La maladie de Wilson est un trouble génétique rare caractérisé par une excrétion biliaire du cuivre défectueuse, qui cause une accumulation de ce dernier dans les tissus, particulièrement ceux du cerveau et du foie; les personnes atteintes peuvent présenter des symptômes à tout âge.
Le spectre clinique de l’atteinte hépatique peut aller de l’absence de symptômes à l’insuffisance hépatique aiguë ou à la cirrhose; les adultes peuvent aussi présenter des manifestations psychiatriques ou neurologiques.
La maladie de Wilson doit être envisagée chez les personnes présentant une atteinte hépatique aiguë d’origine inexpliquée.
Les principales explorations comprennent l’examen à la lampe à fente pour détecter les anneaux de Kayser–Fleischer, ainsi que la quantification de la céruloplasmine sérique et de l’excrétion urinaire de cuivre sur 24 heures.
Une femme de 19 ans, auparavant en bonne santé, s’est présentée au service d’urgence après 3 semaines de nausées, de vomissements et de douleurs et de distension abdominales croissantes. Une semaine plus tôt, elle avait été prise en charge pour une infection urinaire par un traitement de 5 jours à la nitrofurantoïne. Elle avait aussi reçu des laxatifs pour une possible constipation, ce qui n’avait pas atténué ses symptômes. La patiente ne prenait pas de médicaments sur ordonnance, de plantes médicinales ou de suppléments alimentaires de façon régulière, et a rapporté une consommation peu fréquente d’alcool. Elle n’avait pas d’antécédents familiaux de maladie hépatique héréditaire.
À l’examen, la patiente était alerte et bien orientée. Ses signes vitaux étaient comme suit: tension artérielle de 132/88 mm Hg, fréquence cardiaque de 99 battements/min, saturation en oxygène de 100 % (air ambiant) et température de 36,9 °C. Elle avait un ictère scléral et un ictère sans astérixis. Son abdomen était distendu et sensible dans les quadrants supérieurs bilatéraux. Une échographie au chevet a montré un faible volume de liquide libre dans l’abdomen. Son examen neurologique était normal.
Les résultats des analyses de son sang à l’admission sont présentés dans le tableau 1. Nous avons envisagé un vaste éventail de possibilités pour le diagnostic différentiel d’atteinte hépatique aiguë (tableau 2). Les sérologies virales pour les hépatites A, B, C et E, le cytomégalovirus et le virus d’Epstein–Barr étaient négatives, tout comme les dosages d’autoanticorps, mais le taux d’immunoglobuline G était élevé, à 19,17 (plage normale 6,00–16,00) g/L. Le test de grossesse urinaire, le dépistage de drogues dans l’urine et les tests de concentration d’acétaminophène et d’alcool étaient négatifs. La patiente ne présentait aucun symptôme de maladie pulmonaire qui évoquerait un déficit en α-1 antitrypsine. Une échographie abdominale a montré un débit normal dans les veines porte et hépatiques. Des tomodensitométries de l’abdomen et du pelvis ont montré une hépatosplénomégalie sans caractéristiques morphologiques de cirrhose.
Analyses effectuées chez une femme de 19 ans atteinte de la maladie de Wilson
Diagnostic différentiel pour un ou une jeune adulte présentant une atteinte hépatique aiguë
Étant donné l’utilisation récente par la patiente de nitrofurantoïne, nous avons envisagé une atteinte hépatique d’origine médicamenteuse, mais l’examen du dossier a révélé un taux accru d’aminotransférase et une thrombopénie avant l’utilisation de ce médicament; nous avons donc jugé qu’il ne s’agissait pas d’un facteur contributif important à son état actuel. Nous avons commencé l’administration empirique par intraveineuse de N-acétylcystéine pour traiter une atteinte hépatique aiguë indifférenciée, ce qui n’a pas amélioré la fonction de synthèse. L’analyse pathologique initiale d’une biopsie du foie faite en urgence a décelé une hépatite aiguë sur fond chronique, avec inflammation lobulaire évolutive grave et cirrhose sousjacente. La patiente ne présentait aucun signe de processus auto-immuns ou lymphoprolifératifs.
