On observe chez les médecins des taux plus élevés de dépression, d’anxiété, d’épuisement professionnel et d’idées suicidaires que dans la population générale, mais ils sont moins susceptibles de demander de l’aide.
Le libellé des questionnaires médicaux lors de la délivrance du permis d’exercice peut nuire à la divulgation et à la recherche d’aide pour les médecins qui ont des problèmes de santé et il peut avoir des répercussions négatives sur la santé des médecins et du public.
Une récente orientation canadienne et internationale sur le processus de délivrance du permis d’exercice de la médecine préconise de mettre l’accent sur les incapacités existantes plutôt que sur la présence d’antécédents de diagnostics ou d’incapacités.
La plupart des régions du Canada ne suivent pas l’orientation actuelle.
On observe chez les médecins des taux plus élevés de dépression, d’anxiété, d’épuisement professionnel et d’idées suicidaires comparativement à la population générale, et pourtant les médecins sont moins portés à demander de l’aide1,2. De plus, un nombre croissant d’apprenants et d’apprenantes font état de problèmes de santé physique et mentale chroniques, de troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité, de troubles sensoriels, moteurs ou d’apprentissage et plusieurs sont confrontés à des obstacles qui nuisent à la divulgation et à la recherche d’aide3–5. Les médecins qui ont des problèmes de santé en reportent le traitement ou la divulgation par peur de la stigmatisation ou d’éventuelles difficultés à se procurer leur permis d’exercice6–9. Cet enjeu doit entrer en ligne de compte lors de la délivrance du permis d’exercice aux médecins qui ont des problèmes de santé; les ordres de médecin ont le devoir de protéger le public en s’assurant que les médecins n’exercent pas s’ils y sont inaptes, mais ils doivent également encourager les médecins à chercher l’aide nécessaire tout en protégeant leur vie privée et en évitant les vérifications indues10,11. Pour tendre vers l’équilibre, des ordres de médecins canadiens et américains ont publié une orientation concernant les questionnaires et marches à suivre en vue de la délivrance du permis d’exercice de la médecine dans le but d’encourager l’autodivulgation et les interventions précoces; elles sont résumées dans l’encadré 110–16. Cette orientation se fonde pour une bonne part sur un consensus et est née en réponse à l’inquiétude soulevée par les établissements face au peu d’aide réclamée par les médecins10. De façon générale, cette orientation place l’accent sur l’incapacité existante au moment où la demande de permis d’exercice est faite plutôt que sur la simple présence d’une maladie, passée ou existante. Une étude transversale de 2017 menée auprès de plus de 5829 médecins aux États-Unis a révélé que là où on s’informait des antécédents d’incapacités ou de maladies lors de la délivrance du permis, les médecins étaient moins susceptibles de mentionner leur problème et de chercher de l’aide7. Étant donné cette situation et la récente priorisation de la santé des médecins par les responsables des orientations politiques canadiennes, nous avons voulu explorer les divers types de questions actuellement posées aux candidates et aux candidats à l’exercice de la profession au sujet de leurs problèmes de santé dans les différentes régions du Canada et leurs conséquences possibles pour les médecins canadiens.
Encadré 1 : Orientation canadienne et internationale pour l’identification et le soutien des médecins vivant avec une incapacité lors du processus de délivrance du permis1
Délivrance du permis d’exercice de la médecine
Les demandes de permis d’exercice de la médecine devraient mettre l’accent sur l’incapacité existante et non sur la maladie ou la recherche d’aide10,12–16.
Les demandes ne devraient pas porter sur les antécédents d’incapacités13,16.
Les demandes ne devraient pas faire de distinction entre santé mentale et physique; elles devraient poser le même type de questions sur la santé mentale et physique10,13,16.
Les demandes devraient définir « les répercussions négatives » sur le travail, en clarifiant le préjudice potentiel pour la patientèle10.
