Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220112
Pour le témoignage des parents, voir www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220945-f
Au Canada, l’incidence de la maladie de Lyme chez les enfants est en hausse et la maladie peut s’observer chez les nouveau-nés.
Le diagnostic de maladie de Lyme localisée en phase précoce repose sur des signes cliniques. À ce stade, la sérologie de la maladie est peu sensible et n’est pas recommandée d’emblée.
Les nouveau-nés atteints de la maladie de Lyme pourraient être exposés à un risque plus élevé d’infection disséminée; les professionnels de la santé doivent envisager une batterie de tests complète pour la septicémie et une antibiothérapie intraveineuse lors de la prise en charge de ces patients.
L’antibiothérapie initiale pour la maladie de Lyme (et autres infections à spirochète) peut provoquer une réaction de Jarisch–Herxheimer.
Un poupon de sexe féminin de 21 jours a été amené aux urgences d’un hôpital pédiatrique ontarien au début de l’été pour érythème au bras gauche depuis la veille et léthargie, piètre alimentation (ne se réveillant pas pour ses boires, baisse du volume ingurgité) et distension abdominale depuis 3 jours. La patiente ne présentait pas de fièvre, de perte de poids ou d’irritabilité; elle n’avait pas voyagé récemment et n’avait pas eu de contact avec des personnes infectées.
La petite était le fruit d’une grossesse gémellaire dichorionique diamniotique et la mère avait été traitée pour hyperthyroïdie en cours de grossesse. Le travail a été induit à 37 semaines de gestation pour retard de croissance intra-utérin et l’accouchement s’est fait par voies naturelles. La mère s’était révélée positive à l’égard de Streptococcus agalactiæ (streptocoque du groupe B) lors d’une culture de frottis périnéal et avait reçu de la pénicilline intraveineuse (IV) en prophylaxie intrapartum; par contre, il n’y a eu ni fièvre chez la mère ni rupture prolongée des membranes. La patiente et sa jumelle n’avaient pas eu besoin d’être réanimées à la naissance; toutefois, les 2 avaient été admises à l’unité des soins intensifs néonataux pour alimentation par sonde gastrique. Les 2 nourrissons avaient reçu leur congé à 4 jours de vie, après avoir pu être nourris au biberon avec succès.
À son arrivée aux urgences, la patiente présentait des signes vitaux normaux pour son âge (température 37,1° C, fréquence cardiaque 180 battements/min, fréquence respiratoire 40 respirations/min, tension artérielle 86/51 mm Hg, tension artérielle moyenne 63 mm Hg, saturation en oxygène 100 % à l’air ambiant). L’examen a révélé une peau marbrée avec préservation du remplissage capillaire (2–3 s), un abdomen distendu, mais souple, et une grande plaque érythémateuse blanchissant sous la pression et comportant une portion centrale indemne à l’avant-bras gauche (figure 1). Nous n’avons observé aucune anomalie cardiovasculaire, respiratoire ou neurologique.
Photographie d’un nourrisson atteint de la maladie de Lyme, montrant une plaque érythémateuse avec portion centrale indemne à l’avant-bras gauche.
Ses analyses sanguines ont montré une élévation du taux de protéine C réactive à 33,1 mg/L (normale 0,1–1,0) et une formule sanguine complète (leucocytes 6,2 × 109/L, neutrophiles 2,24 × 109/L, plaquettes 298 × 109/L, hémoglobine 132 × 109/L), des électrolytes, des gaz veineux, une créatinine et des transaminases normaux. Nous avons procédé à des prélèvements de sang et d’urine pour culture. Un électrocardiogramme a montré une tachycardie sinusale. Une radiographie abdominale a révélé des anses intestinales légèrement dilatées et non spécifiques.
La famille du nouveau-né vivait sur une ferme et avait régulièrement trouvé des tiques sur son chien au cours des semaines précédentes. Cinq jours avant la consultation, les parents ont dit avoir trouvé une tique engorgée à l’avant-bras gauche du nourrisson qui a été retirée en moins de 24 heures. Avant de consulter à l’hôpital, les parents avaient soumis le spécimen à un laboratoire commercial privé, où on avait identifié une tique Ixodes scapularis. À l’aide d’un test PCR (réaction en chaîne de la polymérase), ce laboratoire avait aussi confirmé que le spécimen était positif à l’égard de Borrelia burgdorferi. Nous n’avons toutefois pas pu confirmer la validité de ce test.