Étant donné l’âge de la patiente, son tableau clinique et l’absence de cause manifeste pour son atteinte hépatique aiguë, nous avons envisagé la maladie de Wilson. Nous avons consulté un ophtalmologiste, qui a observé des dépôts cornéens périphériques bilatéraux dans la membrane de Descemet, qui laissaient fortement soupçonner des anneaux de Kayser–Fleischer, à l’examen à la lampe à fente. Le lendemain, la coloration du cuivre à la rhodanine a donné un résultat fortement positif dans les hépatocytes (figure 1). Les analyses ont révélé un taux de céruloplasmine de 0,13 (plage normale 0,15–0,55) g/L, une concentration quantitative du cuivre hépatique de 1907 (plage normale 10,0–35,0) μg/g et une excrétion urinaire de cuivre sur 24 heures de 32,80 (plage normale 0,06–0,28) μmol/j.
Biopsie du foie d’une femme de 19 ans montrant un résultat positif à la coloration du cuivre à la rhodanine (coloration brun-rouge) dans les hépatocytes (grossissement 40×).
Nous avons diagnostiqué la maladie de Wilson en raison de la présence d’anneaux de Kayser–Fleischer, des hépatocytes positifs à la rhodanine, du cuivre urinaire élevé sur 24 heures, de la concentration quantitative élevée du cuivre hépatique et de la céruléoplasmine sérique réduite. Vu les signes de cirrhose et de dysfonctionnement de la synthèse hépatique, nous avons communiqué avec un centre de transplantation, qui a jugé qu’une greffe était indiquée. Quatre jours après sa consultation initiale, la patiente a été transférée dans un centre de transplantation, où elle a reçu, la semaine suivante, le foie d’une personne donneuse décédée. Son traitement postopératoire a été compliqué par une hypoxémie peropératoire et une perte sanguine postopératoire nécessitant un court séjour aux soins intensifs, mais elle a reçu son congé 1 mois après la transplantation.
Discussion
L’atteinte hépatique aiguë peut être causée par un tableau différentiel comportant une longue liste de diagnostics. Bien que la plupart des causes courantes chez les adultes soient des maladies virales, des médicaments ou l’ischémie, l’atteinte hépatique aiguë chez une ou un jeune adulte nécessite aussi la prise en compte de causes métaboliques, génétiques et gestationnelles (tableau 2).
La maladie de Wilson touche 1 naissance vivante sur 30 0001, et la patientèle peut présenter des symptômes à tout âge, même si la majorité des cas sont diagnostiqués avant 55 ans2. La plupart des patientes et patients pédiatriques présentent des manifestations hépatiques, alors que les adultes ont des manifestations hépatiques accompagnées ou non de manifestations psychiatriques ou neurologiques.
Dans la maladie de Wilson, l’éventail des troubles hépatiques à la consultation initiale peut aller des anomalies biochimiques légères à l’insuffisance hépatique aiguë ou à la cirrhose. Les symptômes neurologiques courants comprennent la dystonie, les tremblements ou l’ataxie, alors que les symptômes psychiatriques peuvent s’apparenter à la paranoïa, à la dépression ou à la schizophrénie3. Les anneaux de Kayser–Fleischer, qui représentent des dépôts de cuivre dans la membrane de Descemet, dans la cornée, sont une observation pathognomonique de la maladie de Wilson3. Cependant, ils peuvent être absents chez environ 50 % des personnes touchées3. La maladie de Wilson devrait être envisagée dans le diagnostic différentiel en cas d’atteinte hépatique aiguë d’origine inexpliquée et doit être exclue chez les personnes ayant une affection hépatique accompagnée de troubles neurologiques ou psychiatriques. La maladie de Wilson peut ressembler à une hépatite auto-immune sur les plans clinique et histologique (biopsie du foie). Les 2 affections peuvent s’accompagner d’une élévation des immunoglobulines sériques et des autoanticorps non spécifiques, comme chez notre patiente. Les enfants qui consultent pour ce qui ressemble à une hépatite auto-immune ou les adultes qui consultent pour ce qui ressemble à une hépatite autoimmune ne répondant pas au traitement doivent être évalués pour la maladie de Wilson4.
