En 1911, lors des débuts du JAMC, le problème posé par la tuberculose était si grave que le Journal y avait consacré six articles dans son premier volume. Parmi ceux-ci, le premier éditorial du JAMC sur la tuberculose signalait de façon prophétique la reconnaissance alors nouvelle du rôle de l’infection latente infantile dans la maladie clinique ultérieure1.
Un siècle plus tard, le Nunavut vient d’enregistrer la plus importante éclosion de tuberculose de ses 10 ans d’histoire. Au moins 100 nouveaux cas actifs ont été documentés en 2010, soit un taux 62 fois supérieur à la moyenne canadienne. Mais il y a pire : l’éclosion touche des adolescents et de jeunes adultes, une tendance qui reflète une transmission communautaire active.
Les mesures de santé publique appropriées sont en vigueur au Nunavut, mais elles manquent de ressources. Les enfants d’âge scolaire sont soumis à un dépistage en maternelle, en sixième année et en neuvième année. Le dépistage de routine a été instauré dans les établissements à risque élevé, tels les refuges pour itinérants et les prisons. Pour le reste de la population, le dépistage est toutefois moins réussi, particulièrement chez les jeunes qui n’ont souvent qu’un contact minime avec le système de santé. La thérapie par observation directe est employée pour les cas actifs et le taux de traitements complétés en est élevé. Le suivi des contacts requiert actuellement tout autant de main-d’œuvre et de ressources.
La méfiance de la communauté, profondément enracinée dans un héritage historique, est extrêmement préoccupante. Il y a des décennies, la stratégie fédérale sur la santé publique, maintenant reconnue comme ayant été malavisée, reposait sur le dépistage communautaire suivi de l’envoi forcé des résidents vers le sud pour traitement, souvent sans leur consentement ou sans avertir leur famille. Plusieurs sont décédes et bien d’autres ne sont jamais rentrés chez eux. Il se peut que la méfiance à l’égard des médecins et de la santé publique qui en a résulté, conjuguée au stigmate associé à la tuberculose, menotte toujours les efforts de contrôle.
Les facteurs géographiques autant que socioéconomiques constituent d’importants obstacles à la prestation de services de santé et d’interventions en santé publique efficaces au Nunavut. Les communautés concernées sont les plus petites et les plus isolées de toutes les jurisdictions du Canada. La population du Nunavut est également aux prises avec des taux de pauvreté et de chômage élevés ainsi qu’avec un manque d’infrastructures communautaires et de logements de qualité — nettement plus que dans les autres territoires de l’Arctique Canadien. Les logements surpeuplés et mal ventilés constituent la norme — conditions idéales pour la transmission d’infections aérogènes comme la tuberculose. De plus, de numbreux habitants du Nunavut fument ou sont exposés à de fortes concentrations de fumée secondaire à la maison. Conjugués à une nutrition médiocre et, dans certains cas, à l’abus d’alcool ou d’autres substances, ces facteurs affaiblissent la capacité du système immunitaire à lutter contre la tuberculose.
Londres, en Angleterre, affiche aussi l’incidence la plus élevée de tuberculose en Europe, infection concentrée chez les gens mal logés et les itinérants2. En Angleterre et au Nunavut, des déterminants socioéconomiques communs prévalent : pauvreté, mauvaise nutrition et, le plus important, manque de logement adéquat2.
Au Nunavut, rien ne changera si le gouvernement fédéral et le gouvernement territorial n’unissent pas leurs efforts à ceux des communautés pour contrer l’éclosion en cours. De tels efforts coordonnés sont parvenus à réduire le taux de tuberculose dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le Nunavut se doit d’en faire lui même davantage, mais avec les ressources dont il dispose, cela risque de ne pas être suffisant. Il faut rétablir la confiance de la communauté à l’égard de la santé publique en mobilisant davantage et activement cette communauté par l’éducation du public, tout en tenant compte des préoccupations culturelles. Des ressources plus importantes devraient viser l’instauration de programmes de dépistage plus complets ainsi que l’accés accru aux examens diagnostiques, aux traitements et au suivi des contacts. Cependant, si l’on veut que toute stratégie d’éradication de la tuberculose dans le Nord porte fruit, il est crucial de concentrer les efforts sur l’amélioration des logements et la réduction du surpeuplement.
Pour éradiquer la tuberculose, il faudra non seulement immédiatement mettre en œuvre des mesures de santé publique coordonnées, mais aussi investir dans la croissance économique à long terme afin de lutter contre la pauvreté et améliorer les conditions de logement. Même si la stratégie du gouvernement du Canada donne espoir à la population du Nord, des investissements visant à assurer des logements adéquats, la sécurité alimentaire et des emplois payants seraient bénéfiques pour assurer la prospérité à long terme de l’arctique de l’est.
Ce problème n’est pas seulement celui du Nunavut — c’est celui du Canada. Collectivement, nous devons trouver la volonté de déployer les ressources nécessaires tout en demeurant sensibles aux préoccupations historiques et culturelles.
Il y a longtemps que la population du Nunavut aurait dû être libérée de la « peste blanche ».
Footnotes
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Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.