Étant donné la lésion d’érythème migrant présente là où la tique engorgée avait été retirée, nous avons posé un diagnostic présomptif de maladie de Lyme et administré de la ceftriaxone IV. Environ 2 heures après la première dose de ceftriaxone, le nourrisson a présenté une fièvre à 38,3° C et une accélération de sa fréquence cardiaque à 196 battements/min avec retard du remplissage capillaire (5 s). Cette détérioration nous a fait craindre une septicémie néonatale et une réaction de Jarisch–Herxheimer, un phénomène clinique transitoire, mais potentiellement grave, caractérisé par de la fièvre et d’autres symptômes systémiques qui se manifestent dans les heures suivant l’instauration d’une antibiothérapie pour infection à spirochète. Nous avons administré de l’ampicilline pour une possible septicémie néonatale tardive, de même que des liquides IV; plusieurs heures après la perfusion, les signes vitaux et la température de la patiente s’étaient normalisés.
Après la stabilisation clinique, nous avons procédé à une ponction lombaire dans le cadre d’une batterie complète de tests pour le dépistage de la septicémie néonatale. L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) a montré une numération leucocytaire à 4 × 106/L (valeurs de référence < 19), une numération érythrocytaire à 216 × 106/L (valeurs de référence 0), un taux de protéine à 0,96 g/L (valeurs de référence 0,2–0,7) et un taux de glucose à 2,2 mmol/L (valeurs de référence 2,1–3,6). Les cultures du LCR, du sang et des urines sont restées négatives. La détection par immunodosage enzymatique des immunoglobulines M et G (IgM/IgG) sériques pour la maladie de Lyme est restée négative. La recherche d’anticorps contre la maladie de Lyme dans le LCR n’a pas été effectuée.
L’érythème migrant est disparu après 2 jours de ceftriaxone et la patiente a par la suite reçu une antibiothérapie de 14 jours par cet agent. Lors du suivi à 8 semaines de vie, le nourrisson n’avait aucun symptôme de maladie de Lyme et présentait une croissance et un développement normaux.
Discussion
Nous présentons ici un probable cas atypique de maladie de Lyme chez un nouveau-né qui a manifesté une réaction de Jarisch–Herxheimer après l’instauration d’une antibiothérapie. La maladie de Lyme est une infection bactérienne transmise par une tique endémique dans certaines régions du Canada, des États-Unis, de l’Europe et de l’Asie. En Amérique du Nord, elle est causée par le spirochète B. burgdorferi, transmis principalement par I. scapularis dans l’Est et le centre du Canada et par Ixodes pacificus en Colombie-Britannique1. L’incidence de la maladie de Lyme est en hausse au Canada2. Le nombre annuel de cas signalés par l’Agence de la santé publique du Canada est passé de 144 cas en 2009 à 2851 cas en 20213. Cette augmentation concorde avec l’expansion de l’aire de distribution d’Ixodes vers le nord, possiblement causée par la hausse des températures due aux changements climatiques2.
Peu de cas de maladie de Lyme ont été signalés chez des nouveau-nés. Miller et ses collègues ont fait état d’un cas chez un nouveau-né de 2 semaines présentant un érythème migrant et des IgM révélés par transfert Western, initialement traité par céfotaxime4. Les analyses du LCR ne concordaient pas avec une méningite; le patient est donc passé à de l’amoxicilline orale pour un traitement d’une durée totale de 21 jours qui a donné de bons résultats. Handel et ses collègues ont décrit un cas chez un nourrisson de 5 semaines amené pour fièvre et plusieurs lésions d’érythème migrant et dont les analyses sérologiques sont restées négatives5. Ce patient a reçu 14 jours de ceftriaxone et les symptômes se sont résorbés. Selon ces rapports, les nouveau-nés dont les symptômes concordent avec une maladie localisée en phase précoce pourraient également être exposés à un risque plus élevé de maladie disséminée4,5. Étant donné le très jeune âge de notre patiente, ses symptômes systémiques (piètre alimentation, léthargie) et sa peau marbrée, nous avons craint une maladie de Lyme disséminée et une septicémie néonatale tardive (causée par un streptocoque du groupe B, Escherichia coli ou un autre agent pathogène). Nous avons donc demandé une batterie de tests complets pour la septicémie et administré des antibiotiques IV à large spectre. Une fois la septicémie bactérienne exclue, le traitement pour une maladie de Lyme disséminée a pu être mené à terme; le choix et la durée de l’antibiothérapie ont été adaptés à partir des recommandations de la Société canadienne de pédiatrie pour la méningite de Lyme1.