Les demandes devraient utiliser un langage positif et inclusif qui valide la recherche d’aide13.
Les questionnaires qui accompagnent une demande de permis initial ou de renouvellement du permis devraient être identiques, sauf que les questions pour le renouvellement devraient se limiter à ce qu’il y a de nouveau au dossier10.
Politiques et procédures
Les ordres de médecins devraient prévoir un processus refuge de non-divulgation qui permette aux médecins de retarder la divulgation d’un diagnostic et d’un traitement s’ils sont suivis ou en règle avec leur programme d’aide aux médecins13.
La réglementation devrait clairement expliquer l’utilisation qui sera faite des renseignements médicaux personnels11,13.
Les ordres de médecins devraient expliquer les mesures en place pour protéger la confidentialité des renseignements personnels11,15.
Les ordres de médecins devraient maintenir un programme d’aide aux médecins, le promouvoir et en expliquer le fonctionnement11–13.
Les ordres de médecins devraient fournir une information transparente sur les politiques et les marches à suivre existantes en ce qui concerne l’autodivulgation, la déclaration et le suivi des médecins qui présentent des incapacités10,11,13.
Les ordres de médecins devraient offrir une information transparente au sujet des mesures disciplinaires, le cas échéant13.
↵* Selon notre revue de la littérature publiée et grise sur la réglementation appliquée aux médecins qui ont des problèmes de santé, décrite à l’annexe 1B, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221097/tab-related-content.
Quel rôle les ordres de médecins canadiens jouent-ils dans la sécurité de la patientèle et le bien-être des médecins?
Les médecins ont l’obligation juridique, éthique et professionnelle de veiller à la sécurité de la patientèle, ce qui inclut de reconnaître les circonstances où ils seraient inaptes à prodiguer des soins sécuritaires10. Les ordres de médecins au Canada sont les organismes des provinces et territoires chargés de la délivrance des permis d’exercice de la médecine et qui en font le suivi17. Ils sont responsables de protéger le public et de s’assurer que les médecins n’exposent pas la patientèle à un risque en exerçant malgré une maladie qui pourrait altérer leur jugement médical, leurs habiletés ou leur sécurité10,18,19. Envers le public, les ordres de médecins ont le devoir d’évaluer l’aptitude des prestataires de soins de santé à exercer la médecine afin de maintenir sa confiance à l’endroit de la profession10. Parmi les problèmes de santé qui peuvent nuire au rendement professionnel, mentionnons la toxicomanie, les troubles visuels (p. ex., cataractes) et les troubles moteurs (p. ex., les tremblements), qui peuvent être à l’origine de fautes médicales (notamment sur le plan des prescriptions et de l’interprétation des épreuves d’imagerie diagnostique ou des pathologies), ou d’interactions sous-optimales avec la patientèle10,20. Toutefois, la présence d’une maladie n’est pas automatiquement synonyme d’incapacité; un médecin peut avoir une maladie et continuer de bien fonctionner au travail12,19,21. Les ordres de médecins ont donc pour tâche d’identifier, d’abord les circonstances où les médecins devront divulguer un problème de santé lors de la demande initiale du permis d’exercice ou de son renouvellement et ensuite, les circonstances où une maladie devra faire l’objet d’un suivi pour le maintien dudit permis10. À cet égard, les ordres de médecins doivent mettre dans la balance la protection de la patientèle et la protection de la vie privée des médecins dans le but ultime de créer un environnement sans stigmatisation où les médecins sont encouragés à demander l’aide requise pour un problème de santé avant que celui-ci ne dégénère.
Quels sont les modèles actuels d’aide aux médecins qui éprouvent des problèmes de santé?
Il existe 3 principaux modèles pour le suivi de la santé des médecins au Canada, caractérisés par différents rapports entre les ordres de médecins, les programmes d’aide et l’association médicale locale; il s’agit du modèle de cogestion, du modèle de l’association médicale et du modèle de gestion indépendante10. Les programmes d’aide aux médecins ont été créés à l’origine pour soutenir les médecins qui ont des problèmes de santé et ils ont souvent pour tâche d’en faire le suivi pour s’assurer de leur aptitude à exercer.
