La tuberculose ostéo-articulaire (TOA) est une manifestation peu fréquente de la tuberculose (TB) qui se présente généralement par des symptômes inflammatoires atraumatiques subaigus ou chroniques situés dans des articulations portantes isolées d’envergure.
Au Canada, les facteurs de risque épidémiologiques de la TB comprennent un séjour prolongé dans des pays aux prises avec une prévalence importante de la maladie, une exposition connue à la TB ou faire partie d’une population atteinte de façon démesurée par la TB (p. ex., les personnes nées à l’extérieur du Canada, les personnes d’origine autochtone ou celles présentant des antécédents d’itinérance ou d’incarcération).
Un épaississement du liquide synovial, des épanchements articulaires, une ostéopénie juxta-articulaire, des érosions osseuses périphériques et un rétrécissement graduel de la cavité articulaire visible sur les images d’imagerie par résonance magnétique ou de tomodensitométrie laissent présager la présence d’une TOA.
Une mise en culture mycobactérienne spécialisée constitue la référence standard pour le diagnostic de la TB, mais les tests d’amplification de l’acide nucléique sont de plus en plus accessibles et favorisent un diagnostic rapide de la TOA.
On devrait amorcer sans tarder le traitement contre cette maladie afin de préserver la fonction articulaire et prévenir des dommages irréversibles.
Un homme de 47 ans s’est présenté au service des urgences, souffrant depuis 2 semaines de douleur aiguë sur fond chronique à son genou droit. Il a décrit ses antécédents de douleur chronique à ce genou depuis les 5 dernières années, dont une exacerbation 3 ans avant la consultation, douleur qui s’est résorbée après quelques semaines de prise d’ibuprofène. Il n’avait pas consulté auparavant pour ce problème. Il était par ailleurs en bonne santé, sans problème de santé chronique ou d’antécédant d’intervention chirurgicale; son test de dépistage du VIH était négatif. Il avait fumé de la méthamphétamine en cristaux sur une base quotidienne pendant 10 ans; il ne présentait pas d’antécédent de consommation de drogues injectables. Il avait immigré des Philippines 16 ans auparavant et n’y était jamais retourné.
Lors de l’examen, le patient était afébrile et présentait des signes vitaux normaux. Son genou droit était enflé, présentant une flexion et une extension limitées. Il ne souffrait pas d’érythème sus-jacent ni de sensibilité lors de la palpation de la bourse séreuse ou de la ligne articulaire. Aucune autre de ses articulations n’était enflammée. Les résultats initiaux des analyses de laboratoire ont révélé une numération leucocytaire de 8,4 (valeur normale 4–11) × 109/L et un niveau de protéine C réactive de 34,4 (valeur normale < 3,1) mg/L. Une radiographie de son genou montrait une destruction osseuse de l’articulation et une radiotransparence irrégulière du plateau tibial interne (figure 1). Un examen tomodensitométrique (TDM) a relevé une destruction corticale accompagnée d’érosions osseuses périphériques et d’une ostéopénie juxta-articulaire (figure 2). On a admis le patient au service de médecine interne et craignant qu’il ait pu souffrir d’une maladie maligne, les premiers médecins traitants ont demandé un examen tomodensitométrique de la poitrine, de l’abdomen et du pelvis, révélant de légères cicatrisations biapicales au poumon (figure 3).
Radiographie de l’articulation du genou droit d’un homme de 47 ans atteint de la tuberculose ostéo-articulaire, révélant des érosions osseuses périphériques (flèche rouge), une radiotransparence irrégulière au niveau du plateau tibial interne (flèche jaune) et un rétrécissement de l’espace articulaire (flèche blanche).
Une série d’images tomodensitométriques (vue coronale) du genou droit d’un homme de 47 ans atteint de tuberculose ostéo-articulaire, révélant la triade radiologique de Phemister d’une arthropathie tuberculeuse comprenant une ostéopénie juxta-articulaire (flèche jaune), des érosions osseuses périphériques (flèche rouge) et un rétrécissement de l’espace articulaire (flèche blanche, image A).
Images tomodensitométriques des poumons d’un homme de 47 ans atteint de tuberculose ostéo-articulaire, montrant de légères scarifications biapicales (flèches), soupçonnées d’être le résultat d’une infection antérieure à la tuberculose. Les clichés (A) et (B) constituent une série d’images axiales; (C) et (D), une série d’images coronales.
On a aspiré du liquide synovial sanguinolent de l’articulation du genou droit du patient. Dans ce liquide, on a observé une numération leucocytaire de 36,7 × 109/L (79 % neutrophiles, 15 % lymphocytes, 6 % mono-macrophages) et une numération érythrocytaire de 150 × 109/L, sans présence de cristaux ou de microorganismes sur la coloration de Gram. Les cultures mycobactérienness marquaient l’absence de bacilles acido-résistants sur les essais de coloration. En raison de ces observations, on a soupçonné une arthrite septique d’origine bactérienne et on a traité le patient avec une antibiothérapie empirique (2 g/j de ceftriaxone ainsi que la vancomycine avec un creux ciblé de 10–20 mg/L administrées par voie intraveineuse). Après 6 jours, l’état du genou du patient ne s’était pas amélioré et les résultats des cultures bactériennes du liquide synovial demeuraient négatifs. L’équipe de médecine interne a consulté notre équipe, spécialisée en maladies infectieuses.