Durant la phase précoce localisée, le diagnostic de la maladie de Lyme repose sur des signes cliniques et ne requiert pas de confirmation sérologique1. Une piqûre de tique ou un séjour dans une région où la maladie de Lyme est endémique sont des prérequis pour le diagnostic1. À ce stade de la maladie, la sérologie est peu sensible et moins de 50 % des patients qui ont un érythème migrant isolé sont séropositifs6. Aux stades ultérieurs, une confirmation sérologique est fiable et recommandée pour le diagnostic1. Le diagnostic sérologique se fait en 2 étapes afin de réduire le risque de faux positifs, soit l’immunodosage enzymatique de dépistage, suivi de tests plus spécifiques, comme l’immunotransfert, si le dépistage est positif. L’Infectious Disease Society of America (IDSA) ne recommande ni cultures ni tests PCR sériques pour B. burgdorferi en raison de leur faible précision diagnostique7. Si on soupçonne une infection du système nerveux central, la recherche d’anticorps dans le LCR est hautement spécifique pour la neuroborréliose de Lyme lorsque l’index d’anticorps (quotient LCR/sérum) est élevé. L’analyse du LCR par PCR n’est pas conseillée en raison de sa très faible sensibilité. Pour le diagnostic de l’arthrite de Lyme, on peut envisager d’analyser le liquide synovial par PCR afin d’orienter les décisions thérapeutiques, mais la culture n’est pas recommandée7.
Chez cette patiente, le diagnostic de maladie Lyme a reposé sur la présence d’un érythème migrant et la découverte antérieure d’une tique engorgée fixée à sa peau. Les autres diagnostics, comme la cellulite ou la septicémie néonatale tardive, étaient moins probables en raison de la portion centrale indemne de la lésion (signe typique de l’érythème migrant) et des résultats de cultures négatifs. À noter, une sérologie de Lyme négative est à prévoir durant la phase précoce de la maladie. L’identification de la tique I. scapularis et la détection de B. burgdorferi par PCR dans un laboratoire privé sur la tique incriminée ont également contribué au diagnostic. Dans ses lignes directrices, l’IDSA recommande l’identification de l’espèce de tique puisque cela permet d’orienter les conseils et le traitement, mais ne préconise pas le dépistage de B. burgdorferi sur les tiques puisqu’il ne permet pas de prédire le risque d’infection de manière fiable7.
Dans les heures qui ont suivi l’administration de la première dose de ceftriaxone, notre patiente a présenté de la fièvre, de la tachycardie et d’autres symptômes concordant avec une réaction de Jarisch–Herxheimer. Cette réaction est une réponse connue au traitement des infections à spirochète, comme la maladie de Lyme, la syphilis, la fièvre récurrente et la leptospirose8. Elle se caractérise par de la fièvre, des frissons et l’intensification de l’érythème dans les 24 heures qui suivent le début de l’antibiothérapie. L’instabilité clinique est rare, mais un syndrome de détresse respiratoire aigu, des convulsions et de l’hypotension peuvent survenir. La physiopathologie proposée évoque une phagocytose accélérée durant la destruction bactérienne rapide qui induit une libération de cytokines par les monocytes, produisant une réaction inflammatoire systémique. La réaction est habituellement autorésolutive et repose sur l’administration de soins de soutien pendant plusieurs heures; l’antibiothérapie peut être maintenue. La réaction de Jarisch–Herxheimer chez les nouveau-nés est le mieux décrite dans le traitement de la syphilis congénitale; une série de cas a révélé la survenue de cette réaction chez 18 % de 60 nouveau-nés9. La mort est très rare, mais a été décrite chez un petit nombre de nouveau-nés traités avec de la pénicilline pour une fièvre récurrente10.
L’incidence de la maladie de Lyme est en hausse chez les enfants au Canada, y compris chez les nouveau-nés qui ont été exposés à des tiques. La sérologie est négative chez la plupart des patients qui ont une maladie localisée en phase précoce et n’est donc pas recommandée pour le diagnostic. Compte tenu des données limitées concernant les nouveau-nés, et la prédisposition possible de cette population à la maladie de Lyme disséminée, les cliniciens devraient fortement envisager l’administration d’antibiotiques IV pour cibler la maladie de Lyme et d’autres agents pathogènes néonataux communs en attendant les résultats des analyses complètes pour la septicémie. Les professionnels de la santé doivent aussi être au courant du risque de réaction de Jarisch–Herxheimer en début de traitement.
Footnotes
Intérêts concurrents: Helen Groves fait état d’honoraires versés par AbbVie et de subventions de voyage de la British Infection Association et de l’Université Queen’s de Belfast, indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement des parents de la patiente.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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