L’utilisation des trottinettes électriques a connu une forte hausse à l’échelle mondiale.
Les véhicules motorisés circulant dans les espaces physiques réservés aux piétons posent un risque pour la sécurité de ces derniers.
Considérant le transfert d’énergie substantiel associé à ce type de collision, les professionnels de la santé doivent soupçonner fortement de graves blessures potentielles lors de collisions entre des trottinettes électriques et des piétons.
Bien que les trottinettes électriques présentent des avantages, des politiques et des interventions visant à réduire la fréquence et le fardeau des blessures associés à leur utilisation sont nécessaires.
Une femme de 68 ans s’est présentée aux urgences après avoir été heurtée par une trottinette électrique se déplaçant à une vitesse d’environ 30 km/h, alors qu’elle marchait sur le trottoir. Elle s’était frappé la tête sur la chaussée et avait perdu conscience pendant 3 minutes. Aux urgences, elle a été évaluée par l’équipe de traumatologie1; elle portait alors le collet cervical Aspen avec lequel elle avait été admise. Elle présentait une amnésie englobant l’incident, ainsi que des céphalées, des nausées et des vomissements persistants. Ses signes vitaux étaient stables, et son score à l’échelle de Glasgow était de 13 (Y3, V4, M6). Les résultats des autres examens neurologiques étaient normaux. Nous avons observé une lacération du cuir chevelu de 8 cm dans la région occipitale, mais aucun signe de fuite de liquide céphalorachidien. La tomodensitométrie (TDM) a révélé des traces d’hémorragie sous-arachnoïdienne (figure 1), une fracture sans déplacement de l’os occipital (figure 2) et une fracture sans déplacement de l’arc postérieur droit de la C2 (figure 3). L’angiographie et la veinographie par TDM n’ont révélé aucune lésion vasculaire ou atteinte des sinus veineux de la dure-mère.
Tomodensitogramme axial de la tête d’une femme de 68 ans heurtée par une trottinette électrique montrant des traces d’hémorragie méningée traumatique le long des contours latéraux des lobes temporaux droit (flèche A) et gauche (flèche B).
Fenêtre osseuse d’un tomodensitogramme axial de la tête d’une femme de 68 ans heurtée par une trottinette électrique; la flèche indique une fracture de l’os occipital sans déplacement.
Tomodensitogramme axial de la colonne cervicale d’une femme de 68 ans heurtée par une trottinette électrique; la flèche indique une fracture sans déplacement de l’arc postérieur droit de la C2.
La patiente ne présentait aucune indication nécessitant une intervention chirurgicale immédiate; nous avons donc remplacé le collet Aspen par un collet cervical rigide et fait un suivi au moyen d’évaluations répétées des pupilles et à l’échelle de Glasgow. Un nouveau tomodensitogramme de la tête effectué 10 heures après le premier n’a révélé aucun changement, et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) de la colonne cervicale n’a montré aucune lésion ligamentaire. Nous avons alors donné congé à la patiente 48 heures après son admission. Comme la nouvelle imagerie de la colonne cervicale et l’examen physique réalisés 6 semaines plus tard étaient sans particularités, nous lui avons retiré son collet et l’avons aiguillée en physiothérapie pour l’aider à atténuer la douleur et à accroître l’amplitude de ses mouvements. Quatre mois après l’hospitalisation, la patiente était revenue à son état initial et ne présentait aucun symptôme post-commotion.