Selon le modèle de cogestion, la plupart des services offerts par les programmes d’aide aux médecins relèvent de l’association médicale, tandis que le volet de suivi des analyses biologiques (p. ex., dans les cas de toxicomanie) est géré par l’ordre des médecins. Selon ce modèle, les cas de médecins qui font appel au programme d’aide auraient besoin d’atteindre un seuil spécifique et clairement défini avant d’être portés à l’attention de l’ordre des médecins. Le modèle de l’association médicale regroupe tous les services du programme d’aide au sein de l’association médicale locale, y compris les programmes de surveillance. Cela suppose que l’ordre des médecins renonce à ce suivi, tout en assumant les risques juridiques liés à l’inaptitude potentielle d’un médecin à exercer. Avec le modèle de gestion indépendante, les services du programme d’aide aux médecins sont offerts indépendamment de l’association médicale locale et de l’ordre des médecins, où le programme d’aide aux médecins est dirigé par un conseil d’administration et un comité de révision peut aider à déclarer à l’ordre des médecins un cas d’incapacité excédant le seuil fixé.
Comment évalue-t-on l’incapacité?
Dans la foulée des résultats d’une récente recherche menée aux États-Unis sur la délivrance des permis d’exercice aux médecins souffrant de problèmes de santé, la Fédération des Ordres des médecins du Canada a identifié la délivrance des permis d’exercice en cas d’incapacité comme une priorité organisationnelle pour 2022–202322. Plusieurs études ont analysé les procédures de demande de permis d’exercice et leur degré de conformité aux critères consensuels actuels, c’est-à dire, les questions liées à la délivrance du permis se limitent-elles à une dysfonction existante plutôt qu’à la présence d’un diagnostic ou d’un traitement, portentelles sur des antécédents d’incapacités et font-elles la distinction entre les problèmes de santé physique et mentale7–9. En 2021, 76 % des demandes de permis d’exercice aux États-Unis limitaient leurs questions relatives à de possibles problèmes de santé mentale aux problématiques existantes seulement, conformément à l’orientation mise de l’avant par la Fédération des conseils médicaux d’État des États-Unis (US Federation of State Medical Boards) et le Collège des médecins américains (American College of Physicians)9. Cela représente une augmentation substantielle par rapport au taux de conformité de 41 % enregistré en 20177. Il est possible que l’approfondissement de la recherche et la priorisation des nouvelles politiques émises en 2018–2019 par les instances nationales américaines aient contribué à ce changement. En effet, dans un sondage mené aux États-Unis en 2016 auprès de plus de 2000 médecins de sexe féminin, seulement 6 % des répondantes ayant reçu un diagnostic ou un traitement pour un problème de santé mentale ont déclaré avoir divulgué cette information au moment de déposer leur demande de permis d’exercice6. Les principales raisons de la nondivulgation incluaient l’absence perçue de risque pour la sécurité des patients, la non-pertinence du diagnostic pour les soins cliniques, l’inquiétude quant à la protection de la vie privée et la crainte de restrictions appliquées au permis d’exercice6.
Quelles sont les lacunes actuelles des procédures de délivrance du permis d’exercice au Canada?
Nous avons évalué les divers types de questions posées pour la délivrance du permis d’exercice dans les régions canadiennes; elles sont résumées à l’annexe 1A, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221097/tab-related-content. Nous avons analysé les questionnaires afférents aux demandes de permis à la lumière de l’orientation consensuelle actuelle résumée dans l’encadré 1, qui souligne que ces questionnaires devraient s’attarder aux incapacités existantes (et aux antécédents de maladies ou de traitements), qu’ils ne devraient pas comporter de questions sur les antécédents d’incapacités, ni faire la distinction entre problèmes de santé mentale ou physique (annexe 1B). Nous avons en outre soumis nos observations à une analyse critique des politiques dans le but de comprendre le fondement même des politiques actuelles pour la délivrance du permis et leurs possibles conséquences fortuites sur la santé du public et des médecins, comme le résume l’annexe 1C.
