Chez les nourrissons de moins de 3 mois, une température axillaire supérieure à 37,5 °C devrait être considérée comme de la fièvre dès que la septicémie fait partie du diagnostic différentiel.
Même chez les nourrissons jugés fiévreux à la maison, mais afébriles au service des urgences, les médecins devraient s’informer de certains facteurs de risque et rechercher tout signe d’infection bactérienne grave; compte tenu de la prévalence plus élevée de l’infection chez ce groupe d’âge, il faut envisager des examens plus approfondis.
Il arrive que la numération leucocytaire et le taux de protéine C réactive soient normaux au début du processus pathologique chez un nouveau-né qui présente une infection bactérienne grave.
Les outils de décision clinique ne recommandent pas tous le même le seuil pour définir la fièvre chez le nourrisson; pour la Société canadienne de pédiatrie, les seuils se situent à plus de 38 °C de température rectale et plus de 37,5 °C de température axillaire.
Un garçonnet de 13 jours a été amené au service des urgences pédiatriques principalement parce qu’il était maussade et avait présenté des frissons pendant la nuit. Ses parents le trouvaient chaud au toucher et sa température axillaire mesurée à la maison était à 37,7 °C alors qu’il se trouvait emmailloté et à 37,5 °C quelques heures après avoir été démailloté; c’est ce qui a amené les parents à consulter. Le bébé a maintenu des boires fréquents avec une préparation pour nourrissons, quoiqu’en un volume légèrement moindre; l’élimination fécale et urinaire était adéquate (> 6 couches pleines au cours des 24 heures précédentes). Il était quelque peu somnolent, mais facile à éveiller et à consoler avec l’aide des parents.
Au triage, les signes vitaux du patient étaient à l’intérieur des limites de la normale pour l’âge, soit température rectale à 37,4 °C, fréquence respiratoire à 48 (normale 40–60) respirations/minute, saturation en oxygène à 98 % à l’air ambiant, fréquence cardiaque à 152 (normale 100–160) battements/minute et tension artérielle à 82/50 mm Hg. Son poids à l’arrivée était de 3,44 kg; alors que son poids à la naissance était de 3,25 kg. L’examen clinique s’est par ailleurs révélé sans particularités : tonus normal, temps de remplissage capillaire rapide, absence de raideur de la nuque et d’érythème, et fontanelles normales. Nous n’avons identifié aucune autre source claire d’infection à l’examen.
Ce patient était né à 38 semaines et 3 jours de gestation par voies naturelles d’un père séroprotégé, transmasculin (sexe féminin assigné à la naissance). Le parent gestationnel présentait une colonisation vaginale par le streptocoque du groupe B (SGB) et un diabète gestationnel de type 2 sous insulinothérapie. La grossesse a aussi été compliquée par une infection à chlamydia au troisième trimestre qui a été traitée par antibiothérapie non précisée et avérée résolue lors d’un test de contrôle avant la naissance. L’accouchement s’est déroulé sans complications avec une prophylaxie péripartum appropriée par pénicilline pour le SGB et la surveillance de routine de l’hypoglycémie. Le nouveau-né a reçu son congé sans problème 24 heures après l’accouchement. Nous n’avons noté aucun autre facteur de risque de septicémie néonatale active tel que rupture prolongée des membranes, méningite à SGB lors d’une naissance précédente ou fièvre du parent gestationnel.
Compte tenu de la température axillaire déclarée supérieure à 37,5 °C à la maison, nous avons procédé à une batterie de tests complète pour la septicémie, soit hémocultures, prélèvements nasopharyngés pour recherche de virus, culture d’urine et ponction lombaire avec analyse du liquide céphalorachidien (LCR). Nous avons hospitalisé le patient et l’avons traité empiriquement avec de l’ampicilline et du céfotaxime intraveineux (les deux à raison de 50 mg/kg) et de l’acyclovir (20 mg/kg) en attendant les résultats des cultures. Les résultats des analyses sont présentés au tableau 1.
Analyses de laboratoire en cas de fièvre chez un nouveau-né
Étant donné les résultats anormaux aux analyses du LCR, nous avons augmenté la dose d’antibiotiques comme s’il s’agissait d’une méningite, soit 100 mg/kg/dose pour l’ampicilline et le céfotaxime. Dix heures après l’arrivée, nous avons obtenu une température rectale de 39,0 °C. Les résultats des analyses de laboratoire se sont dégradés au cours des 24 heures suivantes jusqu’à un pic de numération leucocytaire à 18,8 × 109/L et des taux de protéine C réactive à 48,2 mg/L et de lactate veineux à 4,1 mmol/L. L’hémoculture a révélé la présence du genre Citrobacter; nous avons modifié l’antibiothérapie du patient et sommes passés au méropénème sur les conseils de notre microbiologiste. Les tests par réaction en chaîne de la polymérase sur le LCR pour le dépistage du virus de l’herpès simplex, des entérovirus et du paréchovirus ont été négatifs; par contre, les hémocultures et les cultures du LCR ont révélé la présence de Citrobacter koseri.
