Pour les couples infertiles de la plupart des régions du pays, le coût des traitements de fertilité est essentiellement privé. Le système de santé public couvre toutefois le coût du traitement des complications associées aux naissances multiples qui se produisent souvent suite à l’utilisation de techniques de procréation assistée. Ce paradoxe sous-tend notre argument en faveur du financement par l’assurance-maladie des frais de la fécondation in vitro (FIV) et de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes.
Au Canada, le taux global de naissances vivantes par FIV est de 27% par cycle, ce qui est supérieur au taux par fécondation naturelle 1. Le perfectionnement des techniques de FIV a toutefois entraîné une hausse du nombre de naissances multiples, car notre politique actuelle encourage le transfert de plusieurs embryons à la fois, plutôt que de multiples transferts d’un seul embryon — choix plus coûteux. Naturellement, les femmes veulent maximiser leurs chances de grossesse.
Le traitement de l’infertilité coûte cher. Un seul cycle de stimulation ovarienne, incluant les médicaments connexes, coûte en moyenne 10 000 $, mais la facture peut facilement grimper jusqu’à 15 000 à 20 000 $ lorsque les médicaments ne produisent pas l’effet escompté et qu’il faut, par conséquent, en augmenter la posologie. À ce prix, si le transfert de deux embryons augmente leurs chances de réussite 2, près de 59% des couples préfèrent risquer d’avoir des jumeaux 3.
Or, les grossesses multiples posent des risques plus élevés autant pour la santé des mères que pour celle de leurs enfants. La mortalité périnatale est 4 fois plus élevée chez les jumeaux et de 6 à 9 fois plus élevée chez les triplets. Les complications telles que la paralysie cérébrale sont de 3 à 7 fois plus fréquentes chez les jumeaux et 10 fois plus fréquentes chez les triplets 4. Lorsque ces complications surviennent, c’est le système de santé publique qui en absorbe le coût alors que les parents et leurs enfants en portent le fardeau émotionnel.
Le refus par la plupart des gouvernements provinciaux de payer pour le traitement de l’infertilité fait grimper les taux de naissances multiples et de complications résultant de la pré-maturité. De surcroît, comme aucune analyse de rentabilité exhaustive n’appuie de telles politiques 5, il en résulte des coûts inutiles pour les contribuables et des risques pour la santé des mères et de leurs bébés. (En Ontario, la province couvre la FIV uniquement pour les femmes dont les trompes de Fallope sont bloquées. Cette pratique discriminatoire a incité un groupe d’experts à se pencher sur la couverture des coûts de la FIV et de l’adoption.)
La question soulève également des enjeux d’équité. Dans notre système actuel, l’accès aux techniques de procréation assistée est réservé aux personnes dont la situation socio-économique le permet 6. Ces traitements sont réalisés principalement dans des cliniques privées où le profit est le catalyseur à la fois des coûts et de la qualité des soins.
Nous n’avons pas à chercher bien loin pour trouver un remède. Le Québec a récemment présenté un projet de loi en vertu duquel son système d’assurance-maladie couvrira les coûts de la FIV. Outre-mer, la décision de la Finlande de financer le transfert d’un seul embryon a entraîné une diminution du taux de naissances multiples après FIV; ce dernier est passé de 24% en 1996 à 14% en 2002, alors que le taux de naissances vivantes demeurait stable 7. La Belgique et la Suède ont rapporté des résultats similaires relatifs au financement du transfert d’embryon unique 8,9.
Ces exemples suggèrent que la meilleure façon de réduire les coûts des complications liées aux techniques de procréation assistée au Canada est d’étendre la couverture des soins universels. Les efforts déployés jusqu’à présent pour réduire le nombre de naissances multiples, consistant simplement à informer les cliniques privées du nombre idéal d’embryons à transférer, n’ont pas réussi à optimiser la naissance de bébés uniques en santé. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et le Conseil d’administration de la Société canadienne de fertilité et d’andro logie avaient émis leur directive à ce sujet en 2006 10 et pourtant, leurs recommandations n’ont pas entraîné de diminution notable du nombre de grossesses multiples au Canada.
Il est temps de cesser de référer les femmes vers des pratiques qui aggravent les problèmes de santé et sont dictées par des politiques myopes quant aux coûts des soins de santé. Toutes les provinces canadiennes devraient suivre l’exemple du Québec en défrayant les coûts de la FIV et de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes. Dans le contexte de la décision prise par le gouvernement du Québec, les cliniques de cette province ont convenu de s’efforcer d’obtenir un faible taux de grossesses multiples. Le reste du pays se doit désormais de lancer une démarche de coopération similaire afin d’améliorer non seulement le devenir des femmes recevant des traitements de fertilité faisant appel à des techniques de procréation assistée, mais aussi celui de leurs enfants.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Aucun déclaré pour Renda Bouzayen. Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.