Nous avons constaté que parmi les questionnaires afférents à la demande de permis des 13 ordres de médecins au Canada, 10 (77 %) ne se conformaient pas à l’orientation actuelle qui préconise de s’attarder à l’incapacité existante seulement. Cinq (38 %) formulaires de demande posaient des questions sur la santé mentale et la toxicomanie séparément de la santé physique en l’absence d’incapacité (tableau 1). Au-delà des questions explicites sur la santé, les demandes contenaient aussi des identifiants implicites sur la santé en s’enquérant des congés autorisés. Dix (77 %) formulaires demandaient le motif des congés autorisés, 5 pour les congés de toute durée et 5 pour les congés de 3 mois ou plus (tableau 2).
Fait à noter, tous les questionnaires qui s’enquéraient de problèmes de santé généraux demandaient explicitement une divulgation uniquement si ces problèmes de santé menaient à une incapacité. Par exemple, plusieurs régions s’informaient de tout problème de santé affectant ou pouvant affecter la capacité du médecin à exercer la médecine (Ontario, Nouveau-Brunswick, Yukon), ou raisonnablement susceptible à l’avenir de nuire à la pratique du médecin (Colombie-Britannique, Alberta, Île-du-Prince-Édouard). Toutefois, 5 formulaires sur 13 incluaient des questions sur la santé mentale et la toxicomanie sans s’informer spécifiquement d’une incapacité associée, soulevant la crainte que le seuil de signalement et de suivi des problèmes de santé mentale soit potentiellement inférieur à celui des problèmes de santé physique.
Parmi les 13 régions, 12 (92 %) questionnaires ne définissaient pas l’incapacité, ce qui laisse aux médecins la responsabilité d’évaluer eux-mêmes si leur problème de santé risque d’affecter leur aptitude à exercer la médecine. Un « oui » les forçait à fournir d’autres détails, sans autres directives quant à la somme des renseignements médicaux personnels requis, ou leurs conséquences sur la délivrance du permis. Aucun des questionnaires ne mentionnait les programmes d’aide aux médecins pour le traitement et le suivi de leur problème de santé. De plus, ils ne mentionnaient pas l’inclusion et ne citaient aucun article de loi concernant les incapacités et la divulgation des renseignements médicaux personnels. En ce qui concerne les politiques écrites, seules 2 régions (l’Alberta et la Colombie-Britannique) offraient une information transparente et complète sur la divulgation, l’évaluation et le suivi.
Ces lacunes ont des conséquences concrètes. Lorsque les médecins qui ont des problèmes de santé répondent à des questions binaires au sujet d’une incapacité, sans directives claires relatives à la divulgation obligatoire et ses conséquences, ils font face à un choix. Ils ignorent souvent les implications d’un « oui » sur le formulaire de demande de permis qui pourrait mener à un examen formel par l’ordre des médecins, et retarder la délivrance du permis, même en l’absence d’une incapacité existante. Un « non » permet d’éviter un examen formel par l’ordre de médecins. Or, les médecins qui ont un problème de santé ne causant pas d’incapacité peuvent éviter de demander de l’aide ou des accommodements par crainte des mesures imposées par leur ordre professionnel. Dans le monde de la santé, où la pression est forte, les problèmes de santé non traités sont plus susceptibles de contribuer à des incapacités13.
Comment les ordres de médecins ailleurs dans le monde gèrent-ils ce problème?