Discussion
Actuellement, la prise en charge des personnes présentant une hémorragie sous-arachnoïdienne traumatique comprend l’hospitalisation pour une surveillance de l’état neurologique, où un nouveau tomodensitogramme de la tête est réalisé 6–24 heures après le premier pour évaluer toute progression d’anomalie. On suggère une consultation en neurochirurgie pour les patientes et patients qui présentent une baisse du score à l’échelle de Glasgow, qui souffrent de vomissements incessants ou qui présentent de nouveaux déficits focaux2. Des données récentes laissent toutefois croire que moins de 10 % des personnes présentant un traumatisme craniocérébral léger et une hémorragie méningée traumatique isolée présenteront une progression de l’affection lors d’une deuxième TDM. Il est démontré qu’une deuxième TDM de la tête et une brève période d’observation favorisent des congés rapides de l’hôpital, sans présenter de répercussions défavorables différées3. En raison de l’âge, des céphalées réfractaires, des nausées persistantes et du résultat anormal de la TDM initiale de la patiente, combinés à une fracture localisée près du sinus veineux transverse et du torcular, nous avons réalisé une angiographie et une veinographie par TDM afin de déterminer si elle avait une lésion cérébrovasculaire contondante. De plus, en raison de l’âge de la patiente, du mécanisme de la blessure et de la présence confirmée d’une fracture de la colonne cervicale, nous avons aussi effectué un examen d’IRM de la colonne cervicale pour vérifier la présence de saignements épiduraux, de perturbations ligamentaires, d’œdème de la moelle spinale et de hernies discales. Selon notre expérience, le choix de la technique d’imagerie doit se fonder sur la combinaison des signes cliniques, du mécanisme de la blessure et des protocoles de traumatologie de l’établissement. Chez les personnes ayant subi un trauma crânien associé à un transfert d’énergie important ainsi qu’à une hémorragie méningée ou une fracture du crâne, il est prudent de réaliser une angiographie et une veinographie par TDM pour vérifier l’intégrité des artères et des sinus veineux de la dure-mère. L’IRM de la colonne vertébrale est aussi utile chez les personnes ayant subi un trauma ou chez celles dont les résultats anormaux de la TDM de la colonne cervicale laissent soupçonner une lésion ligamentaire et des déficits neurologiques, et pour lesquelles il n’est pas possible d’écarter infailliblement un diagnostic cervical en raison de blessures gênantes ou d’une altération de l’état de conscience.
Utilisation de la trottinette électrique et blessures associées
La trottinette électrique ressemble à une trottinette classique sur 2 roues, mais elle est alimentée par une batterie qui permet aux utilisateurs d’atteindre une vitesse maximale d’environ 48 km/h4. Selon la réglementation en place, elles peuvent être utilisées sur les routes, les pistes cyclables ou les trottoirs. En raison de leur commodité, de leur efficacité et de leur prix abordable, leur popularité a connu une hausse frappante au cours des 5 dernières années5. Si les trottinettes électriques et les autres appareils similaires (p. ex., vélos électriques) réduisent le nombre de déplacements en automobile et, par conséquent, les risques associés, leur popularité croissante a toutefois entraîné une augmentation rapide du nombre de blessures liées à leur utilisation6. Aux États-Unis, on estime que le nombre de visites aux urgences associées à l’utilisation d’une trottinette électrique serait passé de 4881 en 2014 à 29 628 en 20196. Une synthèse exploratoire sur les blessures liées aux trottinettes électriques a permis de conclure que les blessures à la tête et aux extrémités sont les plus fréquentes chez les utilisateurs7. Dans plus de 90 % des cas de blessures chez les utilisateurs, aucun autre utilisateur de la route n’avait été blessé, et elles résultaient généralement de chutes, de collisions avec des objets, d’une vitesse excessive ou de conditions routières défavorables7. Les non-utilisateurs sont souvent blessés en raison d’une collision avec une trottinette électrique (59,1 %) ou après avoir trébuché sur une trottinette électrique stationnée (29,5 %)7. La plupart des patients et patientes (86 %) avaient des blessures relativement mineures ne nécessitant pas d’hospitalisation7.
À Calgary, un projet pilote de vélos et de trottinettes électriques en libre-service s’étant déroulé d’octobre 2018 à octobre 2020 a permis d’enregistrer plus de 1,9 million de déplacements et plus de 200 000 utilisateurs8. Durant ce projet, plus de 1300 visites aux urgences liées aux trottinettes électriques ont été recensées, et 1 déplacement en trottinette électrique sur 1400 a entraîné une visite aux urgences8. Après la fin de ce projet pilote, une étude rétrospective des dossiers médicaux de 75 patientes et patients vus aux urgences a montré que 71 blessures étaient survenues chez des utilisateurs, et 4 chez des non-utilisateurs, comme des piétons et des cyclistes8. Les facteurs de risque de blessures comprenaient la perte de contrôle de l’utilisateur, la conduite à une seule main ou avec un seul pied reposant sur la trottinette et la présence de dangers routiers (nids-de-poule, gravier, bordures de trottoir)8.
