonaire de 6,88 L (86 % de la valeur prévue), une capacité vitale forcée de 4,31 L (70 % de la valeur prévue) et une capacité de diffusion de 87 % de la valeur prévue.
Discussion
Nous présentons le cas d’un homme de 30 ans présentant une pneumonie persistante. Exception faite des résultats à la radiographie, ses analyses sanguines et son examen physique étaient essentiellement normaux, ce qui posait un problème diagnostique et compliquait l’évaluation de sa réponse au traitement. Nous avons d’abord soupçonné une pneumonie bactérienne à P. aeruginosa et S. marcescens traitée de manière insuffisante et ne répondant pas à la clarithromycine et à l’amoxicilline. Toutefois, un traitement subséquent à la ciprofloxacine aurait dû fournir une couverture adéquate pour ces agents pathogènes en supposant des profils de sensibilité favorables. La présence de P. aeruginosa et de S. marcescens mis en culture après la bronchoscopie en Pologne est surprenante, puisqu’il s’agit généralement d’infections respiratoires nosocomiales1,2.
Le patient ne présentait pas de facteurs de risque de pneumonie extrahospitalière à P. aeruginosa ou à d’autres bactéries Gram négatif, par exemple une pneumopathie ou des antécédents d’hospitalisation, d’antibiothérapie3 ou de corticothérapie orale. La pneumonie persistante se définit par l’absence d’amélioration clinique, l’aggravation clinique ou l’absence de résolution à la radiographie dans les 12 semaines qui suivent une antibiothérapie adéquate pour une infection pulmonaire accompagnée d’infiltrats4. Dans les cas de pneumonie à résolution lente, les caractéristiques typiques des patients incluent l’âge avancé, le tabagisme, la maladie chronique, la bactériémie, une pneumonie multilobaire et une fièvre ou une leucocytose persistantes5. Notre patient, un jeune non-fumeur, relativement en bonne santé, ne présentait aucun de ces facteurs de risque lorsqu’il a initialement été traité pour une pneumonie extrahospitalière. La durée de sa pneumonie persistante avait de quoi surprendre et exigeait une investigation plus approfondie pour trouver d’autres causes.
Le diagnostic différentiel de la pneumonie persistante inclut des infections difficiles à traiter, de même que des étiologies non infectieuses, par exemple des maladies inflammatoires ou néoplasiques (encadré 1)5,6. Étant donné que le patient ne présentait aucun signe de maladie extrapulmonaire et n’avait aucun antécédent de mucoviscidose ou d’asthme, qu’il n’était pas atteint d’éosinophilie périphérique ou de leucocytose et qu’il n’avait aucun antécédent d’exposition à des agents pouvant induire une pneumonie, plusieurs de ces diagnostics étaient peu probables.
Diagnostic différentiel de la pneumonie persistante5,6
Causes infectieuses
Pneumonie bactérienne traitée de manière insuffisante
Agent pathogène résistant ou virulent
Bactéries inhabituelles (Mycobacterium tuberculosis, mycobactéries atypiques, Nocardia, Actinomyces)
Agents non bactériens (Blastomyces, Histoplasma, Coccidioides)
Abcès
Causes non infectieuses
Pneumonie aiguë ou chronique à éosinophiles
Sarcoïdose
Pneumopathie d’hypersensibilité
Pneumonie cryptogénique organisée
Aspergillose bronchopulmonaire allergique
Granulomatose avec polyangéite
Granulomatose éosinophilique avec polyangéite
Pneumopathie d’origine médicamenteuse
Hémorragie pulmonaire
Pneumonie lipoïde exogène
Cancer
Lymphome
Cancer bronchogénique
L’anamnèse clinique approfondie est essentielle au diagnostic : si l’exposition de notre patient à des substances lipidiques avait été reconnue plus tôt, il aurait pu éviter une biopsie pulmonaire et plusieurs consultations à l’urgence et hospitalisations. La bronchoscopie peut être particulièrement utile pour établir un diagnostic spécifique chez les patients de moins de 55 ans non fumeurs atteints de pneumonie persistante qui présentent une atteinte pulmonaire multilobaire et des symptômes persistants7, ce qui était le cas de notre patient. Même si sa deuxième bronchoscopie n’a pas mené à un diagnostic, elle a permis d’écarter plusieurs causes potentielles et a confirmé l’élimination de P. aeruginosa et de S. marcescens.