Divers modèles de délivrance du permis d’exercice et de suivi de la santé des médecins existent ailleurs dans le monde. Au Royaume-Uni, la demande de permis auprès du Conseil médical général utilise un processus de demande similaire, qui comporte un questionnaire médical (encadré 2). Les questions sont accessibles au public sur le site Web de l’organisme et incluent un cadre qui explique les renseignements qu’il est obligatoire ou non de fournir30. Par exemple, les problèmes de santé ne doivent être divulgués que s’ils ont donné lieu à une plainte ou un processus formel et le modèle en fournit des exemples (p. ex., rencontre formelle avec un superviseur, un gestionnaire, un groupe ou un comité). Le modèle informe également les candidats et candidates qu’ils n’ont pas l’obligation de divulguer des incapacités, des accommodements ou le recours à des formes d’aide informelle en l’absence d’exigence officielle. Le modèle stipule : « nous croyons que les étudiantes et étudiants en médecine et les médecins vivant avec des incapacités doivent être accueillis au sein de la profession et valorisés pour leurs contributions. Avoir une incapacité ne vous empêche pas d’exercer la médecine de manière sécuritaire »30. Le modèle propose aussi des liens vers des guides de bonnes pratiques où sont expliquées les responsabilités des médecins autorisés et les sources d’aide en cas de problème de santé. Le modèle de réglementation du Royaume-Uni offre l’avantage de la transparence; il tend explicitement à réduire la stigmatisation entourant les incapacités et les problèmes de santé tout en rappelant les responsabilités du médecin et l’accessibilité des services d’aide. Limiter la divulgation aux problèmes de santé ayant mené à un processus formel hausse le seuil de divulgation et pourrait ainsi faire l’impasse sur l’incapacité d’exercer de certains médecins qui travaillent dans un contexte isolé ou dont l’incapacité n’a pas encore été relevée par leur établissement. Ce modèle remet la responsabilité d’identifier l’incapacité aux établissements d’enseignement et de santé qui n’ont pas la même responsabilité juridique que les ordres de médecins pour la protection du public; de plus, il n’offre pas les mêmes services (comme un programme d’aide aux médecins) intégrés à son système de suivi des incapacités.
Encadré 2 : Questionnaire médical du Conseil médical général du Royaume-Uni en vue de la délivrance du permis et de l’inscription au tableau de l’ordre30(adaptation libre)
« Une faculté de médecine, une université ou un employeur ontils soulevé des questions au sujet de votre prise en charge d’un problème de santé ayant déclenché un processus formel? Le processus formel pourrait être une forme d’aide à votre endroit ou une investigation faisant suite à des inquiétudes soulevées. Habituellement, l’administration centrale ou les ressources humaines, un comité, une audience ou autre instance décide de la mesure à prendre une fois le processus terminé. »
« Une faculté de médecine, une université ou un employeur ontils soulevé des inquiétudes au sujet de la façon dont un problème de santé a affecté votre capacité d’étudier ou de travailler en tant que médecin ayant abouti à un processus formel? Le processus formel pourrait être une forme d’aide à votre endroit ou une investigation faisant suite à des inquiétudes soulevées. Habituellement, l’administration centrale ou les ressources humaines, un comité, une audience ou autre instance décide de la mesure à prendre une fois le processus terminé. »
Aux États-Unis, les autorités responsables de la délivrance des permis d’exercice à l’échelle étatique fonctionnent comme les ordres de médecins au Canada, c’est-à-dire : inscription initiale et renouvellement annuel du permis d’exercice pour l’obtention et le maintien, et programmes locaux d’aide aux médecins, responsables de les appuyer et de les soutenir s’ils ont des problèmes de santé. Étant donné que les soins de santé relèvent du secteur privé aux États-Unis, les conséquences de la divulgation d’un problème de santé pourraient aller au-delà de la délivrance du permis et nuire à la couverture d’assurance des médecins31. Étant donné les obstacles potentiels à la divulgation durant le processus de délivrance du permis, la Fédération des conseils médicaux d’État des États-Unis suggère une clause « refuge » de non-divulgation par laquelle les médecins qui sont suivis et en règle par rapport à leur programme local d’aide aux médecins peuvent éviter la divulgation d’un diagnostic ou d’un traitement lors de leur demande de permis13. Ce mécanisme encourage la confidentialité des demandes d’aide, indépendamment de l’instance de surveillance