Nous avons soupçonné la présence de la tuberculose (TB) sur la base de 3 facteurs, soit le caractère chronique de la monoarthrite, la cicatrisation pulmonaire apicale observée sur les images thoraciques et le fait que le patient soit originaire des Philippines — un pays reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’importance du fardeau que représente la TB, sa prévalence nationale étant la quatrième en importance à l’échelle de la planète1. Nous n’avons ciblé aucun autre facteur de risque pour cette maladie, comme des antécédents d’incarcération ou d’itinérance ni aucun contact étroit connu avec une personne atteinte de la TB.
On a procédé à un test d’amplification de l’acide nucléique (TAAN) de la TB réalisé à l’aide du test de dépistage GeneXpert MTB/RIF Ultra (Cepheid) sur des échantillons de liquide synovial, confirmant ainsi la présence de la bactérie Mycobacterium tuberculosis. Des tests de dépistage de bacilles acido-résistants par frottis d’expectorations se sont avérés négatifs. Nous avons prescrit des posologies standards fondées sur le poids: de rifampicine (10 mg/kg/j) et d’isoniazide (5 mg/kg/j), accompagnées de pyridoxine (25 mg/j), de pyrazinamide (25 mg/kg/j) et d’éthambutol (15 mg/kg/j); le patient a obtenu son congé afin de poursuivre son traitement sous la supervision du programme provincial de lutte contre la TB.
Quatre semaines plus tard, les échantillons de liquide synovial prélevés sur le patient montraient la croissance de M. tuberculosis qui s’est avérée sensible au traitement antituberculeux de première intention qu’il recevait. Les cultures mycobactériennes des échantillons d’expectorations étaient négatives, suggérant que le patient n’était pas atteint de TB pulmonaire. Lors d’un rendez-vous de suivi après 9 mois de traitement, la douleur au genou s’était considérablement améliorée (douleur ressentie uniquement après une utilisation soutenue), ainsi que l’enflure périarticulaire et de la partie inférieure de la jambe, celle-ci ayant recouvert une pleine amplitude de mouvement (flexion et extension complètes). Le patient avait repris ses activités professionnelles et se déplacait sans avoir recours à une aide à la mobilité. En raison de l’étendue de la destruction de l’articulation de son genou, nous avons convenu de l’orienter vers la chirurgie orthopédique afin d’envisager une arthroplastie du genou. Toutefois, le patient ne s’est pas présenté au rendez-vous de suivi et l’imagerie du genou et l’orientation en chirurgie qui devait suivre n’ont pu être réalisées.
Discussion
En 2020 au Canada, la prévalence de la TB était de 4,7 cas par 100 000 habitants, conformément au dénombrement des 10 dernières années2. Cependant, les personnes nées à l’extérieur des frontières ou d’origine autochtone nées au Canada sont touchées de façon disproportionnée2. La tuberculose ostéo-articulaire (TOA), y compris les formes vertébrale et extraaxiale de la maladie, est une manifestation peu courante de la TB extrapulmonaire. Sur une base annuelle au Canada, cette forme de la maladie compte pour 2,5 % de tous les cas de TB; environ la moitié de ceux-ci correspondent à la maladie vertébrale3. Dans les régions à faibles revenus, on observe plus fréquemment la TOA chez les enfants, se manifestant généralement peu après l’infection primaire. Par contre, dans les pays à revenus élevés, elle est davantage observée chez les adultes, résultant d’une réactivation de la maladie, comme nous l’avons soupçonné pour notre patient3. La variante extra-axiale de la TB se manifeste généralement comme une monoarthrite qui touche un genou ou une hanche.
Il peut être difficile de poser le diagnostic qui est souvent retardé de plusieurs mois, particulièrement dans les pays où la TB n’est pas endémique4,5. Les caractéristiques principales de la TB comprennent la présence de facteurs de risque, la durée prolongée des symptômes et des signes généraux. Contrairement à l’arthrite septique d’origine bactérienne, les symptômes infectieux systémiques, comme la fièvre, des frissons, de la raideur articulaire ou une fréquence cardiaque élevée, sont généralement absents des cas d’arthrite tuberculeuse. Parmi les autres diagnostics différentiels, on compte une arthrite septique d’origine bactérienne, une arthropathie cristalline, une maladie rhumatismale systémique (comme la polyarthrite rhumatoïde) et l’arthrose. On devrait aussi envisager la maladie de Poncet, une polyarthrite réactive associée à la TB extra-articulaire, si plusieurs articulations sont touchées et que la personne présente des symptômes d’arthrite non érosive6. Les observations obtenues de l’examen physique sont non spécifiques et comptent une amplitude de mouvement restreinte, de l’enflure et un épanchement articulaire7. Un érythème au site de l’articulation ainsi qu’une sensation de chaleur et de sensibilité peuvent être absents, contrairement à l’arthropathie cristalline ou à l’arthrite septique d’origine bactérienne.
