Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.240649; voir l’article connexe ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231493-f
Dans le présent numéro du JAMC, Alston et ses collaborateurs décrivent l’enjeu urgent et complexe de l’itinérance chez les personnes âgées1, une population en croissance partout au pays2. Dans le dernier rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), on révèle qu’en 2023, 30 000 personnes en situation d’itinérance au pays ont été hospitalisées, et que ces hospitalisations duraient 2 fois plus longtemps et coûtaient 2 fois plus cher que pour les personnes qui n’étaient pas en situation d’itinérance3. L’analyse du JAMC et le rapport de l’ICIS illustrent les effets alarmants et aggravants de l’itinérance sur la santé des personnes. En effet, on constate que les problèmes de santé de ces personnes sont souvent plus graves à leur arrivée à l’hôpital en raison de leur itinérance et que, lorsqu’elles obtiennent leur congé, elles ne peuvent recevoir les soins primaires et les soins à domicile dont elles auraient besoin4,5. Face au nombre grandissant de personnes en situation d’itinérance, qui ont souvent besoin de soins hospitaliers prolongés, et en l’absence de solutions de rechange, certains hôpitaux optent pour la construction de logements. Est-ce la réaction la plus appropriée, étant donné le manque actuel de ressources dans les hôpitaux?
Les coûts humains de l’itinérance sont considérables. Comparativement aux personnes domiciliées, les personnes en situation d’itinérance chronique vivent 2 fois moins longtemps, vieillissent plus rapidement, ont beaucoup plus de comorbidités et viennent à présenter certaines maladies à un beaucoup plus jeune âge5. L’itinérance touche de manière disproportionnée les personnes autochtones, noires, réfugiées et immigrantes, ainsi que les personnes 2SLGBTQ+6. Les professionnelles et professionnels de la santé qui travaillent en milieu hospitalier reconnaissent l’urgence du problème, en partie parce que le nombre de personnes sans-abri admises à l’urgence est monté en flèche dans les dernières années7, et que le taux d’hospitalisation est élevé chez ces personnes8.
La croissance rapide des populations en situation d’itinérance au Canada est la conséquence de décisions stratégiques. En 1974, plus du cinquième des options de logement étaient des logements sociaux ou des maisons hors marché, ce qui contribuait à assurer un logement abordable pour les personnes à faible revenu9. Aujourd’hui, cependant, les logements sociaux représentent moins de 4 % des options de logement, ce qui s’ajoute à l’explosion du prix des loyers partout au pays10. Ce déclin dans l’offre de logements abordables affecte grandement les personnes âgées, qui ont souvent de faibles revenus fixes. Le manque de logements abordables et de soutien communautaire adéquat pour aider les gens à vieillir chez eux rend les personnes âgées plus vulnérables à l’itinérance, ce qui n’est pas sans conséquence pour le secteur des soins de santé. Ce problème a amené plusieurs réseaux de santé à trouver et à mettre en place des solutions en amont.
Premièrement, les hôpitaux peuvent collaborer avec des organismes de services sociaux ayant de l’expertise en matière de logement afin de sensibiliser les responsables des orientations politiques à l’importance du logement abordable. Une meilleure intégration des interventions de soutien en santé et de soutien social peut également aider la patientèle en situation d’itinérance pendant et après un séjour à l’hôpital11.
Dans une approche moins conventionnelle, les réseaux hospitaliers peuvent tirer parti des terres publiques ou d’autres ressources potentielles pour construire des logements supervisés, en partenariat avec différents ordres de gouvernement et des organismes de services sociaux. En 2009, le Centre de santé de Saint-Joseph, à Guelph, en Ontario, a créé une société d’habitation pour favoriser l’accès de la population à des logements abordables. L’initiative a reçu un financement des gouvernements fédéral et provincial pour la construction d’un immeuble à logements de 80 unités pour les aînés à faible revenu12. À Edmonton, le programme Bridge Healing Transition Accommodation, lancé en 2023 en partenariat avec Alberta Health Services, fournit 36 lits de transition pour la patientèle qui obtient son congé de l’urgence13. À Toronto, le Réseau universitaire de santé a recensé 51 patientes et patients n’ayant pas d’adresse fixe qui se sont présentés à l’urgence plus de 3300 fois en 202313. Ces données ont poussé le Réseau universitaire de santé à construire 51 unités permanentes de logements de médecine sociale dans un stationnement, spécialement pour ces personnes qui nécessitent souvent des soins de courte durée, en partenariat avec la Ville de Toronto et un exploitant de logements sans but lucratif.
Le fait que les hôpitaux dédient leurs ressources limitées à la construction de logements témoigne à quel point la crise de l’itinérance est devenue indéniable, en plus de l’inefficacité et des coûts élevés des approches conventionnelles, comme de plus longues hospitalisations.
Dans le cadre du budget du printemps 2024, le gouvernement du Canada s’est efforcé de remédier au déclin de l’offre de logements abordables par divers leviers politiques; le fait qu’il mette l’accent sur les terres publiques en surplus, sous-utilisées et inoccupées pour la construction de logements est particulièrement intéressant pour les organismes de soins de santé14. Grâce à divers volets de financement, comme l’Initiative pour la création rapide de logements, d’une valeur de 4 milliards de dollars, on met l’accent sur la construction de logements abordables et supervisés destinés aux personnes en situation d’itinérance. Ces initiatives peuvent permettre par la suite aux organismes de soins de santé de créer d’importants partenariats en vue de favoriser l’accès à des logements abordables pour les personnes dans le besoin.
Dans des conditions idéales, les hôpitaux et les autres établissements de soins de santé ne devraient pas avoir besoin de construire des logements supervisés. De façon réaliste, le secteur de la santé ne sera pas en mesure de construire assez de logements abordables pour remédier complètement à la crise du logement. Cependant, le système de santé et les hôpitaux peuvent agir de façon concrète. Il n’est pas viable de négliger l’itinérance comme crise sanitaire publique; l’inaction de la société canadienne a déjà coûté trop cher.
Footnotes
Intérêts concurrents : Andrew Boozary siège au conseil d’administration du groupe Inner City Health Associates. Les intérêts concurrents de Catherine Varner et d’Andreas Laupacis sont précisés au www.cmaj.ca/staff.
Traduction et révision : Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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