qui permet aux médecins d’accéder à un traitement avant une incapacité tout en évitant une investigation indue qui pourrait décourager entièrement la divulgation. Le programme d’aide aux médecins, en retour, déclareraient les médecins à l’autorité émettrice du permis s’ils menaçaient la sécurité de la patientèle ou s’ils ne suivaient pas les directives du programme. Au Colorado, l’un des premiers états à adopter des dispositions refuges en 1990, on peut répondre « non » à des questions du formulaire de demande du permis au sujet d’une incapacité due à un problème de santé à la condition que le programme d’aide aux médecins de cet état ait procédé à une évaluation de la personne sur une base volontaire de celle-ci32. Dans les 5 années suivant son déploiement, cette politique a donné lieu à une augmentation de 195 % des demandes de consultation volontaires (c. consultations découlant de plaintes) et à un stade plus précoce du problème de santé, avant la survenue d’une incapacité32.
Quels changements faudrait-il apporter aux politiques de délivrance du permis d’exercice de la médecine au Canada?
Lors du processus de délivrance du permis d’exercice de la médecine, les questionnaires médicaux peuvent causer des préjudices fortuits si le processus n’est pas transparent ou si les questions sont intrusives. Les demandes de délivrance et les politiques à cet égard doivent tenir compte de la sécurité du public et de la santé des médecins pour que le processus soit efficace et transparent, en encourageant la divulgation et prévoyant le soutien nécessaire, le cas échéant. Cela permet aux ordres de médecins de réaliser leur mission de protéger le public, sans être trop intrusifs à l’égard de la vie privée des médecins ni créer un climat qui décourage la recherche d’aide. L’Association canadienne de protection médicale suggère aux ordres de médecins de se doter d’un processus clair et fondé sur des données probantes pour la collecte, la conservation et le partage des renseignements médicaux personnels des médecins et d’expliquer les mesures de protection de la vie privée18. Pour sa part, l’Institut de droit de la santé de l’Alberta préconise de faire reposer les programmes locaux d’aide aux médecins sur plusieurs principes et normes en soulignant le besoin de mettre en place des mécanismes explicites, efficaces, transparents, responsables et réactifs pour promouvoir la santé des médecins; de tels programmes suscitent la confiance des médecins et du public10. Concrètement, nous suggérons aux ordres de médecins canadiens d’inclure dans leur processus de délivrance du permis d’exercice des renseignements clairs sur tout ce qui touche la protection de la vie privée, la divulgation obligatoire, les conséquences de la divulgation, l’inclusion des médecins ayant des incapacités et les programmes d’aide qui leur sont offerts. Nous suggérons aussi que le libellé du questionnaire médical soit soigneusement amendé de manière à inclure uniquement l’incapacité existante, le cas échéant, conformément à l’orientation nationale et internationale actuelle fondée sur un consensus.
Même si on dispose de données limitées pour établir qu’un modèle de réglementation et de suivi de la santé des médecins se démarque des autres, les données actuelles indiquent que les mécanismes qui déstigmatisent le processus de divulgation et favorisent la transparence encouragent l’autodivulgation par les médecins. L’approche du Royaume-Uni et son cadre très détaillé, transparent et public pour la délivrance du permis constituent un modèle utile qui inspire confiance aux médecins et au public. De plus, le modèle refuge adopté dans certains états américains peut être considéré dans certaines régions au Canada, en stipulant que les services des programmes d’aide aux médecins relèvent entièrement de l’association médicale locale. Les données des programmes d’aide aux médecins au Canada et aux États-Unis montrent que l’utilisation de ces services est associée à une issue plus favorable, à une réduction du risque de plaintes pour fautes médicales et à une amélioration des soins prodigués33–35. De plus, en réponse au nombre croissant de personnes candidates à la médecine présentant des incapacités, l’Association des collèges médicaux américains a insisté sur les accommodements et la normalisation du recours aux services d’aide pour favoriser l’inclusion, ce que notre analyse a identifié comme élément à intégrer aux politiques et processus d’accès à la profession au Canada3,36. Les médecins qui ont des incapacités apportent à la profession une valeur intrinsèque par leur expérience de vie et parce qu’ils représentent les populations desservies37,38.
