Lorsqu’il s’agit de faire progresser efficacement les pratiques en soins de santé, le Canada est un pays aux projets pilotes perpétuels. Or, nous ne transformons que rarement les projets éprouvés en programmes financés et durables, et nous n’en partageons guère les résultats entre régions. Voilà une attitude qui n’avance en rien notre système de santé.
Notre asservissement aux projets pilotes a débuté en 1975 lorsqu’animé de bonnes intentions, Santé Canada (à l’époque Santé nationale et Bien-être social) a lancé le Programme national de recherche-développement en santé 1. Ce programme visait à financer la recherche en prévention des maladies et la promotion de la santé, de sorte à faire contrepoids à la stratégie de recherche fondamentale en médecine du Conseil de recherches médicales. Entre 75 % et 80 % de ce nouveau budget a servi à appuyer des projets pilotes évalués par des pairs, des projets témoins, des symposiums et des ateliers. Ces projets ont souvent été innovateurs en abordant bien avant leur temps des sujets tels la violence à l’endroit des en-fants et le soin des personnes âgées.
Les provinces ont elles aussi lancé leurs propres programmes de recherche fondamentale et appliquée en santé, y compris d’inévitables projets pilotes. Plus récemment, des fondations privées ont emboîté le pas. Toutes ces sources de financement ont servi à lancer un peu partout au Canada des milliers de projets pilotes — qui s’éteignent habituellement lorsque leur financement initial s’épuise, quel que soit leur mérite.
La première tragédie issue de cette façon de procéder, c’est le gaspillage de temps, d’énergie et de talent qu’elle entraîne. La deuxième, c’est que nos systèmes de santé provinciaux et territoriaux fonctionnent en isolement les uns des autres, sans mécanisme de collaboration horizon-tale qui leur permettrait de partager les leçons tirées des divers projets. Si un projet finit par être intégré au budget de santé d’une province, l’initiative s’arrête habituellement à la frontière, peu importe la solidité des preuves de sa réussite. Le Programme extramural du Nouveau-Brunswick, par l’entremise duquel des soins de santé sont prodigués à domicile, en est un bon exemple. Ce projet a connu de modestes débuts en 1981; en 1993, il était offert dans toute la province et en 2005–2006, il était devenu le mode privilégié de prestation des soins de santé pour plus de 19 000 clients.
Si les gouvernements hésitent à accorder du financement de base pour maintenir des programmes amorcés comme pro-jets pilotes, c’est qu’ils tiennent à en garder le contrôle financier. Ils craignent que les projets communautaires soient vulnérables aux abus administratifs ou à la fraude. Ils préfèrent avoir le loisir de laisser tomber ces projets s’ils s’avèrent trop critiqués ou suite à un changement de priorités budgétaires. Certaines de ces préoccupations financières sont justifiées, mais un projet pilote solide qui produit de bons ré-sultats ne devrait pas disparaître pour autant une fois parvenu à échéance. Les connaissances tirées de projets efficaces et évalués méritent d’être partagées, et pourtant nous passons notre temps à réinventer la roue aux quatre coins du pays.
Il est certes difficile, mais non impossible, de résoudre ce problème complexe. Les résultats de nos projets pilotes, tant positifs que négatifs, doivent être partagés. Un registre central public de ces projets et de leurs évaluations serait utile. On pourrait y inclure, sur un site à accès ouvert, de brèves descriptions des projets en question, suivi de leurs évaluations et des coordonnées de personnes-ressources.
Il nous manque aussi le moyen et la volonté de généraliser les approches fructueuses issues de projets pilotes. Il nous faudrait des tribunes d’échange de connaissances entre régions, de sorte à orienter les pratiques et produire un apprentissage pancanadien et une politique factuelle en matière de santé.
Le secteur municipal au Canada a compris les enjeux. Ainsi, afin de permettre à ses membres de reproduire les pra-tiques exemplaires, la Fédération canadienne des municipa-lités maintient une base de données d’études de cas et de fai-sabilité financée par le Fonds municipal vert 2. Les décideurs municipaux peuvent ainsi visiter les communautés durables pour observer eux-mêmes ces pratiques. Par exemple, après avoir vu les pistes cyclables à Vancouver, une conseillère mu-nicipale de Grande Prairie (Alberta) a compris qu’il serait facile d’en aménager dans sa communauté.
En santé publique, les Centres nationaux de collaboration ont commencé à offrir des moyens visant à améliorer le transfert des connaissances. Le Centre national de collaboration en santé autochtone a réuni les gouvernements fédéral et provinciaux avec des représentants des communautés Autochtones pour échanger des connaissances sur les déter-minants sociaux de la santé. Le Centre national de collaboration en hygiène du milieu a réuni des inspecteurs de l’eau de toutes les régions du Canada pour mettre en commun leur savoir-faire. L’Alberta reprend maintenant un programme de formation pour les préposés à l’exploitation de petits réseaux de distribution d’eau potable qui avait été offert dans le cadre d’une réunion régionale à Terre-Neuve.
Il nous faut multiplier ces occasions d’apprendre les uns des autres. Nous devons ensuite transformer les projets pilotes réussis en programmes efficaces, sans égard à leur origine. Pour le moment, nous sommes prisonniers de luttes politiques toxiques entre administrations. C’est intolérable. Nous n’avons pas les moyens de demeurer un pays aux projets pilotes perpétuels et de gaspiller les connaissances dont nous avons besoin. Nous devons adapter et adopter des modèles qui fonctionnent. Nous avons besoin d’un registre national des projets pilotes ainsi que d’un mécanisme permettant de mettre en commun les pratiques exemplaires et de discuter régulièrement et franchement entre administrations du résultat de ces projets.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml pour les déclara-tions de l’équipe de rédaction de l’éditorial. Aucuns déclarés pour Monique Bégin.
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.
Nous aimerions entendre parler des lecteurs qui connaissent des projets pilotes fédéraux, provinciaux et territoriaux en santé n’ayant abouti à rien. Nous envisagerons d’afficher l’information au sujet de ces projets sur notre site web.