Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231156; voir l’article connexe (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221516
Yao et ses collègues présentent les résultats d’une étude réalisée en Colombie-Britannique, qui montrent que le nombre de visites aux services d’urgence pour les motifs les plus courants est revenu à la normale à l’été 2021, après une baisse spectaculaire dans les premiers mois de la pandémie de COVID-19, et augmente depuis de façon soutenue1. Les services d’urgence reçoivent des personnes dans un état plus grave et davantage de patientes et de patients présentant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie et nécessitant une hospitalisation qu’avant. Le recours aux services d’urgence a augmenté plus vite que la croissance démographique, et les mois de mai à août ont été les plus chargés1.
Ces résultats confirment que les services d’urgence canadiens traversent une crise appelée à s’aggraver, comme nous l’avons récemment mentionné dans le JAMC2. Les hôpitaux ne peuvent exercer leurs activités de façon sécuritaire lorsque le taux d’occupation dépasse 90 % pendant plusieurs jours d’affilée3. Or, dans beaucoup d’hôpitaux canadiens, ce taux dépasse 100 % depuis plusieurs mois4. La qualité des soins diminue, il devient difficile de fidéliser le personnel, et c’est l’engorgement assuré — l’un des symptômes du problème3. En raison de l’inertie des autorités fédérales et provinciales en ce qui a trait au renforcement des capacités de soins de courte durée, les directions, le personnel et les médecins des hôpitaux se retrouvent sans ressources systémiques et sont condamnés à gérer perpétuellement les crises afin de limiter les préjudices pour la patientèle et les équipes.
Compte tenu de l’augmentation du nombre de patientes et de patients nécessitant une hospitalisation1, du manque de lits d’hôpitaux de soins de courte durée5 et de l’engorgement régulier des hôpitaux4, le volume d’admissions aux services d’urgence se maintiendra. Et ce, malgré les récents transferts ponctuels du gouvernement fédéral visant à alléger les pressions immédiates sur le système de santé et à soulager les services d’urgence6, car l’argent n’est pas assorti d’une obligation pour les provinces d’augmenter le nombre de lits d’hôpitaux dotés en personnel — la principale cause de l’engorgement des services d’urgence7,8.
Il a été montré que, même s’ils peuvent paraître futiles en l’absence de lits d’hôpitaux disponibles, les efforts concertés des cadres supérieurs hospitaliers facilitent la sortie des patientes et patients du service d’urgence3. En effet, en s’investissant de façon notable, par exemple en discutant régulièrement en personne avec l’équipe des services d’urgence, la direction montre que l’engorgement du service est l’affaire de tous et améliore le moral des troupes, en particulier lorsque l’engorgement est important3. Les énoncés de position et les recommandations de l’Association canadienne des médecins d’urgence de 2001, 2013 et 2023 insistent sur la nécessité pour les hôpitaux de mettre en œuvre des protocoles de surcapacité axés sur la demande lorsque la congestion des services d’urgence compromet la prestation des soins9–11. Ces protocoles visent à mobiliser toutes les ressources disponibles pour soulager les services d’urgence, mais sont rarement utilisés dans les hôpitaux canadiens en dépit du dépassement grave et fréquent des taux d’occupation, peutêtre parce que l’application répétée d’une solution d’urgence n’est pas tenable12.
Pour limiter les records d’affluence, une autre stratégie consiste à prolonger les périodes d’intervention et de consultation. Comme le taux d’occupation des hôpitaux canadiens est régulièrement supérieur à 90 %, chaque heure supplémentaire passée par une patiente ou un patient à attendre un examen ou une intervention qui pourrait faciliter sa sortie est autant de temps passé par une autre personne dans une salle d’attente. Il a été montré que la prolongation des horaires des services hospitaliers (p. ex., imagerie diagnostique, consultation de spécialistes), en soirée et la fin de semaine, réduisait la durée du séjour des malades hospitalisés et pouvait prévenir les hospitalisations3.
L’approche consistant à utiliser le service d’urgence comme porte d’entrée pour faciliter les soins ou l’admission programmée n’est pas centrée sur la patiente ou le patient, car les personnes atteintes d’affections non critiques doivent rester assises dans des salles d’attente bondées et voient la durée de leur séjour prolongée. Les hôpitaux peuvent mettre en place des parcours pour que les personnes puissent passer des tests diagnostiques urgents, mais non critiques, recevoir des transfusions programmées de globules rouges et être hospitalisées dans le cadre d’une admission programmée sans passer par les services d’urgence.
Pourquoi acceptons-nous que le ratio patient–prestataire de soins de santé dépasse les seuils sécuritaires aux services d’urgence, mais pas dans les autres services de l’hôpital? Au lieu de recevoir les gens aux services d’urgence, il est possible de les prendre en charge dans les couloirs des unités hospitalières. Cette solution s’avère efficace, est préférée par la patientèle et raccourcit les séjours aux services d’urgence et à l’hôpital3,13. Autre possibilité, pour égaliser les ratios, des hôpitaux aux États-Unis ont mis en place des modèles de soins imposant que les personnes admises aux services d’urgence ne soient soignées que par le personnel infirmier et médical du service d’admission, même si elles restent dans le service d’urgence14. Ces stratégies se heurtent parfois à des résistances et ne règlent pas le problème sous-jacent du manque de lits d’hôpitaux, mais la prestation de soins par le service d’admission, dans le service d’urgence ou dans le couloir de l’unité hospitalière, est une option privilégiée pour la prise en charge des personnes se présentant aux services d’urgence3,12,13.
L’environnement sous haute pression des salles d’attente bondées des services d’urgence et l’augmentation des visites liées à la toxicomanie contribuent à la hausse du taux de violence envers le personnel de ces services1,15. Les équipes de soins médicaux et infirmiers des services d’urgence déclarent que la violence à leur encontre est l’un des principaux facteurs qui les incitent à quitter le navire16, et la moitié du personnel infirmier dit avoir été victime de violences physiques ou verbales au cours d’une semaine donnée17. On ne peut pas attendre du personnel des services d’urgence qu’il fournisse des soins vitaux, désamorce les situations dangereuses et se protège lui-même, tout à la fois18. En recrutant dans ces services, 24 heures sur 24, du personnel de sécurité spécialisé et intégré ainsi que des cliniciennes et cliniciens de la santé mentale formés aux stratégies de désescalade tenant compte des traumatismes, les hôpitaux pourraient réduire la violence, sécuriser l’offre de soins de santé et fidéliser le personnel19.
Les sous-ministres et ministres de la Santé devraient effectuer une visite dans un service d’urgence canadien lors d’une des dernières soirées ou fins de semaine estivales pour entendre de vive voix les expériences de la patientèle et des prestataires de soins de santé. Leur témoignage soulignerait sans aucun doute le besoin urgent d’augmenter le nombre de lits de soins de courte durée et de fidéliser, de former et de recruter du personnel hospitalier.
Footnotes
Intérêts concurrents : www.cmaj.ca/staff
This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/