La fièvre de notre patient a cessé après 4 jours d’antibiothérapie. Il n’a pas présenté de convulsions et son état neurologique ne s’est pas détérioré durant son hospitalisation. L’échographie cérébrale initiale et l’imagerie par résonnance magnétique de suivi n’ont montré aucun signe d’abcès cérébral ni anomalie structurelle. Étant donné que la souche de Citrobacter isolée était sensible au céfotaxime, nous avons cessé le méropénème et recommencé le céfotaxime qui a été maintenu jusqu’à ce que l’enfant ait 1 mois; nous l’avons ensuite fait passer au ceftriaxone, plus facile à administrer, pour un total de 3 semaines de traitement. Au cours des 2 années suivantes, le patient n’a pas eu besoin d’être réhospitalisé. Le dépistage auditif post-méningite standard a donné des résultats normaux et les parents n’ont mentionné aucun problème de croissance ni retard du développement.
Discussion
La septicémie néonatale est un diagnostic gravissime dont l’incidence se situe à 1–4 par 1000 naissances vivantes aux États-Unis1. Les bactéries les plus souvent incriminées chez les nouveaunés (< 30 j.) incluent le SGB, Escherichia coli et autres bacilles Gram négatif qui seraient acquis par transmission verticale à partir des voies génito-urinaires maternelles2. Au Canada, les plus fréquents recours soumis à l’Association canadienne de protection médicale concernent un diagnostic manqué de méningite, la plupart touchant des enfants de 0–4 ans3. Citrobacter koseri est une bactérie Gram négatif universellement résistante à la pénicilline; c’est une cause rare de méningite néonatale. Le taux de mortalité chez les nouveau-nés est d’environ 30 %, alors que 70 % de ces cas présentent des abcès cérébraux et que 50 % des survivants en conservent des séquelles neurologiques à long terme4.
En ce qui concerne les nouveau-nés amenés par leurs parents parce qu’ils sont maussades, les cliniciens devraient s’informer d’une léthargie accrue, d’une modification du comportement, d’une baisse de la fréquence et du volume des mictions, d’une réduction de l’alimentation et de facteurs de risque anténataux d’infection bactérienne grave. Il faut vérifier chez le patient la présence de symptômes cliniques d’infection bactérienne grave tels que tachypnée, tachycardie, fièvre, signes de déshydratation (p. ex., retard du remplissage capillaire, léthargie), processus pathologique intracrânien (p. ex., atonie, irritabilité, pleurs inconsolables, fontanelles bombées), respiration laborieuse (p. ex., tachypnée, tirage intercostal, dodelinement de la tête) et ictère.
Les caractéristiques cliniques d’une infection bactérienne grave sont parfois subtiles et plusieurs outils de décision clinique ont été conçus pour aider les médecins à poser ce diagnostic chez les nourrissons. En général, les critères de Rochester, de Philadelphie et de Boston sont utilisés pour évaluer le risque chez les nourrissons de moins de 90 jours qui présentent une fièvre d’origine inconnue5. Depuis que ces outils décisionnels ont été validés, toutefois, le nombre d’infections bactériennes graves a diminué en raison de l’administration de vaccins additionnels de routine pour Hemophilus influenzae B et Streptococcus pneumoniæ (contre la pneumonie) et de l’application de protocoles de dépistage prénataux. De plus récents outils de décision clinique ont été conçus pour s’adapter à cette réduction de la prévalence, par exemple, une « approche par étapes » pour les nourrissons fébriles et la règle du PECARN (Pediatric Emergency Care Applied Research Network) pour les nourrissons à risque faible6,7. Ces outils récents reposent sur de nouveaux biomarqueurs de la septicémie comme la procalcitonine; par contre, actuellement, les tests pour cette dernière ne sont pas accessibles à grande échelle pour utilisation clinique.
Fait à noter, tous ces outils de décision clinique exigent qu’on ait identifié de manière appropriée un épisode fébrile avant de demander les analyses de laboratoire. Souvent, les médecins font face au dilemme de commencer des examens effractifs pour une possible infection bactérienne grave chez des nourrissons qui présentent des symptômes vagues et des températures limites mesurées à la maison autour du seuil général de 38 °C. Un défi à la mise en œuvre des outils de décision clinique concerne la mesure précise de la température. Même si la Société canadienne de pédiatrie recommande normalement une prise de température rectale, cette méthode est perçue comme effractive. Les parents utilisent davantage d’autres méthodes pour mesurer la température à la maison, par exemple à l’aisselle ou au front. Les températures axillaires sont généralement plus basses (37,5 °C) que les températures rectales (38 °C); c’est pourquoi on suggère d’utiliser des seuils moindres quand on mesure la température axillaire.