Les observations radiologiques typiques relevées dans la phase précoce de la maladie montrent un épaississement de la membrane synoviale et des épanchements articulaires — comparables à d’autres causes de monoarthrite, comme l’arthrite septique ou l’arthropathie cristalline8. On peut aussi diagnostiquer l’arthrite tuberculeuse précoce de façon erronée en la confondant avec une ostéo-arthrite si les examens radiologiques ne révèlent qu’un rétrécissement de l’espace articulaire8. À un stade avancé, la maladie présente des caractéristiques de l’ostéopénie juxta-articulaire, des érosions osseuses périphériques et un rétrécissement de l’espace articulaire, connues sous le terme triade radiologique de Phemister9. Certains cas chroniques peuvent présenter la formation de tractus sinusal8.
Des radiographies standards peuvent montrer la triade radiologique de Phemister dans des stages plus avancés de la maladie, mais l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et la tomodensitométrie (TDM) sont les modalités d’imagerie les plus appropriées pour caractériser la maladie. L’IRM est tout particulièrement désignée dans les cas d’arthrite tuberculeuse, mais la disponibilité des appareils en temps opportun est souvent limitée de sorte qu’on peut employer la TDM, car elle permet une caractérisation plus spécifique de la maladie comparativement aux radiographies standards8. Cependant, comme l’ostéo-arthrite tuberculeuse ne présente pas d’observations pathognomoniques à l’imagerie, particulièrement dans les stades précoces de la maladie, on ne peut pas poser un diagnostic sur la seule base des observations radiologiques et une confirmation microbiologique est nécessaire.
Le diagnostic s’obtient typiquement par l’analyse du liquide synovial ou au moyen d’une biopsie synoviale soutenue par la microscopie pour des cultures mycobactériennes et de bacilles acido-résistants. Toutefois, le test de dépistage du liquide synovial pour la présence de bacilles acido-résistants offre une faible sensibilité d’environ 30 % et les cultures nécessitent plusieurs semaines avant de permettre la détection d’une croissance bactérienne. Ces cultures requièrent aussi l’accès à des laboratoires spécialisés détenant une certification de sécurité biologique de confinement niveau 3 ainsi qu’une accréditation de mycobactériologie clinique à des fins d’assurance de la qualité3. L’analyse des liquides articulaires trouve souvent une numération leucocytaire correspondant à la plage inflammatoire, typiquement de 10–20 × 109/L, mais cette valeur peut être plus élevée7.
De nouvelles méthodes de détection moléculaire de M. tuberculosis, comme le test d’amplification de l’acide nucléique, sont rapides et plus facilement accessibles sur le plan géographique tout en ne nécessitant pas de laboratoires spécialisés. Le test de dépistage automatisé à base de cartouche GeneXpert MTB/RIF, tout comme le test de nouvelle génération GeneXpert MTB/RIF Ultra, est le test de dépistage fondé sur un test d’amplification de l’acide nucléique le plus étudié et le plus largement accessible, en plus d’être recommandé par l’Organisation mondiale de la santé. Une récente revue des diagnostics de TB extrapulmonaire posés à l’aide du test de dépistage GeneXpert a observé une sensibilité de 60 %–100 %, selon le type d’échantillons, et une spécificité de 87,5 %–100 % pour les échantillons osseux et articulaires10. Dans le cas de notre patient, nous n’avons pas été en mesure de diagnostiquer une TB avant 5 ans après l’apparition des symptômes, auquel moment l’articulation de son genou avait subi une destruction considérable. Malgré la présence de cette destruction articulaire, l’arthrite tuberculeuse répond généralement bien au traitement médical qui s’échelonne généralement sur une période de 6–12 mois. On devrait allonger la durée du traitement chez les personnes présentant un risque accru de rechute, comme celles présentant une maladie significativement avancée au moment de la consultation3. Contrairement à d’autres causes d’arthrite septique, l’arthrite tuberculeuse ne requiert pas une prise en charge chirurgicale aiguë; la chirurgie est nécessaire uniquement pour le traitement de complications associées à la destruction articulaire une fois le traitement antituberculeux terminé3.
Conclusion
Les médecins devraient envisager la TOA chez les personnes qui présentent des douleurs articulaires subaiguës accompagnées d’un œdème et dont l’analyse du liquide articulaire suggère une arthrite inflammatoire. Il en va de même pour les personnes qui ne répondent pas au traitement standard pour les cas d’arthrite inflammatoire ou septique. En plus des cultures mycobactériennes, le test d’amplification de l’acide nucléique peut contribuer au diagnostic et à la prise en charge de la maladie en temps opportun.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail. Adrianna Gunton a contribué à l’ébauche du manuscrit, a révisé de façon critique son contenu intellectuel important, a donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endosse l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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