On a rapporté relativement peu d’hémorragies intracrâniennes en raison de blessures liées à la trottinette électrique, mais elles restent inquiétantes. Une étude de série de cas rétrospective menée dans 2 centres de traumatologie maxillofaciale de Paris (France) entre 2017 et 2019 portait sur 125 personnes ayant subi des traumas au cou et à la tête liés à la trottinette électrique9. Le patient le plus âgé était un piéton de 95 ans ayant été heurté par une trottinette électrique. L’étude a répertorié 2 cas présentant une hémorragie intracrânienne, 1 présentant un hématome sous-dural et 1 présentant une hémorragie méningée9. Trivedi et ses collaborateurs5 ont publié une étude d’une durée de 1 an sur 249 personnes présentant des blessures liées à l’utilisation de la trottinette électrique qui ont visité les urgences. Environ le dixième (10,8 %) des patientes et patients était âgé de moins de 18 ans. Vingt-et-un patients (8,4 %) étaient des non-utilisateurs, et un peu plus de la moitié des blessures chez ceux-ci résultaient d’une collision avec une trottinette électrique5. Fait notable: 40,2 % des blessures rapportées étaient à la tête, et il n’y a aucune mention du port du casque chez les utilisateurs présentant une hémorragie intracrânienne5.
Une autre étude sur les utilisateurs s’étant blessés en utilisant une trottinette électrique a montré que 8 % d’entre eux avaient subi des fractures du crâne ou des hémorragies intracrâniennes10. Une étude de série de cas multicentrique a révélé que les hémorragies intracrâniennes et les fractures maxillo-faciales représentaient respectivement 18 % et 26 % des blessures chez les utilisateurs de trottinettes électriques11. Le port d’équipement protecteur (p. ex., casque) était peu fréquent ou n’a pas été mentionné4,10.
Le besoin d’approches et de politiques réalistes
Malgré une politique municipale locale interdisant l’utilisation des trottinettes électriques sur les trottoirs, notre patiente a subi de graves blessures après avoir été heurtée par un tel véhicule. Des empiétements similaires d’espaces piétonniers ont été rapportés ailleurs et ont causé des blessures chez les utilisateurs comme chez les piétons, indiquant qu’une application plus stricte de la réglementation limitant la vitesse et l’utilisation des trottoirs est nécessaire5. Les problèmes de sécurité relevés à Calgary comme ailleurs ont entraîné des changements de politiques tels que l’ajout d’une identification visible aux trottinettes électriques en libre-service pour faciliter le signalement de comportements inappropriés et la remise de contraventions directement aux entreprises pour les trottinettes électriques mal stationnées8.
Le fait d’offrir des environnements physiques distincts aux véhicules comme les trottinettes et les vélos électriques devrait présenter des avantages comparables à ceux apportés par la séparation physique des cyclistes et des véhicules motorisés12. Une étude de cas croisée menée à Toronto et à Vancouver a révélé que, parmi 14 infrastructures routières étudiées, les pistes cyclables, dont des voies pavées et dotées d’une barrière physique (bordure de trottoir, bollard) les séparant des artères majeures, présentaient le plus faible risque de blessure à vélo12. Cet environnement physique spécial réduit significativement les risques de blessures des cyclistes (d’environ 90 %), comparativement aux artères majeures n’ayant aucune piste cyclable réservée et où sont stationnées des voitures12. La création de telles infrastructures exige cependant une contribution substantielle de la part des parties prenantes, de même que d’examiner et de repenser les environnements physiques et les infrastructures en place. Une autre possibilité novatrice d’aménagement d’infrastructures pourrait être de réaménager les trottoirs sous-utilisés pour les réserver aux véhicules électriques.
Considérant son efficacité chez les cyclistes, le port obligatoire du casque pour les utilisateurs de trottinettes électriques serait une autre stratégie envisageable pour prévenir les blessures13. Comparativement à ceux qui ne le portent pas, les cyclistes qui portent le casque présentent des risques significativement plus faibles de lacérations et d’hématomes du cuir chevelu, de fracture du crâne, d’hématome sous-dural et d’autres lésions cérébrales traumatiques graves, tous classés comme ayant un score de 3 ou plus sur l’échelle abrégée des traumatismes à la tête13. Il sera toutefois nécessaire d’effectuer des campagnes de formation et de promotion, comme pour le port de la ceinture de sécurité ou du casque, pour assurer la pleine efficacité de nouvelles politiques liées à la santé.
Des mesures réduisant l’utilisation d’automobiles pour remplacer celles-ci par des options sécuritaires comme les trottinettes électriques peuvent améliorer la sécurité et le bien-être des collectivités et avoir des effets bénéfiques sur la qualité de l’air et la santé globale, mais des politiques efficaces pour réduire les blessures sont nécessaires.
La section « Études de cas » présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: www.cmaj.ca
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
Collaborateurs: Michael Cusimano a conçu l’étude. Tous les auteurs ont participé à la rédaction du manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être soumise, et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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