Les politiques de délivrance du permis pour les médecins qui ont des problèmes de santé représentent un secteur crucial de la recherche au Canada, où la santé des médecins devient une priorité et une valeur de plus en plus incontournables pour la profession12,33,39,40. En gardant à l’esprit cette priorité, les politiques existantes pour la délivrance du permis d’exercice de la médecine devraient être révisées et s’harmoniser avec l’orientation consensuelle. Depuis la pandémie de COVID-19, beaucoup croient que la délivrance d’un permis d’exercice pancanadien de la médecine faciliterait la mobilité des effectifs vers les régions où les besoins sont plus grands41. Voilà qui représente une occasion de créer un processus de demande de permis d’exercice national semblable à celui du Royaume-Uni. Si un modèle standard national est créé, il est indispensable de reconnaître que les médecins qui ont des problèmes de santé peuvent fonctionner efficacement et exercer sécuritairement, et que si un problème de santé provoque une incapacité, son traitement permet la rémission et un retour à la normale12,13. Un changement s’impose à l’échelle des établissements pour encourager les médecins à demander de l’aide en cas de besoin et nous enjoignons les ordres de médecins canadiens à s’inspirer de l’orientation actuelle pour leurs questionnaires médicaux lors de la délivrance du permis d’exercice de la médecine tout en s’engageant à formuler un message clair et à offrir un processus transparent pour le suivi des médecins, afin d’atteindre les objectifs de la profession sur les plans de la santé et de la sécurité de la patientèle comme de celle des médecins.
Conclusion
Les politiques canadiennes sur la santé des médecins visent à protéger le public en réglementant la pratique des médecins qui pourraient avoir une incapacité. Idéalement, ces politiques devraient encourager les médecins à divulguer tout problème de santé; cela protège le public tout en évitant les questions intrusives sur l’état de santé des médecins. Le questionnaire médical qui accompagne la délivrance du permis d’exercice de la médecine dans la plupart des régions au Canada ne suit pas l’orientation consensuelle nationale et internationale, qui encourage les médecins à divulguer leurs problèmes de santé. Au Canada, les processus de délivrance du permis d’exercice de la médecine bénéficieraient de l’inclusion de messages clairs relatifs à la protection des renseignements personnels, aux marches à suivre, aux obligations et conséquences de la divulgation d’un problème de santé lors du processus d’obtention ou de renouvellement du permis, afin de réduire les obstacles à la divulgation, à la recherche d’aide et au traitement.
Footnotes
Intérêts concurrents : Erene Stergiopoulos déclare avoir reçu une bourse de déplacement du Département de psychiatrie de l’Université de Toronto. Juveria Zaheer fait partie du conseil d’administration de l’Association canadienne pour la prévention du suicide et de la Fondation du Centre pour les dépendances et la santé mentale. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs : Erene Stergiopoulos a supervisé la conception, l’acquisition et l’analyse des données. Maria Athina (Tina) Martimianakis et Juveria Zaheer ont contribué substantiellement à la conception et à l’interprétation des travaux. Erene Stergiopoulos a rédigé l’ébauche du manuscrit. Toutes les autrices ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. Maria Athina (Tina) Martimianakis et Juveria Zaheer sont les 2 autrices principales.
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