La pneumonie lipoïde est à l’origine d’une pneumonie persistante dans de rares cas seulement. Elle peut être endogène (lorsqu’elle est causée par des lipides des tissus pulmonaires métabolisés par des processus obstructifs ou inflammatoires) ou exogène (lorsqu’elle est causée par l’inhalation ou l’aspiration de substances huileuses) et peut être aiguë ou chronique8. La pneumonie lipoïde exogène aiguë survient lors de l’aspiration d’une importante quantité de substance lipidique, tandis que la pneumonie lipoïde exogène chronique survient après des épisodes répétés d’aspiration ou d’inhalation8. Des cas de pneumonie lipoïde exogène associée à l’aspiration ou à l’inhalation d’huile de sésame ont déjà été rapportés9. Sur la base des antécédents d’exposition de notre patient, il est probable qu’il ait aspiré ou inhalé de l’huile de lin et de l’huile de sésame sur une longue période.
La physiopathologie de la pneumonie lipoïde exogène repose sur la présence d’une substance huileuse aspirée ou inhalée dans les alvéoles pulmonaires, où elle est prise d’assaut par les macrophages10. Les macrophages libèrent l’huile en mourant, ce qui entraîne une réaction inflammatoire granulomateuse à cellules géantes et une fibrose10. Les symptômes typiques de la pneumonie lipoïde exogène aiguë incluent la toux, la dyspnée et la fièvre; la pneumonie lipoïde exogène chronique peut être asymptomatique ou s’accompagner de toux et de dyspnée et, plus rarement, de fièvre, d’une perte de poids, de douleurs thoraciques et d’hémoptysie8. Les signes radiologiques sont variables. La pneumonie lipoïde exogène aiguë peut prendre la forme de zones de consolidation ou d’opacités en verre dépoli bilatérales lobaires aux lobes moyen et inférieur8. La tomodensitométrie peut révéler des zones de densité d’origine adipeuse (c.-à-d., petit nombre d’unités de Hounsfield), qui peuvent toutefois être masquées par un processus inflammatoire simultané8. La pneumonie lipoïde exogène chronique revêt un aspect similaire, mais est plus typiquement restreinte aux lobes inférieurs avec distribution péribronchovasculaire8. La coloration au rouge huile O peut révéler la présence de lipides à l’analyse du liquide de lavage bronchoalvéolaire10. Le traitement repose sur l’arrêt de l’exposition aux substances huileuses en cause; certains rapports de cas mentionnent qu’une corticothérapie peut aussi être utile, selon la gravité de la pneumonie. La rémission s’observe en général en l’espace de quelques semaines dans les cas légers, tandis que les cas plus graves peuvent s’accompagner de fibrose pulmonaire et de symptômes respiratoires persistants9.
Globalement, les antécédents, les symptômes et les signes radiologiques de notre patient concordaient avec une pneumonie lipoïde exogène. Il a probablement présenté en plus une surinfection bactérienne secondaire. Nous avons signalé cet effet indésirable lié à l’utilisation d’un produit commercialisé (vaporisateur intranasal à l’huile de sésame) à la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance de Santé Canada.
Conclusion
La pneumonie lipoïde exogène est une rare cause de pneumonie persistante et pourrait s’accompagner d’une infection bactérienne. Ce cas rappelle l’importance de l’anamnèse détaillée, incluant l’exposition possible à des substances lipidiques ou huileuses, particulièrement par inhalation ou application au niveau du nasopharynx ou de l’oropharynx dans le cadre des analyses diagnostiques pour une pneumonie persistante.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr Michael Cabanero, du Réseau universitaire de santé, Département de médecine de laboratoire et de pathobiologie pour l’image histopathologique de la biopsie pulmonaire et son interprétation.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210439
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été évalué par des pairs.
Les auteures ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué substantiellement à la conception et à la modélisation du manuscrit. Sabrina Yeung a rédigé la première version de l’article. Tous les auteurs en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Avis: Matthew Stanbrook est rédacteur adjoint principal du CMAJ et n’a pas participé au processus ayant mené au choix de cet article.
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