La maladie de Wilson est causée par des variations séquentielles du gène ATP7B producteur de protéines de transport des cellules hépatiques, qui empêche l’excrétion biliaire du cuivre et mène à une accumulation de ce dernier dans les tissus. On a confirmé au moins 380 variations causant la maladie de Wilson symptomatique5. Un gène ATP7B défectueux altère aussi la liaison du cuivre à sa principale protéine de transport, la céruloplasmine. Les tests spécifiques comprennent le dosage de la céruloplasmine sérique, qui est généralement réduite en présence de la maladie en raison de la demi-vie raccourcie de la céruloplasmine non liée à du cuivre, et la mesure de l’excrétion urinaire de cuivre sur 24 heures, qui est universellement accrue chez la patientèle non traitée. Les autres examens initiaux comprennent des analyses biochimiques du foie, une formule sanguine complète, le dosage de la céruloplasmine sérique, un test d’excrétion urinaire de cuivre sur 24 heures et un examen à la lampe à fente pour détecter les anneaux de Kayser– Fleischer. Si l’évaluation neurologique de départ est anormale, une imagerie par résonance magnétique doit être envisagée pour détecter des anomalies de signal et exclure d’autres causes potentielles. Une biopsie du foie peut faciliter le diagnostic par la quantification du dépôt hépatique de cuivre et l’évaluation du stade de l’atteinte hépatique. Enfin, un dépistage génétique des variations du gène ATP7B peut fournir une confirmation du diagnostic si les analyses biochimiques ne sont pas définitives2. L’American Association for the Study of Liver Diseases fournit un algorithme pour faciliter le diagnostic de la maladie de Wilson symptomatique, lequel peut être utilisé en combinaison avec les systèmes de notation comme le score de Leipzig modifié pour déterminer si d’autres tests sont requis. Un score supérieur à 4 permet de présumer une maladie de Wilson probable3; notre patiente avait un score de 7.
Le traitement initial pour la maladie de Wilson symptomatique stable repose sur un chélateur du cuivre comme la D-pénicillamine ou la trientine. Nous n’avons pas traité notre patiente avec des chélateurs du cuivre, qui n’auraient pas été efficaces, vu la gravité de la cirrhose avec dysfonctionnement de la synthèse hépatique. La patientèle asymptomatique peut être traitée par l’administration d’une faible dose de chélateurs du cuivre ou de sels de zinc qui diminuent l’absorption intestinale du cuivre. Un traitement d’entretien et une surveillance clinique à vie sont requis quand la personne est prise en charge avec ces produits. Il a été démontré que le score New Wilson Index (score de Nazer modifié) est plus efficace pour prédire le risque de décès que le score Model for End-Stage Liver Disease (MELD) dans le cas de la maladie de Wilson2. Un score de 11 ou plus est un fort prédicteur de décès en l’absence de transplantation hépatique2; le score de notre patiente était de 11. Chez la patientèle qui a une atteinte hépatique aiguë, la transplantation est curative, puisqu’elle corrige le défaut métabolique sous-jacent. Les parents directs des personnes atteintes devraient subir soit un dépistage génétique, si des mutations propres à la maladie sont décelées chez le cas index, soit une évaluation clinique et biochimique, à la recherche de signes et symptômes de la maladie de Wilson2.
Conclusion
Nous présentons un cas de maladie de Wilson avec le tableau clinique classique chez une jeune patiente ayant une atteinte hépatique aiguë, une céruloplasmine sérique réduite et des anneaux de Kayser–Fleischer détectables. Ce cas met en évidence l’importance de maintenir un soupçon clinique de maladie de Wilson chez les jeunes adultes ayant une atteinte hépatique d’origine inexpliquée, surtout quand les causes courantes d’atteinte hépatique aiguë sont exclues.
La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: www.cmaj.ca
Remerciements
Les auteures remercient la Dre Andrea Grin et le Département de pathologie de l’Université Queen’s pour avoir interprété les lamelles d’histologie, fourni les images et aidé au diagnostic.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
Collaborateurs: Les 2 auteures ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Stephanie Chan a rédigé le manuscrit. Les 2 auteures ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; elles ont donné leur approbation définitive pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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