Les parents de notre patient ont fait état de températures axillaires de 37,5 °C et 37,7 °C, ce qui ne correspond pas à un épisode fébrile selon les définitions des outils de décision clinique. L’« approche par étapes » définit la fièvre comme une température rectale ou axillaire supérieure à 38,0 °C; les règles du PECARN et de Rochester établissent à plus de 38,0 °C la température rectale seuil; les critères de Philadelphie définissent la fièvre comme une température rectale de plus de 38,2 °C; et la règle de Boston l’établit à plus de 38,0 °C de température rectale ou l’« équivalent » à la maison5–7. Notre prise en charge s’est principalement inspirée de l’énoncé de position de la Société canadienne de pédiatrie sur la vérification de la température, selon lequel, et de l’avis des experts, une température axillaire supérieure à 37,5 °C constitue un épisode de fièvre8. Cette recommandation s’appuie sur la documentation qui fait état d’un seuil de fièvre inférieur pour les températures axillaires9. En outre, une analyse secondaire prospective regroupant 1233 nourrissons âgés de moins de 60 jours et ayant présenté des épisodes de fièvre à la maison (et non au service des urgences) a révélé que 8,8 % ont par la suite reçu un diagnostic d’infection bactérienne grave, d’où la recommandation de traiter ces patients comme s’ils présentaient une fièvre documentée par un professionnel de la santé au moment d’utiliser les outils de décision clinique pour la stratification du risque10.
À l’arrivée, notre patient présentait des résultats d’analyses de laboratoire normaux pour ce qui est des marqueurs d’infection courants recommandés par les outils de décision clinique, soit numération leucocytaire et taux de protéine C réactive. Une récente étude d’observation prospective sur des nourrissons fébriles âgés de moins de 90 jours a révélé que les seuils couramment utilisés pour la numération leucocytaire et la numération absolue des neutrophiles ne permettent pas d’identifier avec beaucoup de précision ceux qui sont exposés à un risque d’infection bactérienne grave11. Une recherche à grande échelle a révélé que des taux de protéine C réactive inférieurs à 20 mg/L seraient associés à un rapport de probabilité négatif de 0,25 à l’égard d’une infection invasive12. Toutefois, selon la documentation récente, ce seuil aurait une sensibilité de 77 % et une spécificité de 77 % seulement pour ce qui est des infections bactériennes invasives; en outre, il varie avec le temps, atteignant un pic dans les 36–72 heures suivant le stimulus inflammatoire ou infectieux initial13. À noter, nous n’avons pas eu accès au test de procalcitonine; l’« approche par étapes » utilise un taux de procalcitonine supérieur à 0,5 ng/mL pour établir qu’un nouveau-né est à risque élevé; et l’outil du PECARN utilise un seuil de moins de 1,71 ng/mL pour établir qu’un nourrisson est à risque faible 6,7.
Chez notre patient, le fait qu’il soit un nouveau-né (< 30 j) était le seul facteur de risque confirmé d’infection bactérienne grave selon les outils de décision clinique. Au bout du compte, l’âge du patient et la température à la maison nous ont incités à juger que ce nouveau-né était fiévreux et à demander une batterie de tests, ce qui a permis de poser un diagnostic rapidement, d’instaurer sans délai une antibiothérapie et d’éviter ainsi de potentielles complications, comme l’abcès cérébral et le choc septique. Même si la plupart des nourrissons fébriles ne souffrent pas d’une infection bactérienne, l’examen clinique et les biomarqueurs facilement accessibles ne permettent pas d’identifier de manière fiable les patients atteints d’une infection virale, qui n’ont pas besoin d’une antibiothérapie empirique7. À l’avenir, la recherche devrait prioriser les méthodes de vérification de la température à la maison couramment utilisées par les parents afin qu’elles soient intégrées sécuritairement aux outils de décision clinique, et prévenir l’utilisation abusive des antibiotiques pour une utilisation plus judicieuse chez les nouveau-nés.
Conclusion
La septicémie chez le nouveau-né et le nourrisson est un diagnostic gravissime qui comporte un risque substantiel de morbidité neurologique à long terme ou de décès. Même si plusieurs outils de décision clinique sont disponibles pour faciliter la prise en charge des nourrissons qui présentent une fièvre d’origine inconnue, le diagnostic demeure complexe lorsque les températures sont limites. Nous rapportons ici le cas d’un nouveau-né atteint de méningite qui a présenté une température axillaire maximale de 37,7 °C à domicile, peu de signes cliniques évocateurs d’une infection bactérienne grave et qui n’avait aucun facteur de risque manifeste de septicémie. L’énoncé sur la surveillance de la température de la Société canadienne de pédiatrie et la documentation faisant état de taux élevés d’infections bactériennes graves chez les nouveau-nés présentant une fièvre documentée à domicile ont été au centre de notre décision d’effectuer une batterie de tests complète pour le dépistage de la septicémie chez ce patient. Les médecins de premier recours devraient connaître les diverses modalités de vérification de la température et développer un indice élevé de suspicion à l’égard de l’infection bactérienne grave chez les nouveau-nés que l’on amène au service des urgences parce qu’ils sont maussades et font de la fièvre, peu importe sa définition, et non seulement quand elle est prise par voie rectale.
La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs : www.cmaj.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents: Jeffrey Pernica déclare avoir reçu une subvention de la société MedImmune et des honoraires du programme Canadian Paediatric Review, indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement des parents du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont substantiellement contribué à l’acquisition et à l’analyse de données. Mark Hewitt et Jennifer Klowak ont rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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